TABOU - On a écouté le premier numéro de Chaud Dedans, le podcast de Claire Fournier sur la ménopause

Claire Fournier a dédié un podcast entier à un phénomène vécu par "des millions de femmes" : la ménopause. Dans le premier numéro du podcast, la journaliste se demande si la ménopause, ce n’est pas finalement que dans la tête ? Claire Fournier interroge le regard de la société sur les femmes ménopausées. Avec son invité Daniel Delanoë, médecin, psychiatre et anthropologue, elle découvre le poids de l’inconscient historique et de la domination masculine sur le mal-être des femmes ménopausées.

TABOU - On a écouté le premier numéro de Chaud Dedans, le podcast de Claire Fournier sur la ménopause (Crédit : Getty)
TABOU - On a écouté le premier numéro de Chaud Dedans, le podcast de Claire Fournier sur la ménopause (Crédit : Getty)

"Pour moi, ça a commencé comme ça, avec des sensations peu agréables. Au bureau, à la maison, dans le métro. Une chaleur qui monte dans le bas du dos et qui s’arrête au niveau du soutien-gorge, qui m’oblige à enlever une voire deux épaisseurs de vêtements." Dans son podcast "Chaud Dedans", Claire Fournier dévoile son expérience de la périménopause en détaillant les divers changements qui la préoccupent : "Moi qui dormais 9h par nuit, j’avais soudain le sommeil perturbé, entrecoupé d’insomnies en général vers 2h/3H du matin. La libido dans les chaussettes aussi.". Des détails pas si anodins mais à mille lieues de ce qu'elle imagine. Puis, le "diagnostic" lui tombe dessus par un "putain de gynécologue sans une once d’empathie". La mère de deux enfants s’effondre en pleurs. Après le désarroi, c’est l’incompréhension qui la foudroie. Pourquoi personne ne lui en a parlé avant ?

Le terme "ménopause" vient du mot latin "menopausis" qui signifie l’arrêt des règles. Si l’avènement des menstrues constitue un tabou, l’arrêt s’apparente à une honte, comme l’explique Claire Fournier : "Comme au moment des premières règles chez les filles, les dernières font aussi l’objet d’un tabou. Essayez d’en parler avec ses proches, c’est pire que de parler de sa dépression post-partum ou de ses hémorroïdes. Ça ne se fait pas. Ça vous classe tout de suite dans une catégorie où personne n’a envie d’être classé : la vieille".

Vidéo. "La honte liée aux règles contaminent même les hommes"

La ménopause renvoie à la honte d’être vieille. Pourquoi ce sentiment de honte émerge ? Principalement car nos sociétés tendent à invisibiliser le corps de la femme de plus de 50 ans. Depuis peu, on parle d’agisme, un terme qui regroupe une série de comportements tendant à stigmatiser les personnes âgées. En 2021, un rapport des Nations Unies parle d’un fléau insidieux dont la société souffre, qui joue sur l’état de santé, et constitue une source d’isolement social et de décès précoces. Là encore, les deux sexes sont exposés à diverses échelles au phénomène.

La vague #metoo a permis de libérer la parole et de plus en plus d’actrices ont dénoncé l’agisme dans le milieu du cinéma. Le monde audiovisuel n’y échappe pas, comme le confie la journaliste : "C’est pas toujours facile pour moi qui fait un métier d’image et même pour une énorme foule invisible de femmes, cette étape fondamentale est vécu comme une phase honteuse. Elle est presque pire que la puberté".

La ménopause, c'est dans la tête ?

Cette douloureuse acceptation fait son chemin dans la tête de Claire Fournier. "Je me demande juste si on nous a pas mis dans l’idée que les symptômes étaient ceux du début de notre déclin. C’est aussi pour ça que le sous-titre de ce podcast est "contre l’obsolescence programmée des femmes".

La journaliste s’interroge sur la construction sociale de la ménopause et se demande si celle-ci ne serait pas à l’origine du mal-être qu’éprouve les femmes.

Son invité, Daniel Delanoë, médecin, psychiatre, anthropologue et auteur de "Sexe, croyances et ménopause", explique que la ménopause est un facteur d’exclusion sociale. "Le fait d’être 'après la période de fonction reproductive' fait l’objet d’une exclusion sociale, d’un stigmate, d’une construction sociale extrêmement négative, qui est toujours présente. C’est une forme d’inconscient historique auquel viennent se cogner les femmes qui en font l’expérience depuis des millénaires. La femme ménopausée est jugée dangereuse, malade, inutile,…"

La femme ménopausée est considérée comme inutile car elle n’est plus fertile, autrement dit, la femme n’a de valeur sociale que si elle peut faire un enfant ou est assignée à cette fonction, pour reprendre les termes de l’expert : "C’est l’assignation des femmes au statut de reproduction, d’objet sexuel et cette assignation ne leur laisse aucune autre place".

Le médecin parle alors de la domination masculine qui régit, encore aujourd’hui, les règles de notre société. Daniel Delanoë prend l’exemple du partenaire qui ne va pas dire à son entourage que sa femme est ménopausée par peur d’être 'basculé' du côté des vieux.

Alors, si la ménopause est une construction sociale puisant ses fondements dans un inconscient historique, se révélant traumatisant, quid des symptômes ? "Le seul signe universel, c’est l’arrêt des règles. Tous les autres signes, qui sont des cris, et qui existent, ne sont pas présents chez toutes les femmes. Et selon les populations aussi, ça change beaucoup. Chez les Maya, il n’y a pas de bouffées de chaleur, pas d’ostéoporose. Il y a des variations génétiques qui font qu’il y a plus ou moins de signes."

Ainsi, les symptômes de la ménopause, même s'ils existent, diffèrent d'une population à l'autre. Ce qui fait penser aux participants du talk que la phase de l'arrêt des règles est un phénomène psychique. Si cette phase est perçue et vécue aussi négativement, cela résulte du traitement, essentiellement négatif, fait par nos sociétés. L'expert parle également du poids puissant des lobbys pharmaceutiques qui ont amplifié les incidences des symptômes pour vendre des traitements hormonaux : "Il faut nuancer aussi ce portrait apocalyptique qu’ont fait les promoteurs du traitement hormonal. Il existe des femmes qui vivent plus ou moins bien ces symptômes".

Les bouffées de chaleur, l'une des manifestations les plus répandues chez les femmes d’origines européennes, représentent le marqueur d’une phase de ménopause. Au travers de son expérience, Claire Fournier explique que nombre de femmes qui en souffrent font tout pour les cacher. Pour le médecin, ces signes visibles (a contrario des menstruations que l’on peut dissimuler) représentent "un terrain d’affrontement de la domination" auquel deux réponses sont observées : "Soit, on se range du côté de la domination masculine qui veut que la femme n’a de valeur que quand elle est dans sa phase de reproduction et donc on dissimule les bouffées de chaleur. Soit, à l’instar des féministes américaines, on revendique ses bouffées de chaleur pour s’extraire du modèle de la domination patriarcale".

Vidéo. "Le tabou menstruel alimente les clichés sexistes que l'on a sur les femmes"

La honte d’en parler

Dans son échange avec Daniel Delanoë, Claire Fournier explique que même si elle n’avait plus le désir d’avoir un autre enfant, l’annonce de sa ménopause l’a accablée. "J’avoue que j’ai eu beaucoup de mal à parler de mes symptômes à mes collègues au bureau ou à mon conjoint. Il y a quelque chose de très enraciné qui fait penser qu’une femme va se déclasser si elle laisse voir qu’elle est ménopausée."

Un sentiment d’exclusion sociale couplé à celui de peur : "Est-ce que me outer (révéler publiquement, ndlr.) comme une femme ménopausée, ça comporte un risque de me démonétiser ?".

Une croyance pas si infondée à en croire le spécialiste. La honte d’apparaître ménopausée diverge en fonction de la société (comme celle des Indiens Maya où la ménopause est vécue comme un moment heureux pour la femme), voire du milieu socio-culturel. Parmi les nombreux entretiens qu’il a menés avec les femmes concernées, il a établi une forme de recension, loin d’être exhaustive. Le psychiatre anthropologue a remarqué que les femmes issues d’un milieu populaire, celles qui ont commencé à travailler tôt et ont eu beaucoup d’enfants, accueillent la perte de la fertilité comme "une période bénie où l’on peut enfin s’occuper de soi", la chance de pouvoir enfin penser à elles et un moment où elles n’ont plus à se soucier des autres et de la charge contraceptive. Celles qui subissent le plus ce sentiment d’être vieilles, sont les femmes issues d’un milieu bourgeois, les épouses d’un industriel, du chef d’entreprise, qui sont l’"annexe décoratif d’un capital symbolique de son mari". Elles ont le sentiment d’avoir perdu de leur valeur car leur capital est basé sur des raisons purement esthétiques. Alors que des "femmes scientifiques, qui ont une activité professionnelles, ou tout simplement, une identité construite sur d’autres choses que la reproduction, le vivaient de façon assez neutre".

Dans le monde du cinéma, où la charge esthétique incombe plus aux femmes qu’à leurs acolytes masculins, peu de personnalités s'expriment ouvertement sur leur ménopause.

Le devoir d’en parler

À l’instar des menstruations, la ménopause est marquée au fer rouge. Le tabou alimente la honte. Ces derniers temps, des essayistes et des chercheuses ont dénoncé les effets délétères du tabou sur l’émancipation sociétale.

La podcasteuse confesse que lorsqu’elle a eu l’idée d'évoquer la ménopause, des membres de son entourage ont manifesté leur incompréhension, voire leur méfiance. Au magazine Femme actuelle, elle confie les appréhensions de son mari, le journaliste Julian Bugier, à l’idée de dévoiler un pan de leur intimité : "Avec mon mari, j’ai dû faire de la pédagogie, effectivement, au début", confirme-t-elle. "Il était un peu surpris que j'ai l'intention de me dévoiler comme ça, parce qu’il m’a dit : ‘quand même, tu es quelqu'un d'extrêmement pudique’. C'est vrai qu'on ne se montre jamais, enfin, très rarement en public tous les deux. ‘Pourquoi tu veux aller raconter cette sphère de ton intimité ? Tu ne vas quand même pas parler trop de notre intimité ?’"

Pour éviter que la honte, ou pour reprendre les termes du médecin, que la domination masculine ne perdure, la parole reste l’arme de lutte la plus efficace.

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