"En l'espace de 20 minutes, je sens des gouttes perler le long de mon dos et ça me dégoûte" : l'été pénible des personnes souffrant d'hyperhidrose
Pierre et Hanane* souffrent de transpiration excessive. Et avec le retour de la chaleur, leur trouble devient difficile à cacher. Alors ils mettent en place des stratégies et font tout pour éviter certaines situations à risques, dans l'espoir que leur hyperhidrose passe inaperçue. Un été sous contrôle qu'ils appréhendent déjà.
Le soleil est revenu, les vacances d'été ne sont plus qu'une question de jours, et tout le monde se réjouit du retour de la chaleur. Vraiment tout le monde ? Non, pas ceux qui comme Hanane*, souffrent d'hyperhidrose, un terme médical qui désigne la transpiration excessive. À 31 ans, la jeune femme en est atteinte au niveau des mains et des pieds, depuis l'enfance. Un problème que l'on peut avoir tendance à minimiser, si l'on ignore à quel point il complexifie le rapport à l'autre.
Gérer sa transpiration excessive dans les situations sociales lui demande une énergie folle. "Devoir me concentrer sur mon hyperhidrose en plus des conversations et de l'environnement est épuisant, car je sens comme si je portais constamment un masque sur mon visage". Ajouté à cela des crises d'angoisse régulières qu'elle estime également liées à l'hyperhidrose, et l'on comprend à quel point cette dernière fragilise ses liens avec autrui. "La transpiration se relève être très inconfortable pour réaliser certaines choses de la vie quotidienne qui paraissent si simples pour les autres. C'est comme beaucoup de situations dans la vie : tant que l'on ne vit pas avec, on ne peut pas se rendre compte de ce que c'est réellement. Cela créé un sentiment de solitude".
Comme d'autres personnes atteintes, Hanane explique avoir développé "tout un tas de stratagèmes" pour que personne ne s'aperçoive de rien, comme "s'essuyer les mains discrètement sur [s]es vêtements avant une poignée de mains, éviter le plus possible tout contact tactile, refuser le ticket de caisse car l'encre déteint".... "Le naturel et la spontanéité laissent place à l'angoisse d'être "mise à nue" et d'être confrontée à la réaction de l'autre. Avoir les mains pleines de sueur impacte l'estime de soi, la confiance en soi", explique celle qui le vit comme un véritable handicap.
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Les t-shirts gris sont bannis
Alors lorsque la saison chaude revient, la trentenaire a du mal à se réjouir. Elle redoute principalement son hyperhidrose des pieds, qu'elle décrit comme plus difficile à vivre et dissimuler l'été. Il lui faut alors s'organiser, en prévoyant des chaussures adaptées : "Je ne porte que certaines marques. J'ai déjà testé des chaussures non-adaptées et le problème est, qu'au-delà de l'inconfort ressenti, je casse ma chaussure ou je me blesse car le frottement occasionné par la transpiration excessive va jusqu'au sang".
"L'été, Il est compliqué pour ces personnes de porter des tongs en caoutchouc, parce que cela glisse, mais également des tongs en cuir, car la transpiration les tache et fait moisir le cuir. Sans compter qu'au niveau des pieds, la transpiration produit de l'humidité et, ajoutée à la chaleur, peut donner des verrues et des mycoses plus facilement. Ce n'est pas anodin", ajoute le Dr Vincent Cante, dermatologue et vénérologue à Bordeaux. En plus des chaussures, Hanane doit toujours prévoir un "kit" spécial hyperhidrose, lorsqu'elle prévoit une sortie estivale, comprenant des mouchoirs pour s'essuyer les mains, une grande bouteille d'eau, et des vêtements en coton.
Selon le Dr Cante, les patients souffrant d'hyperhidrose consultent principalement au printemps, période de l'année où il devient difficile de camoufler la transpiration, notamment des aisselles, en l'absence de pull, veste, manteau. L'habillement devient alors une grande préoccupation. "Ils sont contraints de choisir leurs vêtements en fonction de la transpiration, notamment pour la matière et la couleur. Certains restent en noir et beaucoup évitent le gris, car il va y avoir un contraste important entre la couleur mouillée et la couleur sèche".
S'interdire des activités ou des destinations de vacances
Mais leur besoin d'anticipation ne se limite pas à ce qu'ils mettent dans leurs valises. L'été, Hanane va jusqu'à organiser ses journées en fonction de son trouble. "Clairement, je privilégie des activités plutôt en lien avec la nature où il n'y a pas trop de monde. J'adore la randonnée, le canoé, les balades à vélo, mais je n'irais pas faire de l'escalade par exemple".
Pierre, qui souffre d'hyperhidrose depuis ses 16 ans, a lui aussi tendance à choisir son lieu et ses loisirs de vacances en fonction de sa gêne. "Je pense que je me suis volontairement construit une carapace, en me persuadant que je n'aime pas certaines choses. De manière générale, j'évite tout ce qui peut être lieux clos comme les cinémas et musées et/ou lieux avec du monde comme les terrasses de cafés, et bien évidemment les voyages dans les pays chauds". Mais même en se privant de ces petits plaisirs, l'été reste une saison particulièrement délicate pour lui : "À partir du moment où il fait 25 degrés, mon corps se transforme en éponge". Sa plus grande angoisse : les périodes de canicule. "En l'espace de 20 minutes, même en restant inactif, je sens des gouttes perler le long du dos, du ventre, et cela touche même les cuisses. Je ressens de la honte et du dégoût, que ce soit par rapport aux regards des autres, ou vis à vis de moi-même. J'ai déjà surpris des regards blessants...".
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"Jusqu'à présent, je n'ai pas trouvé de compagne qui accepte cela"
Et son incapacité à profiter des jours de chaleur n'impacte pas que lui. Son entourage aussi doit s'adapter à ses contraintes, ce qui peut provoquer des frustrations. Ainsi, à 39 ans, Pierre a bien du mal à entretenir des relations amoureuses sur la durée. "La totalité des personnes que je connais aime la chaleur et le soleil. Alors quand je commence à expliquer que je ne pourrai pas vivre l'été normalement, profiter des terrasses, prévoir des vacances au soleil par exemple, ça commence vite à peser sur le moral des deux côtés. Jusqu'à présent, je n'ai pas trouvé une compagne qui accepte cela". Sans compter qu'au quotidien, la spontanéité des contacts physiques est largement mise à mal par l'hyperhidrose."Aucun problème pour donner la main à ma copine. J'ai été opéré pour mon hyperhidrose des mains et depuis, elles sont archi-sèches quelle que soit la période de l'année. En revanche, je refuse qu'elle passe la main dans mon dos ou sur mon ventre". De quoi provoquer frustrations et vexations des deux côtés.
Quelles solutions pour pouvoir de nouveau profiter de la vie ? En plus des traitements locaux (crèmes, roll on etc) qui s'appliquent aux aisselles, le Dr Cante évoque quatre méthodes : l'ionophorèse, qui réduit la production de la sueur grâce à des courants électriques, le MiraDry® qui détruit les glandes sudoripares avec des ondes, le botox qui les paralyse ou encore en dernière alternative la sympathectomie, opération qui pince ou coupe le nerf envoyant l'information aux glandes. "C'est souvent un cheminement", explique le spécialiste qui précise que le critère à prendre en compte pour déterminer la présence d'une hyperhidrose n'est pas tant le niveau de transpiration que la gêne ressentie. Entre 1 et 4% de la population générale, autant féminine que masculine, en serait affectée.
*Ce prénom a été modifié
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