"À 36 kilos, je pars en hospitalisation" : Morgan parle du tabou de l'anorexie chez les hommes
De tous les troubles du comportement alimentaire, l’anorexie est celui qui se présente sous la forme la plus féminine. Souvent, les patients masculins se murent dans un silence extrême par peur d’être attaqués sur leur "virilité". Morgan a longtemps combattu contre l'anorexie. À travers sa prise de parole, le jeune homme renseigne sur les ravages de cette maladie mentale et les conséquences sur sa vie.
"Un trouble essentiellement féminin, à la frontière de la médecine somatique et de la psychiatrie", c’est en ces mots que l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, définit l’anorexie mentale. Les termes "essentiellement féminin" prouvent à quel point l’anorexie est souvent considérée comme une "maladie de femmes".
La relation de Morgan avec l’anorexie diffère peu des témoignages déjà recueillis sur le sujet. À l’âge de 16 ans, à la suite d’un choc émotionnel, l’adolescent plonge dans les affres de l’anorexie. En perdant le contrôle sur ses sentiments, il balance ses émotions en contrôlant scrupuleusement sa nourriture.
Morgan mange moins, boit énormément d’eau et s’inflige une pratique intense et douloureuse du sport. "À cet âge-là, on donne beaucoup d’importance au physique. Il y avait ce côté : 'Je veux être plus musclé' et aussi le côté où je voulais ressembler à la personne avec qui ma copine m’avait trompé. Il y avait ce mélange de colère et ce désir de ressembler à l’autre qui a fait que je suis tombé progressivement dans l’anorexie mentale."
"J'étais conscient mais je n'arrivais pas à m'arrêter"
Morgan distingue deux phases dans sa maladie. La première est associée directement au déni. "Mentalement, vous pouvez soulever tous les problèmes. Rien ne vous arrête. Ça vous permet de peaufiner votre image, vos compétences. On est perpétuellement dans le contrôle. On veut contrôler notre apparence mais aussi nos compétences. L’anorexie ne vous laisse pas le choix : vous devez être le meilleur" explique Morgan.
Quant à la deuxième phase "de la crise", elle vous explose au visage. Ce sont toutes les conséquences physiques qui apparaissent : "douleurs articulaires, souffrance mentale, insomnies, sueurs froides…", pour Morgan, l’anorexie est une addiction. Il est conscient que cette assuétude le tue à petit feu mais il ne parvient pas à s’arrêter.
Vidéo. Morgan : "Je faisais du sport continuellement. Je me sanglais les chevilles avec des poids en sable"
"Je me sanglais les chevilles avec des poids en sable"
Morgan continue de s’alimenter très peu et inflige à son corps dénutri une pratique abusive du sport : "Mon lycée était à 1h de marche de chez moi. Volontairement, je surchargeais mon sac pour avoir une activité calorique plus élevée. J’en étais arrivé aussi à me sangler les chevilles avec des poids en sable. On habitait dans un HLM et je faisais les 9 étages à pied continuellement pendant 45 minutes. Le reste de la journée, je marchais perpétuellement." Le soir, il fait de la musculation à domicile. Morgan est devenu accro au sport. Cette pratique intense de l’effort physique s’appelle la bigorexie. Si elle n’est pour l’heure pas considérée comme faisant partie du spectre des troubles du comportement alimentaire, la bigorexie demeure l'une des addictions les plus citées par les personnes s’astreignant à une perte de poids volontaire et obsessionnelle.
Morgan descend à 45 kilos. Son médecin traitant l’incite à se faire hospitaliser en lui présentant un contrat d’hospitalisation, mais le jeune homme n’en a cure. Il s’enfonce dans la maladie "et n’arrive pas à s’arrêter".
En 2016, le Pr. Gorwood, chef de service de la Clinique des Maladies Mentales et de l'Encéphale (CMME) du centre hospitalier Sainte-Anne, avance l’hypothèse que le développement de la maladie serait davantage lié à une addiction à la perte de poids qu’"au sentiment de peur face à la prise de poids". Le sentiment de perdre du poids activerait le système de récompense dans le cerveau et les rendrait "addict".
Pour valider cette hypothèse, le Pr. Gorwood et son équipe ont mené une étude auprès de 70 patientes atteintes d’anorexie. Ils ont comparé les réactions des patientes malades à celles d’un autre groupe constitué d’une vingtaine de personnes ne présentant aucun signe de la maladie. Les patientes atteintes d’anorexie ne manifestaient pas plus de peur face à la vision d'images présentant des personnes de poids normal ou en surpoids.
Si à l’heure d’écrire ces lignes, plusieurs pistes sont à l'étude pour expliquer la maladie, l’hypothèse de l’addiction est celle qui traduit le mieux la phase vécue par Morgan.
Vidéo. Morgan : "À 36 kilos, je pars en hospitalisation"
En août 2022, soit plus d’un an après les premiers signes de déclenchement de la maladie, Morgan est hospitalisé pour soigner son trouble. "Je perdais un kilo par jour" raconte-t-il. L'ado ne pèse plus que 36 kilos. Son corps est en état d'alerte et un matin, la maladie le terrasse. "Je fais une soirée avec mes amis et le lendemain, je n’arrive pas à me relever. Là je prends conscience que l’anorexie et le cancer vont me tuer si je ne fais pas quelque chose. À 36 kilos, je pars en hospitalisation" confie-t-il. Il signe alors le contrat d'admission formulé par son médecin traitant et entre en cure pour un an. En 2016, il sort complètement de l'enfer.
"Je développe un cancer du foie"
Morgan garde d'importantes séquelles de son passé. La plus grave est le cancer qui a rongé son foie. Au moment où il restreignait drastiquement son alimentation, le jeune homme a eu la mononucléose. Son système immunitaire faible ne lui a pas permis de lutter contre la sérologie d’Epstein-Barr qui, dans de rares cas, s’attaque au foie en le dégradant. À mesure que la maladie gagne du terrain, Morgan s’épuise mais ne parvient pas à récupérer en raison de son anorexie qui l’empêche de dormir. C’est là une conséquence presque inconnue du trouble. Les patients dorment mal voire très peu car le corps est en manque de nourriture. Au micro de Yahoo, Morgan avoue avoir développé des phases de paranoïa dans les moments les plus sombres. En 2021, le jeune homme guérit totalement de son cancer du foie.
Si c’est sur le plan psychologique que la maladie a laissé le plus de traces, Morgan évoque également ses articulations fatiguées, conséquence d’une activité sportive intense couplée à son état de dénutrition.
Vidéo. Quand vous souffrez d'anorexie, le sexe vous n'y pensez même pas.
"Le sexe, vous n'y pensez même pas"
Le témoignage de Morgan renseigne sur le caractère peu différenciant de l'anorexie en fonction du sexe. Dans un entretien accordé à Santé Magazine, Jean-Michel Huet, psychologue-psychanalyste, explique que si l'anorexie est un trouble plus développé par les femmes c'est parce qu'elles sont davantage soumises au diktat de l'apparence. On estime que 10% des malades d'anorexie mentale sont des hommes.
En revanche, si elle est autant taboue au sein de la gent masculine, c’est parce qu’elle écorne l’image même de la virilité, ou du moins, de vieux poncifs sur le mâle alpha. Un homme anorexique ne "bande" pas, comme l’explique Morgan. "Le sexe n’est pas du tout une priorité. Vous n’y pensez même pas."
Dans un second temps, lorsque l’envie revient, celle-ci ne se matérialise pas comme souhaitée. "Mentalement, vous vous sentez prêts ou vous en avez envie. Physiquement, la connexion entre le cerveau et le corps ne se fait pas du tout. On se retrouve soit avec un trouble érectile, soit avec une demi-molle." Morgan parle de la "phase de guérison la plus lourde". "Il y a un vrai coup dans la confiance en soi. C’est un très très long chemin pour guérir de ça parce que c’est un pur blocage mental".
Morgan estime être guéri. "Ça a pris vraiment trois bonnes années" confie-t-il. À travers son témoignage, il espère encourager les hommes souffrant d'anorexie mentale à sortir de l'ombre.
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