Revenge porn, un terme à bannir : "La pratique n'a rien à voir ni avec la vengeance, ni avec le porno"

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Pratique bien connue et ô combien redoutée, le revenge porn fait régulièrement la Une de l’actualité. Mais alors que les violences sexuelles sont en hausse en France, l’utilisation de ce terme de “pornodivulgation” ou de “revanche pornographique” est de plus en plus décriée, en particulier chez les féministes et les travailleuses du sexe. Ces dernières dénoncent une expression qui donne une fausse image.

Lorsque l’on parle de revenge porn, tout le monde a au moins une affaire en tête, qu’il s’agisse des vidéos et des photos de stars, volées et publiées sans leur autorisation sur les réseaux sociaux, la diffusion d’images intimes de Benjamin Griveaux, ou encore des personnes de leur entourage ou elles-mêmes ont été concernées par ce phénomène. Ce dernier, aussi appelé “pornodivulgation” ou “revanche pornographique” par les puristes de la langue française, fait partie des violences sexistes qui touchent en très grande majorité les femmes. Des personnes mal intentionnées – généralement des exs, des prétendants éconduits ou des hackers ayant mis la main sur leurs photos personnelles – dévoilent ce contenu intime aux yeux de tous, via des sites internet ou encore via les réseaux sociaux.

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Aujourd’hui, la pratique est criminalisée en France, puisque la “transmission d'une image d'une personne qui est dans un lieu privé, sans le consentement de la personne concernée”, encore plus lorsqu’elles portent sur “des paroles ou des images présentant un caractère sexuel” sont passibles de deux ans d'emprisonnement et à 60 000 € d'amende, selon l’article 226-2-1 du Code pénal… Toutefois, les menaces de publication de ce type d’image restent souvent monnaie courante, que ce soit dans le but d’humilier ou de décrédibiliser la personne qui y figure. Aujourd’hui encore, les victimes de ces diffusions non-consensuelles de vidéos et photos intimes sont souvent jugées comme partiellement coupables, le grand public ayant toujours beaucoup de mal à accepter que les gens, et les femmes en particulier, puissent accepter de se dénuder et se sexualiser volontairement.

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Mais au-delà du débat sur les conséquences de cette pratique, aujourd’hui, c’est le terme en lui-même qui est rejeté par certaines féministes, mais aussi par les chercheurs et chercheuses s’étant penché sur le sujet. Les personnes concernées estiment en effet qu’il symbolise mal la pratique, et ce à plusieurs niveaux.

Ni une revanche, ni du porno

D’où vient l’expression “revenge porn” ? Carmina, fondatrice du studio de production de films pornographiques Carré Rose Films et rédactrice en chef du Tag Parfait, magazine en ligne dédié à la culture porn, trouve l’explication dans les origines du phénomène : “On peut comprendre comment est apparu le terme, puisqu'à la base, il s'agissait d'hommes qui se vengeaient de leurs ex-petites amies en publiant leurs vidéos intimes à leur insu sur des sites pornographiques dédiés, créés exprès pour ça.” Toutefois, elle se refuse elle-même à utiliser l’expression, puisque pour elle, ces diffusions revanchardes n’ont rien à voir avec la pornographie : “La pornographie est un genre de cinéma fait par des acteur·ices et des performer·ses qui sont consentants à ce que les images soient diffusé·es, et payé·es pour cela !”

Paulita Pappel, réalisatrice de films pour adultes et fondatrice du site Lustery, l’affirmait déjà en 2020 dans un thread publié en anglais sur les réseaux sociaux : “Le porno ne se fait pas sans consentement. La pornographie est créée entre adultes consentants, et cela devrait toujours être le cas.” Mais le terme “porn” n’est pas le seul à lui poser problème, puisque selon elle : “Revenge implique que la victime a fait quelque chose de mal en premier lieu. Cela place cet acte comme des représailles.” Or, le terme représailles signifie “une riposte individuelle à un mauvais procédé”. Ce qui reporte la faute sur la victime, une fois de plus. La culture du viol en pleine action.

© Twitter Paulita Pappel

Sophie Maddock, enseignante et chercheuse spécialisée dans l’activisme en ligne et les violences numériques liées au genre, partage cet avis. Dans une tribune publiée en janvier 2019 sur le site Genderit.org, elle donne ses bonnes raisons de bannir l’expression “revenge porn” de notre vocabulaire, et explique notamment : “Lorsqu’une personne poste des images intimes non-consensuelles, c’est rarement une réponse légitime à un tort qui leur a été causé par la personne exposée. L’auteur de la diffusion peut être poussé par le dépit ressenti à la fin d’une relation, ou par l’envie de se faire de l’argent en faisant du chantage à la victime, ou même encore par un simple côté voyeuriste d’exposer quelqu’un d’autre. Mais le mot “revenge” laisse entendre que la victime a fait du mal à l’auteur, qui mérite donc de prendre sa revanche.”

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Quel terme utiliser pour décrire le phénomène ?

Si la question commence tout juste à percer dans les sphères du féminisme français, et n’a pas encore été très médiatisée ou mise en avant sur les réseaux sociaux, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, de nombreux experts se sont déjà exprimés à ce sujet. Et si toutes et tous s’accordent à dire que le terme est bien pratique, car connu de tous, les spécialistes pensent qu’il est important de trouver une alternative. C’est notamment le cas de Sophie Maddock, qui préfère utiliser “diffusion non-consensuelle de contenus intimes”, pratique qu’elle considère comme largement ancrée dans la culture patriarcale.

Il en va de même pour Carmina, qui a banni l’utilisation du terme sur le site du Tag Parfait : “Je pense qu'on peut trouver mieux pour ne pas tomber dans les raccourcis faciles. J'essaie de plus en plus de ne pas utiliser le terme, et le remplacer par des paraphrases du type "diffusion non-consensuelle de vidéos intimes". Certes c'est un peu long, mais au moins, ça veut bien dire ce que ça veut dire, et je pense qu'il est important d'avoir des termes précis pour parler des choses, et là, c'est d'un délit puni par la loi dont on parle, pas d'un divertissement ou de cinéma.”

Le monde des contenus pour adultes se sent particulièrement concerné, forcément, par l’idée d’éviter cet amalgame qui peut être dangereux pour sa profession. La pornographie et les travailleurs et travailleuses du sexe souffrent déjà suffisamment de stigmates pour ne pas en rajouter. D’ailleurs, pour bon nombre d’entre eux, le grand nettoyage orchestré par Pornhub, qui a supprimé tous les contenus illégaux de sa plateforme – dont bon nombre de vidéos uploadées par vengeance par des personnes mal intentionnées – a été une très bonne chose, une action qu’ils et elles réclamaient depuis de nombreuses années. En 2020, le site Lustery.com avait lancé une grande campagne baptisée #ThereIsNoSuchThingAsRevengePorn (Le revenge porn n’existe pas), dénonçant la culture du viol liée à ce phénomène de diffusion non-consensuelle de vidéos intimes : “Les mêmes hommes (car se sont majoritairement des hommes) qui affirment que les femmes qui portent des jupes courtes méritaient de se faire violer sont ceux qui harcèlent en ligne. Les victimes de ces diffusions sont blâmées car l’opinion publique estime qu’elles n’auraient pas dû faire ce genre de vidéos en premier lieu. Mais le sexe et les images à caractère sexuel n’ont rien de honteux. Les partager sans consentement ou se penser libre de profiter du corps de quelqu’un d’autre ? Ça, c’est honteux.” Et illégal, rappelons-le.

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