Anna Mangeot, asexuelle : "Dans une société ultra-sexualisée, ne pas avoir d'attirance sexuelle est considéré comme une maladie"

Terme encore peu connu du grand public, l'asexualité est une orientation sexuelle qui peine à prendre sa place. Anna Mangeot, autrice d'un livre sur le sujet, nous explique pourquoi la pathologisation de l'asexualité met en péril les personnes concernées.

Après de nombreuses années d'errance analytique, l'asexualité a enfin fait l'objet d'un sondage mené par l'IFOP, publié en février 2024. L'étude indique que 12% des Françaises et Français se définissent comme asexuel·le·s. Anna Mangeot, autrice du livre "Asexuelle: Itinéraire intime et bouleversant d'une femme qui aime sans faire l'amour", aux éditions Larousse, en fait partie.

La jeune femme a longuement évoqué son asexualité sur les réseaux sociaux, désireuse d'ouvrir la parole autour d'un terme peu connu, et encore souvent mal compris par le grand public.

Interrogée par Yahoo Life, Anna Mangeot le rappelle : "L'asexualité, c'est une orientation sexuelle comme toutes les autres, à la différence que nous, nous ne sommes attirés par aucun genre, ou dans des circonstances très particulières. Très souvent, on s'imagine que les personnes asexuelles sont des personnes qui n'ont aucune vie sociale, aucune expérience, ou alors des traumatismes. Que ce sont des gens un peu ennuyeux, pas très jolis, qui ne veulent pas d'enfant, ou encore qui ne peuvent pas être en couple.

Une image galvaudée, selon l'autrice. "Dès ma première prise de parole, j'ai eu énormément de retours qui, d'une seule voix, témoignaient du fait que le mot "asexuel" n'était pas assez répandu, et qu'ils avaient souffert toute une vie de ne pas avoir de mot à mettre sur ce qu'ils étaient. Moi, je l'ai découvert à l'âge de 14 ans, mais à l'époque, je ne me suis pas reconnue dedans car le sujet était traité de façon très misérabiliste. J'ai fini par me le réapproprier autour de mes 21 ans, quand je suis retombée sur quelqu'un qui en parlait avec bonheur et fierté."

Lors de la publication du sondage de l'IFOP, intitulé "Sex Recession", ou récession sexuelle, Anna Mangeot révèle avoir été "emplie de joie". "Pas forcément pour ce chiffre (12% des Françaises et Français se définissent comme asexuel·le·s, ndlr), mais parce qu'on s'intéresse enfin à cette orientation, ça rentre enfin dans les moeurs communes, et plus ce mot sera utilisé, moins les gens concernés se sentiront "cassés"."

La jeune femme tient toutefois à nuancer la façon dont le sondage en question a été commenté : "A la lecture de ce sondage, beaucoup de gens ont parlé de régression sexuelle, du fait que les Français feraient de moins en moins l'amour. On pourrait voir l'asexualité comme une nouvelle dérive, mais pour moi, les deux choses sont complètement décorrélées. Je pense qu'il y a quelque chose d'assez cyclique qui vient après les années de libération sexuelle, on va vers une sexualité qui est plus lente, et plus qualitative."

Selon elle, l'asexualité souffre des fausses idées qui perdurent encore et toujours autour de cette orientation sexuelle. "Il y a beaucoup de gens qui pensent qu'être asexuel, ça revient à ne pas être en couple, ou ne pas pouvoir être en couple. Souvent, on confond l'asexualité et l'aromantisme, le fait de ne pas ressentir d'attirance romantique. Mais les deux ne vont pas forcément ensemble."

Elle-même subit régulièrement des commentaires déplacés au sujet de sa relation amoureuse, avec son compagnon de longue date. "Très souvent, on me dit que mon couple ne doit pas être heureux, n'a pas d'avenir, parce qu'il n'y a pas de sexe. Moi ça me fait doucement rire, parce que mon amoureux et moi, on partage une intimité qui n'a pas de commune mesure, faite de tous petits gestes. On est fous l'un de l'autre, du contact l'un de l'autre et on n'a pas forcément besoin que se déploie le rapport pénétrant au sein de notre couple. On fait l'amour de plein de façons différentes. Pour moi, passer trois heures à se câliner, c'est une façon de faire l'amour."

Vidéo. "Certains envisagent l'asexualité comme la nouvelle dérive de l'humanité"

Si l'asexualité est aussi peu évoquée, c'est aussi parce qu'elle peine à se faire reconnaître comme ce qu'elle est, à savoir une orientation sexuelle à part entière. "Les personnes asexuelles font partie de la communauté LGBTQIA+, puisque nous sommes le A, en compagnie des agenres et des aromantiques, mais on a encore du mal à trouver notre place, car les milieux queer sont encore très sexualisés. Les symboles queer tournent beaucoup autour de la sexualité, et je n'ai rien contre, mais il y a beaucoup de gens comme moi qui ont du mal à y trouver leur place. Il y a aussi des personnes queer qui estiment que les asexuel·le·s n'ont pas leur place dans cette communauté, puisqu'ils sont dépourvus d'orientation sexuelle, ce qui est faux, puisque l'asexualité est une orientation sexuelle."

D'ailleurs, la communauté LGBTQIA+ n'est pas la seule à souffrir de cette hypersexualisation, dans une société où le couple est placé comme un Graal à atteindre à tout prix. "La société toute entière repose sur des bases ultra sexuelles, du marketing au cinéma. Tout passe par et pour le sexe, donc grandir dans une société comme ça peut être très difficile. Tout nous répète sans cesse que ne pas vouloir faire l'amour, ne pas en avoir envie ou besoin, c'est dommage, c'est profondément triste. Le bonheur découle de l'acte sexuel."

Aujourd'hui encore, bon nombre de personnes estiment que l'asexualité découle d'un traumatisme, de violences sexuelles. L'orientation sexuelle reste donc largement pathologisée, ce qui représente une vraie souffrance pour les concerné·e·s. "Je suis suivie depuis plus de 12 ans par un psychiatre, qui n'avait pas mis de mot sur l'asexualité, mais qui m'a beaucoup aidée, et c'est sans doute pour ça qu'aujourd'hui j'en parle de manière aussi assumée", explique Anna Mangeot, qui précise : "C'est une chance, parce qu'il y a beaucoup de personnes qui tombent sur un cadre médical plutôt pathologisant, qui va essayer de le réparer à coup de séances de sexologue, de se forcer avec des jouets, de thérapie... Ça se rapproche des thérapies de conversion, puisque tout vient à nier ce que l'on est de naissance, à savoir un être qui n'a pas besoin ni envie d'avoir des rapports sexuels."

A tel point que l'autrice du livre "Asexuelle: Itinéraire intime et bouleversant d'une femme qui aime sans faire l'amour" tient à faire un petit rappel : "Certaines personnes commencent à parler d'asexualité politique, donc le fait d'arrêter d'avoir des rapports en opposition à une société qui nous pousse à en avoir", en comparaison avec le lesbianisme politique, où le choix éclairé de n'avoir des relations qu'avec des femmes. "Moi, je pense qu'aujourd'hui, il est trop tôt pour s'approprier ce terme à des fins politiques, parce qu'il y a encore tellement à faire pour qu'il soit reconnu comme une orientation sexuelle et non une pathologie ou quelque chose que l'on obtient après un traumatisme. On va plutôt parler d'abstinence politique, ou d'abstinence choisie."

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