"Ces termes sont dangereux" : pourquoi il faut arrêter de parler de "protections hygiéniques" pour les règles

Le sujet des menstruations est encore et toujours tabou au sein de la société, en France comme à l'étranger. Et selon une gynécologue américaine, la dénomination des protections menstruelles joue sur cette vision "sale" des règles. Elle appelle à un changement de vocabulaire pour parler des tampons, serviettes et autres culottes menstruelles.

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"Ces termes sont dangereux" : pourquoi il faut arrêter de parler de "protections hygiéniques" pour les règles. © Getty Images

Que ce soit pour parler des tampons, des serviettes, des coupes ou des culottes menstruelles, bon nombre de personnes utilisent le terme parapluie de "protections hygiéniques". C'est ainsi que les protections menstruelles sont présentées dans la plupart des magasins, sur les sites de vente en ligne, mais aussi sur les sites officiels du gouvernement, comme par exemple sur le site du Service Public.

Parmi les autres expressions utilisées, on retrouve également des mots tels que "produits d'hygiène féminine", un terme considéré comme excluant pour les hommes trans et personnes non-binaires qui sont également réglé·e·s. Mais au-delà du problème de genre, ces expressions liées à l'hygiène posent un vrai problème : celui du tabou des menstruations.

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Les règles, un tabou utilisé pour opprimer les femmes

Dans une tribune publiée sur le site américain NewScientist, le 24 janvier 2024, la gynécologue Jen Gunter, autrice du livre "Blood : The science, medicine and mythology of menstruation", dénonce l'utilisation des termes liés à l'hygiène pour parler de menstruations. "Les termes "sanitaires" et "hygiéniques" utilisés pour parler des protections menstruelles sont dangereux", affirme-t-elle. "Ils renforcent les clichés selon lesquels les règles seraient sales, ou une source de pollution."

La spécialiste va plus loin, et rappelle : "Il s'agit d'une fausse croyance présente depuis des milliers d'années et utilisée pour opprimer les femmes et les empêcher de devenir des membres à part entière de la société, par exemple en les excluant des services religieux ou de la préparation à manger pendant leurs règles." Par exemple, dans l'Islam, il n'est pas permis à une femme de prier pendant ses menstruations, conformément à la parole du Prophète à Fatima bint Abi Habîch. Dans des pays comme le Népal, la tradition hindoue du Chhaupadi permet de bannir les femmes et les filles de leur maison pendant leurs règles. La religion catholique n'est d'ailleurs pas en reste, puisque dans le Livre du Lévitique, dans la Bible, les femmes menstruées sont régulièrement qualifiées "d'impures".

Dans toutes les grandes religions, ainsi que dans bon nombre de pays, les femmes cisgenres – puisque le cas des personnes transgenres n'est pas ou peu évoqué – restes considérées comme "sales" durant cette période de leur cycle.

Non, les règles ne sont pas sales

En mai 2021, une étude Ifop en partenariat avec Intimina s'intéressait à l'impact des règles sur la vie des personnes menstruées. Avec une constatation alarmante : 33% des personnes réglées ont déjà subi des moqueries, des humiliations ou des remarques désobligeantes en raison de leurs menstruations.

"Les menstruations ne sont pas sales. Lorsqu’une personne a ses règles, elle n’est ni sale ni insalubre ; elles ont leurs règles. Si l’on peut parler de papier toilette – un produit littéralement conçu pour essuyer les matières fécales – sans évoquer de problèmes d’hygiène ou de salubrité, nous pouvons sûrement faire de même avec les produits menstruels", clame la gynécologue Jen Gunter.

Selon elle, toute la terminologie est à revoir : "La solution de facilité ici consiste à désigner les tampons, les serviettes ou les coupes menstruelles et les sous-vêtements menstruels comme des produits menstruels. C'est leur but. Rien de grave n’arrivera à celles qui n’ont pas leurs règles en voyant les mots "produits menstruels" sur la signalisation d’un magasin ou en les entendant prononcer. Les menstruations ne sont pas contagieuses."

D'autant que cette terminologie centrée autour de "l'hygiène féminine" est aussi excluante envers toutes les personnes réglées qui ne sont pas des femmes cisgenres : "Il y a aussi des hommes trans et des personnes non binaires qui ont leurs règles, donc utiliser le féminin comme adjectif les exclut. De plus, les règles commencent très tôt pour certaines. Voulons-nous vraiment utiliser le terme féminin pour un produit dont a besoin une personne de 12 ans ou même moins ?", s'interroge-t-elle.

Un changement facile, mais qui peut aller loin

L'idée d'arrêter de parler de "protections hygiéniques" pour parler plutôt de "protections menstruelles" peut paraître insignifiante. Certaines personnes ne verront peut-être pas ce que cela pourrait changer. Mais le Dr Jen Gunter l'affirme : "L’incapacité de dire ou d’utiliser un mot implique que c’est honteux. Ne sous-estimez pas l’impact négatif que cela peut avoir sur quelqu’un." Et quand on sait que bon nombre d'hommes refusent encore aujourd'hui d'acheter des protections menstruelles à leur compagne, impossible d'en douter.

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