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Vidéos illégales et grand ménage : l'affaire Pornhub décryptée

(GERMANY OUT)    Pornhub, website, Bildschim, Lupe    (Photo by Schöning/ullstein bild via Getty Images)
(Photo by Schöning/ullstein bild via Getty Images)

Depuis maintenant quelques jours, Pornhub se retrouve au cœur de la tourmente. Accusée d'héberger et de monétiser des vidéos illégales, la plateforme a été prise pour cible par VISA et Mastercard, interdisant d'utiliser leurs moyens de paiement pour l'achat de contenus sur le site. Conséquence : ce dernier essaye de se racheter une conscience. Mais derrière ce grand nettoyage, ce sont encore les travailleurs et travailleuses du sexe qui vont se retrouver pénalisés. Voilà pourquoi.

Pour comprendre les dessous de l'affaire Pornhub, il faut avant tout se tourner vers les Etats-Unis, et plus précisément vers le New York Times. Il y a un peu moins de deux semaines, le vendredi 4 décembre, le journaliste et éditorialiste Nick Kristof – détenteur de deux prix Pulitzer et progressiste autoproclamé – s'est fendu d'une longue tribune prenant pour cible le site à la bannière noire et orange, fréquenté quotidiennement par des millions d'utilisateurs. Il y dénonce des faits graves et accuse la plateforme d'héberger et de monétiser des vidéos pédopornographiques, mettant en scène des viols, du revenge porn, des contenus volés, racistes, misogynes, violents... Bref, des atrocités sur lesquelles le site du groupe Mindgeek se ferait de l'argent.

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Ce qu'affirme Nick Kristof n'est pas nouveau. Cela fait de nombreuses années que des dizaines de personnes, à commencer par les créateurs de contenus pornographiques, reprochent à la plateforme les nombreux contenus illégaux qui cannibalisent leurs propres créations, tout en nuisant à l’image même de la pornographie. On ne compte plus les camgirls et camboys qui doivent se battre chaque jour pour retirer des captures illégales de leurs shows de la plateforme, les victimes de revenge porn qui se retrouvent affichées sur un site classé X, les acteurs et actrices porno qui voient leurs films piratés et rediffusés gratuitement, pendant que les pirates touchent l'argent engrangé par les vues. Et pourtant, il aura fallu attendre qu'un homme – qui n'a aucun lien avec le monde de la pornographie – en parle pour que des mesures soient prises. Le patriarcat dans toute sa splendeur.

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D'autant que Nick Kristof n'est pas n'importe qui. Journaliste reconnu, encensé, il collabore avec le New York Times, CNN, et a reçu de multiples récompenses. Il traite depuis de nombreuses années des sujets ayant pour thématique le travail du sexe, avec un angle bien précis : une volonté de le voir aboli. L'homme est en effet connu pour être anti-travail du sexe, et il est soutenu par Exodus Cry, une organisation américaine qui prétend protéger les enfants et lutter contre l'exploitation sexuelle, mais qui est accusée de tenir des propos anti-avortement, homophobes et transphobes.

VISA et Mastercard entrent dans la danse

Si c'est indéniablement l'édito du New York Times qui a mis le feu aux poudres, les décisions prises par Pornhub ont quant à elles été dictées par les réactions entraînées par la publication. A commencer par celles de VISA et Mastercard. Les deux géants des systèmes de paiement ont décidé d'interdire l'utilisation de leurs cartes sur toutes les plateformes pour adultes du groupe Mindgeek, Pornhub était la plus connue et le porte-flambeau. Interrogé par le site américain The Verge, un porte-parole de Mastercard a affirmé : "Notre enquête a confirmé la violation de nos standards interdisant les contenus illégaux. En conséquence, et en accord avec notre politique, nous avons demandé aux institutions financières intégrant nos réseaux au site de couper ces services. Par ailleurs, nous poursuivons notre enquête concernant de potentiels contenus illégaux sur d’autres sites pour prendre des mesures adéquates."

L'argent, c'est le nerf de la guerre, et perdre VISA et Mastercard, c'est un coup dur pour le site interdit aux moins de 18 ans, et une excellente nouvelle pour Exodus Cry, qui estime avoir remporté une bataille supplémentaire. Niveau timing, cette décision des systèmes de paiement tombe en effet à peine un an après la décision de Paypal de couper les ponts avec Pornhub. Le géant du paiement en ligne a décidé en novembre 2019 de ne plus servir d'intermédiaire pour payer les créateurs et créatrices de contenu classé X qui officiaient pour la plateforme au sein du programme Pornhub Models... Une décision qui avait impacté plus de 100 000 travailleurs et travailleuses du sexe, retardant les versements de leurs salaires.

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Grand nettoyage sur Pornhub

Cette décision de VISA et Mastercard a en tout cas eu une conséquence de taille : Pornhub s'est enfin décidé à faire le ménage. Les détracteurs de la plateforme pointent du doigt une certaine hypocrisie, estimant que c'est l'aspect économique qui a encouragé cette décision plus que l'aspect éthique mis en avant par le site. Ce dernier affirme toutefois dans un communiqué que : "Chez Pornhub, rien n'est plus important que la sécurité de notre communauté (...) C'est pourquoi nous avons toujours été engagés pour éliminer le contenu illégal de notre plateforme."

Le site du groupe Mindgeek précise par ailleurs que de nouvelles mesures ont été mises en place. Seules les personnes possédant des comptes vérifiés pourront poster des vidéos, les internautes ne pourront plus télécharger les contenus gratuits, et la modération va être étendue. Le résultat ? Plus de 8 millions de vidéos ont disparu. Cette disparition n'est toutefois pas définitive, puisque dans les mois à venir, l'équipe de modération vérifiera la légalité de chaque séquence, dans le but d'une éventuelle remise en ligne. Par ailleurs, puisque VISA, Mastercard et Paypal continuent à bouder Pornhub, la plateforme a pris une décision : elle n'acceptera désormais plus que les paiements en crypto-monnaies pour son service Premium.

Les performeurs une fois de plus en première ligne

Seulement voilà, pour les créateurs et créatrices de contenus pour adultes, c'est la triple peine. Une fois de plus, leurs revendications pour "nettoyer" les sites pornographiques des contenus illégaux – qui entachent leur profession et nuisent à leurs revenus – n'a pas été écoutée : il a encore fallu l'intervention d'une tierce personne et une menace économique pour qu'une décision soit prise, et aucun crédit ne leur sera accordé à ce sujet par la majorité du public.

C'est également un coup dur économique, ainsi que le raconte le performeur Ori Pale. Lui qui possédait pourtant un compte vérifié a vu toutes ses vidéos disparaître du jour au lendemain : "Je consulte régulièrement la plateforme pour voir les messages reçus, ou surveiller les stats. De plus, je voulais repartager une vidéo réalisée l'an dernier à l'occasion des fêtes. Ça m'a fait tout drôle de voir le compteur passer à zéro, avec plus aucune vidéo ou photo disponible. Car oui, non seulement les vidéos ne sont plus accessibles, mais il en est de même pour l'ensemble des médias postés. Les albums photos, l'avatar ou la bannière de profil sont eux aussi supprimées." Il regrette de ne pas avoir été prévenu : "Je veux bien concevoir que ça peut être coûteux et demander un effort technique d'envoyer un e-mail à autant de personnes. Mais aucune notification n'est disponible non plus sur la plateforme, ou un bandeau informatif, que sais-je..."

Même son de cloche aux Etats-Unis, sur une actrice qui préfère rester anonyme : "J'avais un compte vérifié, qui contenait plusieurs dizaines de vidéos. C'était ma principale source de revenu, et là, il n'y a plus rien. J'ai migré pas mal de choses sur OnlyFans, mais ce n'était pas là-bas que j'avais la plus grosse communauté. Sans mes revenus Pornhub, je ne sais pas comment je vais pouvoir payer mon loyer. En faisant sauter les vidéos de ses comptes vérifiés, le site fait passer un message clair selon moi : ils ont accepté n'importe qui, et maintenant, ils essayent de balayer tout ça sous le tapis."

La performeuse pointe du doigt un facteur essentiel de cette affaire : le travail du sexe, domaine déjà extrêmement précaire, se retrouve une fois de plus face à des acteurs bancaires qui ne veulent pas entendre parler d'eux. Pornhub fonctionne en effet principalement grâce à la publicité, le retrait de VISA et Mastercard ne va donc pas vraiment les impacter. En revanche, combien de clients vont rechigner à investir dans des cryptomonnaies pour acheter du contenu pour adultes ? Ce nouveau coup dur, quelques semaines après la polémique OnlyFans et après la fermeture d'Indiebill, va avoir un terrible impact sur les revenus de toutes les personnes qui vivent de le pornographie. Carmina, actrice, réalisatrice et rédactrice en chef du Tag Parfait a d'ailleurs prévenu ces dernières sur Twitter : "Au vu de la situation avec Pornhub, je recommande à toutes les personnes qui ont de l'argent en attente sur une plate-forme adulte de le rapatrier sur un compte bancaire rapidement. Encaissez vos revenus OF, MV, MH, etc. Ça va évidemment et comme toujours impacter les indépendants en premier."

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