TABOU - Ils portent des capteurs de glycémie pour surveiller leur poids : "Je ne vois pas pourquoi les diabétiques seraient les seuls à y avoir droit"
Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de gourous de la minceur font la promotion des capteurs de glycémie comme méthode ultime pour perdre du poids. Une tendance qui inquiète aussi bien les personnes diabétiques que les professionnels de santé.
Sur TikTok, Instagram ou dans la vraie vie, de plus en plus de personnes sont repérées avec des petits cercles blancs collés à l'arrière du bras. Non, il ne s'agit pas d'un nouvel accessoire de mode tendance, mais d'un dispositif médical : un capteur de glucose, ou capteur de glycémie. Ces appareils, habituellement utilisés dans le cadre du suivi du diabète, sont promus par certains influenceurs comme méthode pour prendre soin de sa santé en surveillant sa glycémie. Comprenez : pour surveiller son alimentation et perdre du poids en domptant sa consommation de sucre.
Sur le papier, limiter sa consommation de sucre est en effet un bon moyen de perdre du poids, d'autant que l'on connait désormais les effets addictifs du sucre sur l'organisme. Pourtant, ce dispositif médical est-il vraiment la solution ? Les professionnels de santé en doutent.
Vidéo. "Ils sont considérés comme les ennemis de la perte de poids pourtant ils sont essentiels"
A quoi sert vraiment un capteur de glycémie ?
"Un capteur de glycémie, c'est un appareil qui permet aux personnes diabétiques de suivre leurs glycémies sur la journée et/ou sur un temps T", rappelle Anne-Laure Laratte, diététicienne-nutritionniste. "Cela peut donner les moyennes sur une période choisie ou donner les mesures au moment M, de manière à être informé de potentielles hypoglycémies par exemple, ou pour savoir comment se situe sa glycémie avant ou après une prise alimentaire. Ainsi les repas, les aliments ou même le traitement donné peut évoluer en termes de quantité, de dosage."
La spécialiste précise qu'il s'agit normalement d'un dispositif "réservé aux patient·e·s atteint·e·s de diabète", même s'ils peuvent être trouvés en libre service dans les pharmacies, ou encore sur Internet. Il suffit d'ailleurs de se rendre sur des plateformes telles qu'Amazon pour que de nombreux internautes en vantent les mérites. Et c'est là-bas que Julien, 32 ans, se fournit. "Avant, je les achetais en pharmacie, mais j'avais toujours droit à des regards désapprobateurs de la pharmacienne car je n'avais pas d'ordonnance. Je les paye deux fois plus cher sur Amazon, mais au moins, il n'y a personne pour me juger", explique-t-il.
Le trentenaire, grand adepte du sport, a une alimentation calculée au gramme près : "Je me suis composé tout un programme alimentaire avec des macros précises. Je mange essentiellement des protéines, et j'essaye de limiter au maximum mes apports en glucides pour ne pas prendre de poids. Mon capteur de glycémie m'envoie les infos directement sur mon téléphone, et ça me permet de surveiller mes apports, c'est un gadget génial."
Une expression et une tendance qui énerve les diabétiques
"Un gadget". C'est souvent de cette façon que l'appareil est décrit pas ses adeptes, et l'expression énerve profondément Caroline, 25 ans et diabétique depuis son enfance. "Pour eux, c'est un gadget. Pour moi, c'est un outil vital. Et régulièrement, il y a des ruptures de stocks, puisque comme les appareils sont disponibles sans ordonnances, n'importe qui peut en acheter. Heureusement, on a d'autres méthodes, mais elles sont nettement plus embêtantes, parce qu'on doit se piquer le doigt, prélever du sang... En voyage, par exemple, ou à l'extérieur, on a connu plus pratique et hygiénique", regrette-t-elle.
"Je ne pense pas que les influenceurs minceur accepteraient de se piquer le doigt plusieurs fois par jour, ils utilisent les capteurs parce que c'est pratique. Et surtout, ils n'ont pas conscience que si leur glycémie est trop haute, ce n'est pas immédiatement dangereux pour eux, alors que ça l'est pour nous."
En effet, ainsi que le rappelle la Fédération des Diabétiques : "Chez une personne non-diabétique, l’insuline est sécrétée de manière continue et elle régule notamment le taux de glucose (ou glycémie) dans le sang. (...) Ce système ne fonctionne pas correctement chez les personnes qui développent un diabète." Les personnes diabétiques doivent alors compenser avec l'injection d'insuline.
Malgré l'aspect médical de l'appareil, Amélie, 25 ans et non-diabétique, ne compte pas y renoncer pour autant : "Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à vouloir contrôler ma glycémie. Et je ne vois pas pourquoi les diabétiques seraient les seuls à y avoir droit. Déjà que nous on doit payer plein pot alors que les leurs sont remboursés par la Sécurité Sociale... Pour moi, c'est juste une façon de prendre soin de sa santé et de prévenir un éventuel diabète qui arriverait sur le tard."
Suivre sa glycémie, est-ce essentiel pour perdre du poids ?
Si les influenceurs minceur sont si séduits par les capteurs de glycémie, c'est parce qu'ils voient le sucre comme leur pire ennemi. "Surveiller sa glycémie peut aider à perdre du poids dans le sens où on va réduire ses apports en glucides, sans viser l'hypoglycémie", confirme Anne-Laure Laratte. "Le capteur aidera à identifier l'évolution des glycémies selon les types de repas, d'activité physique... Les pics glycémiques et les glycémies hautes signifient généralement une arrivée trop rapide de glucides dans le sang ou un apport en glucides trop important, et donc une possible prise de poids. Les gens vont donc chercher à contrôler leurs apports alimentaires dans la visée de perte de poids."
Mais elle précise : "Normalement, hors diabète, nous n'avons pas besoin de contrôler cela. Ce n'est pas du tout essentiel. Si on souhaite jouer sur le poids, rétablir une alimentation équilibrée sera indispensable, et celle-ci permet d'avoir des glycémies régulières, d'éviter les pics glycémiques, une alimentation qui fait que le foie et le pancréas bossent bien, sans être surchargés. Donc non, pas besoins de ce dispositif pour perdre du poids."
D'ailleurs, la diététicienne-nutritionniste estime que la popularisation de ce type d'appareil peut être dangereuse. "Oui, clairement. Parce que déjà cela réduit l'accès à des dispositifs médicaux à des personnes malades qui en ont besoin pour vivre ! Aussi, cela renforce encore les restrictions qu'on peut se mettre, la vision dichotomique de l'alimentation : bonne ou mauvaise alimentation, sans nuance, avec une hyper vigilance qui peut entraîner de la restriction cognitive." Et de conclure : "Une sur-surveillance est plutôt néfaste à long terme : frustration, compensation, vision manichéenne de l'alimentation."
Vidéo. "Vous allez perdre des kilos très rapidement mais ça va être terrible pour votre système digestif"
A lire aussi