Almond Moms : "J'ai grandi avec une mère constamment au régime, et ça a ruiné mon rapport à la nourriture"

Depuis plusieurs semaines, sur TikTok, les vidéos dénonçant l'attitude des "almond moms", ces mères toujours au régime, font bien rire les internautes. Mais ces comportements, qui peuvent prêter à sourire, n’ont pourtant rien de drôle quand ils ont un impact durable sur le rapport à la nourriture de leurs enfants. Et en particulier de leurs filles, premières victimes de cette grossophobie intériorisée.

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Almond Moms : "J'ai grandi avec une mère constament au régime, et ça a ruiné mon rapport à la nourriture". © Getty Images

"Tu ne vas pas manger maintenant, on doit dîner dans 3 heures !" "Tu vas vraiment te resservir alors que tu as déjà mangé une portion ?" "Non, pas de pain pour moi, tu sais très bien que ça fait grossir." Ces phrases, vous les avez sans doute entendues dans votre jeunesse, de la part des femmes de votre entourage. Vous les prononcez peut-être aussi aujourd'hui vous-même, tant elles sont ancrées dans votre façon de penser. Ces déclarations ont deux points communs : elles font état de la normalisation des privations alimentaires, et font partie du discours de base de ce que l'on appelle les "almond moms", ou les "mamans aux amandes".

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Qu'est-ce qu'une "almond mom" ?

Popularisées via TikTok où leurs attitudes sont tournées en dérision par de nombreuses diététiciennes-nutritionnistes, les "almond moms" sont des femmes obsédées par leur alimentation, et celle de leurs enfants. Ces dernières sont généralement devenues mères dans les années 80 et 90, époque où la maigreur extrême façon Kate Moss était considérée comme un idéal de beauté, et où les régimes dangereux et toxiques se sont multipliés.

Aujourd'hui, de plus en plus de personnes dénoncent ces régimes totalement ancrés dans les esprits, surtout quand on sait que 93% des femmes préparent leur corps aux regards en été, selon une récente enquête IFOP. L'injonction au summer body est toujours présente, mais les rapports à la nourriture et aux privations commencent à évoluer. Ce qui n'est pas gagné d'avance quand on a grandi avec une "almond mom".

Fréquemment utilisé aux Etats-Unis depuis plusieurs années – au même titre que les références au régime Spécial K en France –, l'expression "Almond Mom" a été popularisée par le comportement de Yolanda Hadid, mère des mannequins Gigi Hadid et Bella Hadid, qui s'est régulièrement vu reproché les privations de nourriture imposées à ses filles, en leur recommandant de "manger quelques amandes et de bien mâcher", alors qu'elles étaient sur le point de tourner de l'oeil.

Grandir avec une mère constamment au régime

"Je ne crois pas avoir vu une seule période où ma mère n'était pas au régime, ou même où elle n'était pas grossophobe", raconte Lisa, trentenaire. "J'ai grandi dans cet environnement avec des remarques sur le corps des femmes, et où il fallait toujours faire attention à ce que l'on mangeait. Chez moi, il n'y avait pas de sucre, c'était interdit. Et il y avait toujours une notion de "il faut faire attention à ce qu'on va manger”." Même son de cloche chez Caroline, dont la mère avait "une relation avec la nourriture vraiment dans la maîtrise de soi, à être très dans la retenue.” “Par exemple, quand on allait manger au McDo, elle prenait toujours une salade. Elle ne mangeait que des petites quantités, et elle soulignait qu'elle ne mangeait pas beaucoup, qu'elle mangeait light.".

Dans le cadre de notre appel à témoin pour cet article, ce sont plus de 200 femmes cisgenres et hommes trans qui témoignent de cette vision constante de leurs mères au régime. Et l'impact que cela a pu être pour elles et eux en tant qu'enfants assignés femme à la naissance. "Ma mère se privait sans cesse", confirme Pauline. "Elle disait qu'elle n'avait "pas le droit" de manger ceci ou cela. En grandissant, j'ai compris qu'elle ne prenait pas vraiment de plaisir à manger, elle ne se rappelle jamais d'un bon repas par exemple et a peu d'envie de repas. Pour elle, les repas, c'était plutôt la pénibilité de devoir choisir quoi faire, le faire et faire manger 4 enfants en gros. Sauf qu'elle n'a laissé transparaître que le côté sacrifice et devoir. Du moins, c'est ce que la petite fille a retenu."

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Des différences de traitement entre les filles et les garçons

Aucun homme n'a répondu à notre appel à témoins. Maxence, 25 ans, a pourtant grandi lui aussi avec une "almond mom". "C'est ma sœur qui m'a posé la question", précise-t-il. "Elle voulait savoir si j'avais remarqué que maman était constamment au régime, et si j'avais le souvenir que notre alimentation était traitée différemment. Et c'est vrai : ma mère interdisait toujours à ma soeur de prendre du pain, ou de se resservir."

"Si encore ça s'était arrêté au pain et au rab'...", regrette Noëlle, la sœur de Maxence. "Je ne compte plus les dîners où j'ai dû manger de la soupe quand mes frères avaient droit à des frites, aux compotes quand eux mangeaient des crêpes au chocolat, au Perrier quand eux buvaient du soda. Ma mère disait toujours : "Les garçons ont besoin de plus manger que les filles. Les filles doivent faire attention à leur poids"."

Une vision confirmée par Caroline, qui a connu la même chose chez elle en grandissant : "Les hommes de ma famille avaient une alimentation différente. Même aujourd'hui, quand elle sert mon père et mon frère, elle ne leur met pas les mêmes quantités qu'à moi. C'est ancré dans ses habitudes et ses gestes."

Une enfance passée au régime

L'une des caractéristiques des "almond moms" n'est pas seulement qu'elles sont en permanence au régime. C'est aussi qu'elles imposent une alimentation très restrictive à leurs enfants, et en particulier, encore une fois, à leurs filles. "Ce n'était pas vraiment un régime à proprement parler mais déjà, avant mes 5 ans, on m'empêchait de me resservir à table", confirme Pauline. Lisa, elle, se souvient des commentaires sur sa silhouette, très jeune : "Je ne pourrais pas définir à quel âge elle m'a mise au régime, car ça a toujours été là. Mais ça s'est accentué à l'adolescence, avec des réflexions du style : "Rentre ton ventre", ou "Tu vas avoir un gros pétard". Je n'ai pas un souvenir de ma vie où je n'ai pas été restreinte, ou jugée sur les quantités que je pouvais manger, même quand j'étais maigre."

De leur côté, Caroline et Eloïse ont toutes les deux consulté des nutritionnistes très tôt, à 13 ans pour la première, et à 12 ans pour la seconde. "Quand j'y repense aujourd'hui, je trouve ça dingue", regrette Eloïse. "J'étais en pleine croissance, et je n'avais pas le droit de manger ce qui me plaisait. Le soir, c'était soupe. Au resto, c'était salade, qu'on soit dans un fast food ou dans une pizzeria, ou ailleurs. Je ne prenais aucun plaisir à manger avec ma famille, car j'avais l'impression d'être scrutée. Mais dès que j'étais chez les autres, je me lâchais. Je me rappelle avoir vomi moins d'une heure après être arrivée à un anniversaire, à 14 ans. Pas parce que j'avais bu, mais parce que je m'étais empiffrée de bonbons dès mon arrivée."

Des troubles du comportement alimentaire à la clé

Sur les réseaux sociaux, les diététiciennes nutritionnistes qui dénoncent le comportement des "almond moms" pointent toutes du doigt le même risque : celui de développer un rapport biaisé à la nourriture et même, souvent, des troubles du comportement alimentaire. "Je suis boulimique et hyperphagique", confirme Eloïse. "Comme je n'arrivais pas à atteindre le poids que ma mère m'imposait sur la balance simplement en me privant de nourriture, j'ai commencé à me faire vomir et à prendre des laxatifs, pour pouvoir manger n'importe quoi."

Lisa a connu un parcours similaire : "Aujourd'hui, mon rapport à la nourriture est toujours problématique, j'ai des TCA, et je note tout ce que je mange, de la tasse de café à la nectarine. Ça calcule les calories que je consomme, et je consomme moins de calories que ce que je devrais. Je me pèse tous les deux jours, j'ai par moment des phases d'hyperphagie, et ça m'arrive de me faire vomir après. C'est ma norme, et je ne sais pas à quoi ressemble un régime alimentaire normal. Mais si je le voulais, je ne saurais pas comment faire."

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Pauline, elle, souffre de dysmorphophobie : "Pendant 15 ans, je me suis fait vomir. Je faisais un jeûne intermittent – sans mettre de mot dessus car ça n'existait pas à l'époque. Je ne mangeais que le soir, en grosse quantité de féculents par exemple, et je devais aller vomir. Parfois pour ne pas souffrir directement, parfois par peur que ça se répercute sur mon poids. Je souffre de dysmorphophobie depuis l'enfance. Je vois mon corps bien plus gros qu'il ne l'est, malgré les chiffres sur la balance, et surtout plus laid qu'il ne doit l'être. Je vois sur mon corps l'effet d'1kg pris voire moins."

Toutes travaillent également sur elles pour améliorer leur rapport à la nourriture : "Aujourd'hui, j'entretiens une relation hyper compliquée avec la nourriture. J'ai un gros sentiment de culpabilité, et c'est devenu une obsession totale. Heureusement, je déconstruis tout ça avec une psy et c'est très cool", confirme Caroline. Pauline, elle, veut le faire pour sa fille : "J'ai arrêté ce "régime" le jour où j'ai décidé d'essayer m'aimer pour que ma fille puisse avoir l'opportunité de s'aimer elle-même."

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