Trop grosse, trop grande, racisée...Un homme sur deux refuse d'être en couple avec une femme qui ne correspond pas aux normes de la société
Y a-t-il une différence entre préférence physique et discrimination ? Sortir avec des personnes qui correspondent à des critères de beauté particulier est-il excluant par rapport à d'autres ? Ces questions reviennent régulièrement et sont toutes légitimes. Toutefois, une récente étude prouve que le problème est plus profond et même systémique.
Il faut être honnête : on a toutes et tous une liste de critères pour décrire l'homme idéal ou la femme parfaite, quelle que soit son orientation sexuelle. Mais ces critères doivent-ils impérativement être remplis pour qu'une personne nous convienne ? Et surtout, sont-ils réellement basés sur des préférences personnelles, ou bien tout simplement inspirés par les diktats de la société ? Le doute plane, en particulier dans une époque où de plus en plus de personnes s'interrogent sur leur niveau de déconstruction, justement pour s'éloigner de ce que l'on s'imposait auparavant à cause du regard extérieur.
Les normes physiques ont la peau dure
Dans sa dernière enquête en partenariat avec le réseau social libertin Wyylde, l'Ifop s'intéresse justement à la question de la déconstruction dans le couple hétérosexuel. Et prouve qu'il y a encore un long chemin à parcourir. En effet, l'étude indique un chiffre assez alarmant : 48% des hommes, toute tranche d'âge confondue affirment qu'ils n’accepteraient pas d’être en couple avec une femme ne respectant pas les normes de beauté que la société impose aux femmes. Une résistance particulièrement présente chez les jeunes hommes de 18 à 24 ans (51%), plus sensibilisés à l’aspect sociétal de l’égalité hommes-femmes mais encore fortement imprégnés par les diktats de beauté féminine Et cela englobe tout un tas de choses : le poids, la taille, la couleur de peau, le handicap ou même tout simplement la couleur de cheveux. Sans oublier évidemment les poils : 45% des hommes refuseraient d’avoir des rapports sexuels avec une femme qui ne se rase pas les jambes, 47% se refuseraient également à une femme ayant des poils sur les aisselles, ou encore sur le pubis. Et ce, peu importe l'âge des sondés ! Preuve qu'il s'agit d'une construction qui touche l'ensemble des hommes, et non pas d'un problème générationnel.
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Et si vous vous posez la question : oui, c'est une forme de discrimination. Il suffit de faire un petit tour sur les réseaux sociaux : les femmes qui sortent du moule sont régulièrement victimes de moqueries, de harcèlement. Bien plus que les hommes, d'ailleurs. Si ces derniers ne sont évidemment pas à l'abri du bodyshaming, ils subissent nettement moins les injonctions à la minceur ou à tout simplement rentrer dans les cases. Et pour cause, les diktats de la beauté sont profondément ancrés dans une culture patriarcale qui est sexiste, raciste, grossophobe et validiste.
"Sortir avec un·e gros·se ? Jamais, ça me dégoûte"
Cette phrase est particulièrement violente, mais toutes les personnes en surpoids l'ont déjà entendue. Considérées comme des personnes feignantes, qui manquent de volonté, les gros·ses ont souvent bien plus de mal à trouver l'amour, et de nombreux célibataires assument clairement le fait de ne pas vouloir sortir avec quelqu'un qui dépasse un certain chiffre sur la balance. Maelys en a fait l'expérience récemment sur un site de rencontres : "Le mec avec qui je parlais m'a dit qu'il n'était 'pas attiré par les gens avec du gras'. Quand je l'ai interrogé sur le fait que c'était probablement dû aux normes de la société, il m'a fait une comparaison foireuse avec la nourriture : 'J'aime pas les sushis non plus, du coup, tu veux que je me force à en manger jusqu'à ce que j'aime ?' Ridicule !"
Si les hommes sont nombreux à affirmer ne pas vouloir sortir avec une femme grosse sur les réseaux sociaux, rares sont ceux qui ont accepté de répondre à nos questions, et de nous expliquer pourquoi. Manu*, 38 ans, a finalement bien voulu se livrer à ce sujet et l'affirme : "C'est une question de préférence, c'est tout. On dit toujours que les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas, mais dès que l'on dit qu'on ne veut pas sortir avec un certain genre de femme, les wokistes s'énervent et crient à la discrimination. Moi, les meufs grosses, ça me dégoûte, je ne trouve pas ça beau, et je ne veux pas de ça dans mon lit ou dans ma vie." Les personnes en surpoids apprécieront sans doute le "ça" totalement déshumanisant... Le trentenaire précise : "Je sais que je vais passer pour un connard, mais chacun a le droit de coucher avec qui il veut, de sortir avec qui il veut. Et pour être honnête, ça m'étonne toujours quand je vois un mec canon se taper une grosse." Charmant.
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"Je crois que je n'assumerai pas de sortir avec une femme plus grande"
Si Manu* affirme que ses goûts en matière de femmes sont strictement personnels, Romain*, lui, s'interroge un peu plus. "J'ai déjà refusé de sortir avec des femmes qui étaient plus grandes que moi", explique-t-il un peu dépité. "Je suis un mec plus petit que la moyenne, et j'avais peur que la différence de taille soit bizarre. J'ai l'impression que si ma compagne était plus grande que moi, je serai en permanence renvoyé à ma taille." Le jeune homme affirme toutefois qu'en agissant de la sorte, il a conscience de passer à côté de potentielles histoires d'amour, d'autant qu'il réalise parfaitement qu'il ne s'agit pas réellement d'une préférence physique. "Je dirais que c'est surtout lié à mes insécurités personnelles, et à un diktat sociétal. Dans notre société, un homme doit être grand, et les mecs en couple avec des nanas plus grandes sont toujours pointés du doigt."
Romain* a raison, et encore une fois, c'est à cause de la vision patriarcale du "mâle alpha" que ce diktat de la grandeur est imposé aux hommes. D'autant que si l'on creuse un peu du côté scientifique de l'attirance, le physique n'est pas la première chose qui détermine une histoire d'amour. De nombreux spécialistes l'affirment, cette dernière est plus une question de biologie et de chimie, et est dictée par les phéromones et les hormones. Même si Jacques Diezi, professeur au département de pharmacologie et toxicologie de l’université de Lausanne, apporte une nuance intéressante dans les colonnes de Santé Magazine : "Analyser l’amour et les désirs en termes d’imagerie cérébrale est encore impossible, mais oui, on commence déjà à observer comment le corps réagit. Toutefois, l’amour s’inscrit dans le contexte social, celui des émotions, des fantasmes et des miracles, c’est tout cela qui entretient le mythe." Preuve que les diktats de la société ont une influence sur les personnes avec qui l'on sort, et qu'il est important de se déconstruire de ces fameux diktats.
Les femmes en ont ras le bol d'être jugées sur leur physique
Grosse et racisée, Louisa Amara, créatrice du podcast Single Jungle, connaît bien les jugements sur son physique, qu'elle décrit comme des "micro-agressions". Sur les applications de rencontres, elle refuse de cacher son physique justement pour ne pas avoir de mauvaises surprises en tombant sur des personnes grossophobes lors d'une rencontre en personne. Une stratégie qui n'est malheureusement pas toujours payante. "Ça m'est déjà arrivé plusieurs fois qu'un mec me dise qu'il ne s'attendait pas à ce que je sois "aussi ronde". On m'a aussi déjà reproché d'être "photogénique", et de jouer sur les angles pour avoir des photos qui sont plus avantageuses sur les applis."
Mais surtout, la podcasteuse met le doigt sur un engrenage intéressant : "Beaucoup d'hommes aiment les femmes rondes, mais n'assument pas d'être vues avec elles en public." Et ça, c'est valable aussi bien pour les femmes en surpoids que pour celles qui sont plus grandes que les hommes, ou encore pour les femmes racisées. "Un jour, mon ex plan cul m'a dit que j'étais son meilleur coup, mais qu'il ne pourrait jamais présenter "une beurette" à sa famille raciste, sinon il serait tombé amoureux de moi", regrette Samira*. Camille* résume très bien cette situation à laquelle elle a si souvent été confrontée : "Ces comportements sont formatés d’abord et avant tout par la société."
Sur les 48% d'hommes qui refusent de sortir avec une femme ne respectant pas les normes de beauté, combien acceptent et apprécient de coucher avec ces femmes "hors-normes" et les trouvent belles, sans assumer au grand jour ? La déconstruction, c'est aussi apprendre à se départir du regard des autres. Et c'est mieux pour tout le monde.
* Étude Ifop pour Wyylde réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 27 au 31 janvier 2022 auprès de 2 003 personnes âgées de 18 et plus. Dans un souci d'anonymat, les prénoms ont été changés.
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