Le summer body n'est pas mort, de nombreux Français y cèdent : "L’été, je saute volontairement des repas et je m’acharne au sport"
L’été amène son lot de bonnes nouvelles et d’injonctions, la plus tenace étant le "summer body". On nous fait croire qu’il est daté et pourtant, on en est bombardé. Pire encore, on pourrait penser que la toxicité du concept s’est inoculée en nous. Les chiffres du dernier sondage Ifop paru ce 21 juin le montrent : le summer body est loin d’être derrière nous. 93% des femmes et 78% des hommes se préparent physiquement pour affronter les regards sur leur corps.
"Ça sent l’été, hein", crie la jeune coach en arrivant dans la salle. Il faut dire que cette séance de cuisses-abdos-fessiers a rarement été aussi fréquentée. Cette phrase n’est sans doute pas prononcée pour nous situer dans l’espace-temps. Elle fait référence à un concept que l’on présente comme éculé et qui fait pourtant et malheureusement toujours recette : le "summer body".
Sur demande de l’agence spécialisée en data FLASHS et le site de voyages Voyageavecnous.fr, l’IFOP a interrogé plus de 1 000 Françaises et Français pour connaître leur sentiment sur le concept du summer body. 93% des répondantes confient préparer leur corps pour l’exposer au regard des autres tout au long de la période estivale, contre 78% au sein de la population masculine.
Cynthia, coach de sport dans une célèbre salle parisienne, l'avoue, à l’approche de l’été, elle voit sa clientèle considérablement augmenter. "Les cours sont blindés et les gens se mettent des objectifs monstres pour atteindre des idéaux qu’on nous a posés dans le cerveau. Le problème, c’est que ces idéaux sont certes atteignables, mais avec tellement de contraintes que ça les rend quasiment impossibles."
Cette échéance à l’approche de l’été, caractérisée par une préparation physique, a été "marketée" sous l’appellation "summer body". À chacun son programme en vue de se tailler le "corps parfait pour l’été". L’Ifop découvre que les femmes vont fournir un effort particulier au niveau de leur pilosité et surveiller leur alimentation. L’étude précise que la gent masculine axe davantage ses efforts sur le sport. "65% d’entre eux pratiquent une activité physique en amont de l’été, légèrement plus en l’espèce que les femmes (59%)."
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"C'est une fumisterie ancrée en moi"
Thibaut, Parisien de 37 ans, voit du positif dans cette préparation avant l’été. Pour le jeune homme, c’est même le moment de prendre soin de lui : "Ça fait du bien de temps en temps de remettre un peu d’ordre dans son alimentation, sa consommation d’alcool. Le sport est également un bon anti-stress. Je fais ça pour me sentir bien. Le bien attire le bien".
Pierre fait du sport "toute l'année". "Mais, c'est vrai que l'été, si je rate une séance à la salle, ça me culpabilise." Il arrive à ce commercial dans la tech' de compenser en faisant trois heures de sport par jour. "Je fais toujours attention à mon apparence et l'été, c'est le moment de montrer mes efforts. Je ne vais sûrement pas relâcher la pression à ce moment-là." Pierre évoque donc "une pression". En plus du sport, il avoue limiter sa consommation d'alcool et manger davantage de protéines.
Nora a, quant à elle, un rapport très complexe avec l’été. "C’est la période de l’année que je préfère et pourtant, c’est aussi celle pendant laquelle mon anorexie ne me lâche pas." La trentenaire souffre de troubles du comportement alimentaire. "L’été, je saute volontairement des repas et je m’acharne au sport. Je sais que ce sont des comportements destructeurs. Ça me replonge dans mes travers. Mais l’idée de devoir montrer mon corps avec des kilos en plus me terrifie." La professeure de mathématiques l’avoue : elle cède à l’injonction du corps parfait. "Je suis la première à dire que le concept du summer body est une fumisterie mais je n’arrive pas à en faire abstraction. C’est comme s’il était ancré en moi", se désole-t-elle.
Le déni du summer body
Les propos de Nora traduisent tout le paradoxe actuel. Les plus branchés (influenceurs et autres personnalités plus ou moins engagées) démontrent comment et pourquoi il faut arrêter de parler du "summer body". Si la forme est louable, le fond lui, ne suit pas toujours cette logique.
Certains professionnels du sport martèlent qu’il ne faut plus parler du "corps de l’été", nous enjoignent à embrasser nos complexes, tout en nous proposant des "work outs" (exercices de sport; ndlr) pour des abdos en béton. La dissonance du marketing dans toute sa splendeur : se présenter comme body-posi et profiter de l’angoisse du summer body pour vendre. Car angoisse il y a. Dans son étude, l’Ifop souligne que la perspective de s’exposer au regard des autres, à la plage ou à la piscine, est une réelle source d’angoisse pour près de la moitié des Français. 67% des répondantes font part du malaise contre 39% chez les hommes. "Plus soumises que les hommes à la pression du corps, les femmes sont ainsi 49% à avoir vécu des périodes de stress et d’anxiété à l’approche de l’été, 40% à faire état de troubles du sommeil ou encore 35% à évoquer des épisodes dépressifs."
La population majoritairement concernée par les effets toxiques du summer body est celle qui n’arrive pas à accepter son corps. Et malheureusement, presque la moitié des Français interrogés confie ne pas aimer leur corps (47% des répondants au sondage). Dans les faits, ce sont 6 femmes sur 10 qui ne s’aiment pas contre 3 hommes sur 10.
En 10 ans, le nombre de femmes indiquant ne pas aimer leur corps a considérablement progressé, passant de 46% en 2013 à 60%. En 2023, 6 femmes sur 10 n’aiment donc pas leur enveloppe corporelle. La principale source d’angoisse pour elles est de "se montrer en maillot de bain devant la famille et les amis". S'ensuivent la comparaison avec le physique de leurs amies, la pression médiatique au "corps parfait" et les images de ce type de corps dans les magazines ou sur les réseaux sociaux.
À l’heure où le message de "faire la paix avec son corps" est plus prégnant que jamais, comment interpréter ces données ?
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Arrêtons de dire que le summer body est mort
Le 15 juillet dernier, le magazine Elle titrait : "C’est confirmé : le "summer body" est (enfin) dépassé". Selon le mensuel, le règne terrorisant du corps parfait à la plage sonnait ses dernières heures. En s’appuyant sur la base de données du site Pinterest, Elle écrit que : "les recherches avec les mots clés "perte de poids" ont dégringolé de 20% sur la plateforme. Mieux encore, les recherches avec les mots "comment changer son état d’esprit" ont augmenté de 50% et celles pour "apprendre à s’aimer" de 36%. Enfin, les requêtes pour "repas sains et rapides" sont 65 fois plus demandées que l’année dernière."
La réalité est que le diable se cache dans les détails. Empaqueté dans le body-positivisme, le marketing de la diet culture est toujours présent et plus féroce que jamais.
Sur Youtube, les influenceurs ne parlent plus de "perte de poids" mais bien de "sèche". L’idée de la sèche étant de perdre du gras, pas spécialement du poids. Comment ? En mangeant sainement. Car, on ne parle plus de "faire régime", on évoque le fait de "manger sainement" ou encore on avance l'argument de l'"alimentation intuitive". Les tutos pour "s’aimer et prendre soin de son corps" s’enchaînent. S’il est certes recommandé de soigner son alimentation et faire du sport pour des raisons de santé, on peut se demander si la prolifération de ce type de contenus sur les réseaux sociaux ne vient pas combler le manque laissé par les autres contenus sacrifiés sur l’autel du body-positivisme ?
La forme dévoyée du concept du summer body tant diabolisé devient ainsi socialement acceptable et donc plus diffuse. Notons cependant que dans le sondage de l'Ifop montre une "légère perte de vitesse du "summer body" en comparaison aux résultats de la dernière étude datant de 2017.
Cynthia, coach de sport et "de vie", comme elle le précise, évoque un problème bien plus profond : "Les gens manquent cruellement de confiance en eux. Avec le doute et la peur, ils deviennent manipulables et on leur fait acheter tout ce qu’on veut." La prof de sport fait notamment référence aux abonnements à prix cassés proposés par de nombreux complexes sportifs à l’approche de l’été. "Le summer body, c’est un putain de concept marketing. Ça nous fait culpabiliser et nous rabaisse car nous sommes bien plus nombreuses et nombreux à ne pas avoir le "corps des magazines" que le contraire."
Le comparaison aux corps parfaits, qui sont, rappelons-le, non-représentatifs de la société car largement minoritaires, est l’une des principales sources d’angoisse. Pour faire taire ces craintes anxiogènes, se caractérisant pour de nombreuses femmes par de la dépression, des pleurs, ou de l’insomnie (voir résultats de l'enquête Ifop), il se peut que la solution soit plutôt à chercher du côté des professionnels de la santé que dans les kits pour des abdos en béton.
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