"Pourvu qu’il soit dur" : comment en finir avec la paranoia autour du pénis ?

En finir avec un monde pénocentré, c’est le leitmotiv de nombreuses féministes. Cette fois, c’est au tour d’un homme cis gay de dépeindre une vie où la place omnipotente accordée à l’appareil génital masculin s’est révélée être un handicap et un danger. Dans son ouvrage "Pourvu qu’il soit dur" (éd. Albin Michel), Thomas Gravereau relate sa vie et les difficultés qu’il a rencontrées dans une société pénocentrée.

Thomas Gravereau est un jeune illustrateur. Il a décidé de publier un journal de bord dans lequel il dépeint, sous forme de chroniques, le quotidien d'un jeune homme dont la vie est conditionnée par son pénis. Il y a d’abord cette idée : la bite est le cerveau de l’homme. Un lieu commun que Thomas Graverau tente de déconstruire dans son ouvrage "Pourvu qu’il soit dur" (éd. Albin Michel). Comment ? En commençant par une éducation moins "bitocentrée". Son ouvrage s'apparente à un manifeste pour en découdre avec le bitriarcat, un concept qu’il a inventé pour critiquer un monde où l’homme est constamment "assimilé à sa bite et qu’il pense toujours avec sa bite". Une croyance qui prend ses racines dès le plus jeune âge d'un garçon. Dans son roman graphique, Thomas Gravereau revient sur l’éducation sexiste qui est donnée aux enfants. "Dès le plus jeune âge d’un enfant, on lui apprend à dominer sa petite copine. On va lui dire que c’est un bourreau des cœurs, qu’il va toutes les mettre à genoux." Un lexique qui encourage les hommes à faire montre de domination envers les femmes. "Cette autorité fait du pénis une arme. Dans le jargon que les garçons vont utiliser quand ils ont un rapport sexuel avec leur petite copine, ils vont dire qu’ils "ont démonté" leur petite copine, qu’"ils lui ont cassé les pattes arrières, ils lui ont cassé le cul",… C’est vraiment tout un champ lexical sexuel violent qui rend l’acte comme une guerre où l’on comprend qu’il y a un gagnant et un perdant.

L’importance du pénis se reflète dans notre champ lexical et sexuel. Comme cela a été expliqué par de nombreuses féministes, le terme "préliminaires" fait référence à tous types de pratiques sexuelles n’incluant pas de pénétration. Dans l’imaginaire populaire, les préliminaires précèdent toujours la pénétration, le plat de résistance, et ne peuvent donc être considérés comme un acte sexuel à part entière.

Vidéo. "Il y a toujours cette idée que l'homme ne pense qu'avec sa b*te"

Toute cette paranoïa autour du pénis…

Cette pression omniprésente sur le pénis crée un trouble méconnu chez l’homme : la dysmorphophobie du pénis, que l’auteur décrit comme une "anomalie imaginaire qui peut entraîner des états dépressifs ou anxieux, des pertes d’érection, de confiance en soi et une baisse de la libido.".

Au moyen de dessins, Thomas Graverau explique que les diktats de la société pèsent aussi sur l’appendice des hommes et engendrent des conclusions limitantes : "La bite serait une unité de mesure qui pourrait évaluer le plaisir qu’un homme peut donner au lit".

Cette "unité de mesure" servirait à renseigner sur le courage de l’homme aussi, comme le souligne l’auteur. "Aujourd’hui, il y a une insulte qui est "petite bite". En gros, un mec qui aurait une petite bite c’est un mec qui ne serait pas courageux, qui serait faible et qui déprécierait la valeur de sa masculinité. Il y a toute cette paranoia autour du pénis car elle permettrait d’évaluer la force d’un mec."

Vidéo. "Il y a toute cette paranoia autour du pénis car on pense à tort, qu'il permettrait d’évaluer la force d’un mec"

"Je ne savais même pas qu’un homme pouvait être violé"

L’idée sous-jacente de l’homme viril qui pénètre altère aussi les conceptions que l’on peut avoir du viol. À 17 ans, Thomas Gravereau subit un viol lors de son premier rapport sexuel. Dans son livre, il le confesse : "Je ne savais même pas qu’un homme pouvait être violé". Une raison qui s’appuie sur la culture du viol surreprésentée dans notre société. "Dans les fictions que l’on voyait au cinéma ou à la télévision, à chaque fois, c’étaient les femmes qui étaient violées. Les scènes de viol tournaient toujours autour d’agressions où il y avait des cris, des pleurs, de la violence, ce que je n’ai absolument pas vécu parce que je ne connaissais pas le concept du consentement. C’est pour cela que j’ai mis plusieurs années à comprendre que oui, les hommes peuvent aussi être violés, que ce soit par des femmes ou par des hommes."

S’ajoute à ce viol des années de souffrance murées dans le silence. Thomas Gravereau ne trouve sa place dans aucune représentation, aucune configuration promues par le modèle dominant de la société : l’hétéronormativité.

"Les homosexuels peuvent aussi être homophobes"

Il se demande alors si la société pénocentrée ne serait pas un corollaire de l’hétéronormativité ? Sans faire de lien évident, Thomas Gravereau s’interroge sur le male gaze ambiant qui difforme notre rapport au corps. Le male gaze est un concept désignant une vision de la société, surtout visuelle, conditionnée par le regard masculin. C’est une représentation du monde avec une loupe masculine. Thomas Gravereau explique que ce concept, décrié par le mouvement féministe, est également très présent dans le milieu homosexuel et provoque une forme d'homophobie internalisée. "Les homosexuels peuvent aussi être homophobes." Dans le couple hétéro, il y a la distinction très claire entre d’une part, l’homme viril qui protège et de l’autre, la femme vulnérable qui attend son prince charmant. Une séparation des rôles présente aussi dans le milieu gay. "Chez les homosexuels, il y a toujours eu ces deux rôles qui ont été mis en avant. À savoir, le mec viril et le mec un peu "folle". Il y a beaucoup de follophobie dans le milieu gay. On peut retrouver chez les homosexuels une homophobie intégrée."

Vidéo. "Tous les clichés du porno hétéro sont reproduits dans le milieu gay"

La vision hétéronormée est palpable aussi dans la sexualité gay, avec cette question récurrente : qui pénètre qui ? Il est commun de dire : "Il est le pénétrant et/ou le pénétré". "J’ai grandi avec des pornos gay qui montraient toujours l’homme plutôt baraqué, plutôt viril, poilu et plus vieux comme étant "l’actif", celui qui pénétrait son partenaire. A contrario, celui qui était pénétré, c’était le passif, qui était toujours plus jeune, ce qu’on appelle un "twink" ou un "minet", où en fait, c’était un mec plutôt crevette, sans poils et plutôt jeune. Ça reproduisait des clichés que l’on pouvait avoir dans le porno hétéro."

La follophobie est reconnue comme une discrimination à part entière et les applications de rencontre s’emploient à bannir les comptes qui en font la promotion. Dans son ouvrage, Thomas Gravereau tente de déconstruire une autre idée reçue sur la sexualité des personnes homosexuelles, un argument souvent déterré par les homophobes : leur sexualité débridée. Selon l’auteur, il faudrait la considérer davantage comme un acte de militantisme que comme pure provocation.

Vidéo. "Quand c'était pénalisé, les hommes se rencontraient dans des lieux publics pour avoir des rapports sexuels. Forcément, c'était plus cru"

Comme elle n’est pas reproductive, elle est purement et simplement récréative. Voilà déjà un argument qui peut crisper plus d’un bigot. Quand l’homosexualité était pénalisée, les homosexuels n’avaient pas d’autres choix que de privilégier les lieux publics pour avoir des rapports sexuels. Face à l’homophobie latente de notre société, cette vision décomplexée de la sexualité est devenue une forme de militantisme, comme le souligne Thomas Gravereau. "Étant donné que l’on se bat pour nos droits quand on est homosexuel, forcément, on revendique son orientation sexuelle. Donc, les personnes peuvent croire que l’on revendique sa sexualité alors qu’on revendique son identité sexuelle qui est à la fois son orientation et sa sexualité."

Ce qui vient battre en brèche l’idée qu’une fois de plus, le pénis est au centre de l’équation et cette autre idée, "deux hommes en couple ça baise tout le temps".

"Quand je suis dans la rue avec mon mec, j'ai peur"

Une mise au point nécessaire en 2023, une année toujours marquée par le sceau de l’homophobie. Thomas Gravereau le confirme au micro de Yahoo, la société française reste homophobe. "Il m'arrive encore d'avoir peur quand je suis dans la rue avec mon mec."

Il y a quelques jours, le journal en ligne Mediapart a publié un documentaire coup de poing sur les guet-apens, parfois mortels, dont sont victimes les homosexuels. Selon Mediapart, "chaque semaine, en France, un homosexuel est attiré dans un piège". Ces agressions s’exécutent dans le silence le plus complet. Selon les auteurs du documentaire, les affaires sont soit qualifiées de "faits divers" ou méconnues suite à la honte qu’elle provoque chez les victimes, qui décident alors de ne pas porter plainte.

Ce qui fait dire à Thomas Gravereau qu’il est plus que temps de repenser le concept de la masculinité en parlant davantage de "masculinités" au pluriel.

Vidéo. "Il est important de redéfinir le concept de masculinité"

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