Phobie administrative : "Ouvrir ma boîte aux lettres est une angoisse"

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Risible ou incomprise, la phobie administrative n'en est pas moins un cercle vicieux où l'angoisse pousse à la procrastination. Le résultat est une montagne de courriers et lettres de rappel jamais ouvertes. Si cette angoisse n'est pas encore officiellement reconnue en France, Louise et Hugo la subissent au quotidien. Un mal qui se soigne, comme nous l'explique le psychanalyste Bernard Martel.

Pour Louise*, ouvrir sa boîte aux lettres est une étape aussi "douloureuse" qu’ "angoissante". À 25 ans, la jeune femme admet être une adepte de la procrastination administrative. Quand elle ose récupérer son courrier, elle s’empresse de le laisse sur sa commode, sous quelques magazines, dans l’espoir "au mieux, d’avoir un déclic et d’ouvrir les enveloppes… un jour. Au pire, de complètement les oublier et occulter l’angoisse qui s’empare de moi à chaque fois que je pense aux tâche administratives que je dois effectuer". Un comportement risible pour ses proches, alarmant et pas toujours facile à comprendre pour d’autres, que la jeune femme a du mal à surmonter. Et pour cause. Selon elle, elle n’est pas loin de la phobie administrative. Depuis qu’elle vit seule, Louise ne cesse de repousser certaines démarches et paie constamment ses impôts "avec beaucoup de retard" quand elle n'oublie pas de le faire. Elle confie même avoir du mal à rassembler des papiers "que ce soit ceux demandés par ma banque, la CAF ou la sécurité sociale". "Par exemple, envoyer le devis fait par mon dentiste à ma mutuelle me demande une énergie folle… Surtout quand je pense au temps que je vais devoir attendre avant de recevoir un retour. Et si je n’ai pas de retour, ce qui arrive souvent, je vais devoir les appeler, leur expliquer… Bref, rien que d’y penser, je ne suis pas loin de l’angoisse". Un véritable cercle vicieux, puisque plus elle reporte la situation à régler, moins elle se sent "capable" d’y faire face. À cela, s’ajoute son "incompréhension" de "toutes ces charges, impôts et autres factures à payer dans tous les sens" : "J’ai plus l’impression de payer à l’Etat mon travail, que d’être payée pour mon travail quand je ne dois pas justifier que je travaille pour percevoir certains de mes droits".

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Une phobie comme une autre

Si elle déplore une administration longue et fastidieuse, "des montagnes de papiers à remplir pour pas grand chose", elle trouve une explication à ses angoisses dans son adolescence. "Comme mes parents ne parlaient pas bien le français, ils me demandaient de les aider à remplir leurs fiches d’impôts, ou autre. Le problème, c’est qu’à 13-14 ans, on n’a pas tout le vocabulaire administratif et qu’on ne nous a jamais appris à remplir une fiche d’impôt. En plus, à la moindre erreur sur la déclaration, c’est tout un autre processus long et décourageant qui s’enclenche pour la corriger. Sans oublier le fait que mes parents ne comprenaient pas que je ne puisse pas connaitre le sens de certains mots techniques dans une langue qui est la mienne", explique la jeune femme. Selon le psychanalyste Bernard Martel, les phobies sont souvent liées à l’enfance et/ou à un traumatisme : "Elle n’est qu’un effet et jamais la cause d’un problème. C’est le symptôme de quelque chose qui se situe dans le temps. Sauf que pour l’inconscient, le temps n’existe pas". Psychanalyste depuis près de 40 ans, il explique que les phobies évoluent avec les époques. Ainsi, il voit arriver dans son cabinet de plus en plus de patients dans la même situation que Louise. "Plus il y a d’administration et de démarches administratives, plus il peut y avoir de phobiques de l’administration, explique-t-il. C’est une phobie comme une autre, mais contrairement à celle d’un animal, il est plus difficile d’y échapper" sous peine de se retrouver dans des situations juridiques compliquées. "La phobie administrative peut être très prégnante et violente et c’est dans l’air du temps", estime le psychanalyste.

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La psychanalyse pour s'en sortir

Une aversion pour "la paperasse" que connait bien Hugo* : "Je déteste faire tout ce qui est démarche. Je trouve que c'est ultra compliqué. J’ai l'impression de revivre à chaque fois les ’12 Travaux d’Astérix', où il faut aller chercher tel formulaire et faire 18 recherches en ligne pour trouver la bonne info". Comme Louise, il a "tendance à procrastiner, tout repousser, et à oublier". "Je fais comme si le problème n'existait pas en ‘oubliant’ de regarder mon courrier". Une attitude qui lui a déjà joué de tours : "J'oublie de payer des trucs tout le temps. Le dernier exemple en date : une majoration de plusieurs centaines d'euros pour un excès de vitesse. Je ne savais même pas que je m'étais fait flasher !" Si son désamour pour les formulaires et autres papiers officiels à remplir a toujours fait partie de sa vie, "c'est petit à petit devenu une vraie source d’angoisse". S’il sait qu’il ne devrait pas "avoir peur d’un bout de papier", la procrastination a rendu la tâche "insurmontable" pour lui. "Mon ex m'aidait beaucoup en me rappelant de faire des choses, mais je sais que c'était une grosse charge mentale pour elle", se souvient Hugo. Un problème que le jeune homme a partagé avec son entourage "qui n’a pas été surpris" puisque "j'ai toujours été comme ça". "Tout le monde ne comprend pas que c'est une phobie par contre, certains disent que je suis juste flemmard, et je les comprends. Vu de l'extérieur ça ressemble sans doute à ça. C'est peut-être pour ça que je ne me fais pas soigner d'ailleurs. La peur d'être jugé". Quelle qu’elle soit, la phobie est une peur irrationnelle d’un objet ou d’une situation qui se traite par la parole, rappelle le psychanalyste. "Les thérapies comportementales permettent d’apprivoiser l’objet de la phobie, elles ne soignent pas les angoisses. Elles passent à côté du fondement de ce qui créait la phobie". Ainsi, il recommande de "faire un vrai travail de fond pour bien réaliser la cause d’un trauma ou d’une phobie".

Si la phobie administrative n’est pas encore reconnue en France, Thomas Thévenoud s'en est servi pour justifier son absence de déclaration de revenus pour l’année 2012, sans oublier toutes celles remplies en retard, malgré les nombreuses relances. Une explication qui a valu au secrétaire d’Etat au Commerce extérieur de François Hollande de nombreuses moqueries. Ce qui ne l’aurait pas empêché de déposer la marque "phobie administrative" auprès de l'Inpi (Institut national de la propriété industrielle) dès le 12 septembre 2014, selon les informations de M6.

* Pour des raisons d’anonymat, les prénoms ont été changés.

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