Aurélie Croiziers de Lacvivier, droguée au GHB : "J'ai eu l'impression de sortir d'une anesthésie générale, c'est la plus grande peur de toute ma vie"
Louane a-t-elle été droguée au GHB ? C’est la question qui se pose alors que la jeune chanteuse a déposé plainte, lundi 13 juin 2022, à la suite de "symptômes étranges" après avoir bu un verre dans un café de Montmartre. Si les résultats de ses analyses de sang sont encore attendus, cette nouvelle affaire trouve un dramatique écho dans l’histoire de nombreuses femmes, victimes de la fameuse drogue du violeur. Parmi elles : Aurélie Croiziers de Lacvivier. Dans son roman, "Réveil à Shanghaï" (Ed. Samsa), l’autrice tente de recoller les morceaux de cette nuit de 2009, en Chine, où tout a basculé. Pour Yahoo, elle revient sur ce traumatisme et la façon dont elle s’est reconstruite.
Nous sommes la nuit du 31 décembre. Denise se réveille "blessée et sidérée à Shanghai, dans un lieu qu’elle ne connaît pas." Voilà le début du livre d’Aurélie Croiziers de Lacvivier, "Réveil à Shanghaï"(Ed. Samsa). Une auto-fiction comme catharsis pour mettre des mots sur ce qu’elle a vécu. Comme son personnage principal prénommé Denise, Aurélie Croiziers de Lacvivier s’est elle aussi réveillée dans un lieu inconnu, au lendemain d’une soirée dont elle a oublié la fin. C’était il y a plus de dix ans.
La nuit où tout a basculé
Nous sommes alors le 31 décembre 2009. Aurélie Croiziers de Lacvivier vit en Chine depuis 6 mois lorsqu’elle décide de fêter le nouvel an avec des amis et son compagnon d’alors, au sein de l’un des plus prestigieux hôtels de Shanghaï, Le Marriott. "C’était 100 euros l’entrée et c’était une soirée à destination des expatriés et des riches chinois de Shanghaï" se souvient-elle pour Yahoo. La soirée est plaisante. La joyeuse bande s’amuse en attendant le passage à l’an 2010. Mais les choses dérapent en quelques secondes : "Après avoir trinqué pour les 12 coups de minuit... plus rien." 12 ans plus tard, Aurélie ne se souvient toujours pas du nombre d’heures après lesquelles elle s’est réveillée, mais tente une estimation, "entre quatre et cinq heures plus tard... dans un autre lieu."
Lorsqu’elle ouvre les yeux, la jeune expatriée n’est pas chez elle, ni à l’hôtel, mais dans un salon de massage. "C’était probablement à quelques centaines de mètres du lieu où j’ai passé la soirée, mais j’étais dans ce salon de massage que je n’avais jamais vu de ma vie, avec des personnes que je n’avais jamais vues de ma vie. Je me rappelle avoir ouvert les yeux, leurs têtes effarées, parce que j’étais une Française à Shanghaï dans un sale état, ça je ne le savais pas encore" raconte-t-elle. Au flou de la situation s’ajoutent l’angoisse et cet inconfort physique aussi soudain qu’étrange. Aurélie a la sensation de sortir d’une "anesthésie générale" : "Ton corps est lourd. C’était très pesant." Le début de l’enfer.
"Mon ex pensait que je l'avais trompé"
Aurélie n’a rien oublié de ce réveil dans ce salon de massage qui lui était si inconnu : "J’avais envie de me réveiller, en même temps je n’y arrivais pas. Le seul truc qui a guidé tous ces réveils-là c’est une terreur sans nom. Je n’avais qu’une envie : rentrer chez moi." Très vite, elle réalise que, si elle est bel et bien vêtue comme la veille avec ses collants, sa jupe et son t-shirt, d’autres choses ont disparu. Sa veste, ses clefs, son portable. Grâce à sa maitrise du mandarin, Aurélie parvient à se faire aider par le gardien de l’immeuble qui accepte de la ramener chez elle. "J’arrive à la maison et là je tombe sur des copains de mon ex qui font : ‘Ah !’ Ils ont été traumatisés de me voir comme ça. Je vais à la salle de bain, et là je vois que j’ai une énorme bosse sur le front et que j’ai tout mon maquillage qui dégouline."
Le troisième choc se joue lorsque son compagnon d’alors rentre chez eux. Lui non plus n’a pas saisi ce qu’il s’est passé la veille au soir. Lorsqu’il s’est rendu compte qu’Aurélie avait disparu, il s’est mis à la chercher. Et c’est en visionnant les bandes de vidéosurveillance du Marriott qu’il l’a vue sortir de l’établissement avec quelqu’un : "Il s’est évidemment fait le scénario que je suis sortie avec un mec, et qu’éventuellement je l’ai trompé." Aurélie doit alors faire face aux doutes de son compagnon sur sa fidélité. L’enfer continue lorsque, "après quelques heures de sommeil", l’homme qu’elle aime alors la force à un rapport sexuel non consenti, "qu’on appelle aujourd’hui viol conjugal" rappelle-t-elle.
Retrouvez l'intégralité de l'interview d'Aurélie Croiziers de Lacvivier pour Yahoo
"Une fellation forcée n'est pas considérée comme un viol en Chine"
Ce 1er janvier 2010, Aurélie sait qu’il lui faut prendre les choses en main, malgré son état de sidération. Elle fait alors le tour des hôpitaux de Shanghaï toute seule et fait soigner ses blessures au visage. Dix ans plus tard, pour Yahoo, elle se souvient encore des pensées qui traversaient alors son esprit : "J’ai cru que je m’étais éventuellement bourré la gueule, que j’étais en état d’ébriété, et que tout ce qui s’était passé n’était pas lié à la drogue du violeur. Surtout que mon ex, en plus d’avoir la conduite déplorable qu’il a eue, m’a sorti un truc du genre : ‘C’est bien fait pour toi’."
Seule, sidérée, choquée, Aurélie va passer trois jours dans cet état de flou douloureux, pensant avoir abusé de la boisson lors d’une soirée trop arrosée. C’est finalement sa patronne de l’époque qui va sonner l’alerte lorsqu’elle entend son récit. Les deux femmes font alors appel à l’avocate de l’entreprise qui porte immédiatement plainte. Mais elles se confrontent très vite aux rouages d’une société différente de celle de la France. Le Marriott refuse catégoriquement de leur donner accès aux enregistrements de vidéosurveillance, celles que le compagnon d’Aurélie avait pourtant pu visionner. La jeune femme se heurte alors à des moeurs brutaux : "Je me rappelle de ce moment où le policier me dit qu’une fellation forcée n’est pas considérée comme un viol en Chine. Je me disais : ‘Je ne sais même pas si j’ai fait ça ou pas’."
"La drogue du violeur met dans un état de soumission"
C’est un médecin français à Shanghai qui, le premier, avance une reconstitution des faits qui se seraient déroulés cette nuit-là. "Il m’a expliqué que la manière dont je m’étais réveillée, rendormie, réveillée, rendormie, ce n’était pas de l’alcool, que c’était 100% sûr que ce soit du GHB, et que malheureusement c’était trop tard pour faire le moindre test puisqu’il y avait eu un autre rapport sexuel derrière" se souvient Aurélie. Le professionnel donne aussi une hypothétique explication à la fameuse bosse sur sa tête : "C’était probablement dû au fait que le GHB, à un moment, a eu moins d’effet sur moi, que j’ai eu la lucidité de m’enfuir, et qu’a priori je suis tombée de ma hauteur. Il m’a aussi rassurée sur le fait que mon intégrité physique n’a pas été touchée : ‘Si vous aviez été violée, votre corps s’en rappellerait.’"
Des paroles somme toute rassurantes. Mais cette absence de souvenirs hante Aurélie. Comment peut-elle être certaine de ne pas avoir été violée ? "Aujourd’hui je me dis que la drogue du violeur te met dans un tel état de soumission que, peut-être, il y a des choses qui se sont passées ‘en douceur’ et que je ne saurais jamais." Auprès de ce médecin français, Aurélie apprend aussi qu’elle n’est malheureusement pas un cas isolé, et que beaucoup de jeunes femmes comme elles avaient consulté pour les mêmes raisons, "une par mois". En tentant de comprendre le déroulé de cette nuit, elle en est finalement certaine : son état n’était pas dû à l’alcool, mais bien au GHB. Elle se souvient d’ailleurs de son amie tchèque avec qui elle a dansé et trinqué et qui, comme elle, n'a aucun souvenir de cette fin de soirée : "On avait posé nos deux verres sur le bord de la piste de danse, et elle s’est réveillée dans les WC de l’hôtel. Elle ne sait pas comment elle s’y est retrouvée, mais quand elle a repris connaissance elle était à moitié comateuse également. Le fait que toutes les deux on ait eu cette même absence au même moment et ce même réveil au même moment m’a confirmé ce que je suppose être une agression au GHB."
Sensibiliser et se reconstruire
Pour sensibiliser davantage, Aurélie fournit des détails sur ce qui lui a très vite laissé penser qu’il ne s’agissait pas là d’une simple soirée arrosée : "Le réveil qui suit la prise du GHB est radicalement différent du réveil après une cuite habituelle ou après une soirée alcoolisée. Dans mon cas je me suis réveillée, rendormie, réveillée, rendormie, avec vraiment cette impression de sortir d’un coma ou d’une anesthésie générale. Je n’ai pas vomi, je n’avais pas de gueule de bois" précise-t-elle, évoquant un "réveil saccadé, endolori, enfermé dans son corps."
Douze ans ans plus tard, elle n’a rien oublié de cet instant effrayant : "On se sent vraiment à côté de son corps. Il y a la peur, un effroi. Une peur comme ça, moi, ça ne m’est jamais arrivé. C’est la plus grande peur de toute ma vie. C’est comme si on effaçait plusieurs heures d’une soirée et tu as zéro souvenir." Aujourd’hui, Aurélie Croiziers de Lacvivier a fait la paix avec l’idée qu’elle ne saura sans doute jamais vraiment ce qu’il s’est passé, ni même l’identité de la personne avec qui elle a quitté l’hôtel cette nuit du 31 décembre 2009. Et c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles elle a écrit son roman, "Réveil à Shanghaï", pour "dégueuler cette histoire, et remplir les blancs" à travers la fiction. "Ça a été le début d’une très très longue histoire d’amour avec l’écriture. Et ce roman, je suis heureuse de l’avoir terminé et de le partager aujourd’hui. J’ai envie d’une part à mon niveau personnel que la honte change de camp (…) et puis peut-être que d’autres personnes le liront et diront : ‘Ah, c’est ça qui m’est arrivé aussi.’"
Un témoignage particulièrement important à l’heure où le fléau des agressions en soirée, par le biais non seulement du GHB mais aussi d’autres procédés, inquiète de plus en plus.
Interview : Lucile Bellan
Article : Sarah Mannaa
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