Baisse de la natalité : pourquoi semble-t-on encore vouloir contrôler le corps des femmes ?

En 2023, le nombre de naissances a chuté drastiquement en France, passant sous la barre symbolique des 700 000 par an. C'est 6,6% de moins que l'année précédente selon l'Insee, qui a publié ses chiffres ce mardi 16 janvier. Si cette chute pose de véritables problèmes démographiques, les raisons comme les solutions évoquées pour y remédier traduisent un sexisme à peine dissimulé.

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Baisse de la natalité : pourquoi semble-t-on encore vouloir contrôler le corps des femmes ? Photo : Getty Creative

Depuis la fin de l'année 2023 et la parution des chiffres de l'Insee, ce mardi 16 janvier 2024, un vent de panique semble souffler sur la France. L'institut a révélé un rapport dont les chiffres montrent un net recul des naissances en 2023. L'année dernier, la France n'a compté que 678 000 naissances, soit 6,6% de moins qu'en 2022. Jusqu'ici considérée comme une exception à l'échelle européenne grâce à son taux de fécondité élevé, l'Hexagone semble lui aussi partie pour connaître de forts déséquilibres démographiques. Le vieillissement de la population couplé à la chute des naissances, et donc à la baisse du nombre d'actifs pourrait bien en effet avoir des conséquences désastreuses au niveau économique.

Aucune femme ne "fabrique" un enfant seule

Si le problème est connu et régulièrement mis sur la table depuis de nombreuses années, la manière dont il est traité et les solutions envisagées laissent perplexe. Après la publication des chiffres de l'Insee, plusieurs médias ont ainsi titré "Les Françaises font moins d'enfants" (quand d'autres ont utilisé le terme "Français), comme si la conception d'un être humain relevait uniquement de la responsabilité des femmes, qui en effet portent l'enfant pendant neuf mois, mais dont l'ovule doit bel et bien être fécondé par un spermatozoïde.

En d'autres termes, aucune femme ne "fabrique" un enfant seule, et les hommes semblent parfois quelque peu oubliés dans l'équation, quand les femmes, elles, sont encore trop souvent pointées du doigt et parfois culpabilisées de préférer une carrière épanouissante plutôt qu'une vie de mère de famille. Alors même que le nombre de femmes sur le marché du travail augmente le nombre d'actifs.

"Natalité en baisse : faites des gosses !"

En revanche, en ce qui concerne la manière de résoudre le déséquilibre démographique, de nombreux hommes semblent avoir un avis sur la question. Dans "Le Duel du live" sur BFM TV le 5 janvier 2024, la question semblait vite réglée sur le plateau, 100% masculin. Le bandeau affiché par la chaîne d'information en continu affichait d'ailleurs clairement la couleur : "Natalité en baisse : faites des gosses !" Face à Xavier Iacovelli, sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine, le député Aleksandar Nikolic, conseiller régional Centre-Val-de-Loire et membre du Conseil national du Rassemblement national (RN), a ainsi émis l'hypothèse d'un prêt de 100 000 euros pour aider les jeunes de moins de 30 ans à acheter un logement, qui ne serait plus à rembourser à partir du troisième enfant.

La colère des féministes

Emmanuel Macron, dans sa conférence de presse donnée ce mardi 16 janvier, a pour sa part évoqué un "réarmement démographique" et annoncé un "grand plan de lutte contre ce fléau (l'infertilité ; ndlr)". La formule a fortement déplu à de nombreuses personnalités de gauche et à des associations féministes, qui dénoncent des "injonctions natalistes". "La mise en place de politiques natalistes, profondément contraires à l'autonomie des femmes, constitue une régression politique et sociale préoccupante", a réagi mercredi la Fédération nationale des centres d'information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), exprimant sa "vive inquiétude". "Laissez nos utérus en paix", a pour sa part écrit la présidente de la Fondation des femmes Anne-Cécile Mailfert sur son compte X. "À vos utérus, prêtes... feu !", a lancé avec humour la journaliste Salomé Saqué sur le même réseau, en poursuivant : "Ça avait pourtant bien commencé : aider les personnes qui souhaitent avoir des enfants, bien sûr, mais parler de natalité en utilisant le terme "réarmement" fait écho à un imaginaire autoritaire, conservateur, plus proche de "la servante écarlate" que celui d’une société libre."

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D'autres solutions envisageables

Mais pourtant, plutôt que d'"inciter" les couples à avoir un enfant, d'autres solutions existent pour répondre au vieillissement de la population et maintenir le nombre d'actifs dans le pays, comme l'immigration. Selon Maxime Sbaihi, économiste interrogé par Les Échos, auteur du livre "Le grand vieillissement" : "Si vous avez moins d'actifs pour financer toujours plus d'inactifs, il faut aller chercher des bras et des cerveaux à l'étranger. C'est ce que font l'Allemagne, le Canada ou les États-Unis, qui ont pris conscience de leur décroissance démographique et qui du coup ont une politique migratoire très forte." Repenser le système de retraite ou miser sur l'intelligence artificielle font partie des autres solutions envisagées pour combler le manque d'actifs à venir.

Au-delà des frontières françaises, le maintien de l'équilibre démographique est une priorité dans tous les pays. Ainsi, sur certains territoires, des gouvernements sont confrontés à un problème inverse, c'est-à-dire à un taux de fécondité trop élevé et à la transmission d'IST comme le VIH. En Afrique du Sud notamment, près d'une cinquantaine de femmes porteuses du VIH ont été stérilisées de force dans des hôpitaux du pays entre 2002 et 2015. Partout dans le monde, enfant ou non, ce sont encore les femmes qui trinquent à la fin.

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