Jacques Brel "n'aimait pas beaucoup les femmes car elles font souffrir" : pourquoi cette excuse, toujours très actuelle, est toxique ?

La chanteuse Sophie Darel a fait de récentes confidences sur Jacques Brel, avançant que ce dernier était très misogyne. L'artiste a lui-même confié en interview se méfier des femmes, qu'il considérait comme l'"ennemi". Ce type de discours existe toujours pour disqualifier la gent féminine et a trouvé des adeptes sur les réseaux sociaux, qui tentent de se dédouaner des accusations de misogynie avec un argumentaire la masquant à peine.

Jacques Brel
Jacques Brel "n'aimait pas beaucoup les femmes car elles font souffrir" : pourquoi cette excuse, toujours très actuelle, est toxique ? (Photo by Gijsbert Hanekroot/Redferns)

Invitée de l'émission "La piscine", animée par Jordan de Luxe, la chanteuse Sophie Darel s'est confiée sur sa rencontre avec Jacques Brel "dans un cabaret aux sports d'hiver". Elle se souvient d'un homme "passionnant et passionné" mais aussi très sexiste. "C’était un peu misogyne, mais il m’a dit : 'C’est la première fois qu’une fille ne m’emm*rde pas sur scène'", s'est-elle ainsi souvenue.

"Je pense qu’il a été blessé par des femmes puisqu’on a l’impression après qu’il en voulait aux femmes. Je pense qu’il a été malheureux, parce qu’après il est devenu franchement misogyne. Vraiment !", s'est-elle exclamée. Dans une interview accordée à la RTB (Radiodiffusion-télévision belge), en 1971, le chanteur belge s'était lui-même expliqué sur son animosité envers les femmes, tout en se défendant d'être misogyne : "Je n'aime pas beaucoup les femmes, car elles sont un peu l’ennemi". (...) Je ne suis pas misogyne, mais je me méfie d'elles, profondément. Je me méfie d'elles parce que j'ai horreur de souffrir, d'avoir mal aux dents, et puis ça ne sert à rien…"

Mais faire une telle généralité à propos de la moitié de l'Humanité participe à alimenter le cliché selon lequel les femmes sont "dangereuses" pour les hommes, tout en les réduisant à leur genre, en les sexualisant et en les objectifiant, comme si elles ne pouvaient être que cela.

Si Jacques Brel tenait ces propos dans les années 70, force est de constater que malheureusement, ce type de discours existe encore. Sur les réseaux sociaux, notamment Tiktok, ou encore Reddit, fiefs de communautés masculinistes qui revendiquent leur haine des femmes, on peut retrouver des hommes, comme Alex Hitchens, qui se défendent d'être misogynes tout en participant pourtant à discréditer le genre féminin dans des vidéos à grands coups de clichés stéréotypés. Des argumentaires qui connaissent un inquiétant succès.

Ainsi, dans une vidéo, Alex Hitchens déclare faire "partie des hommes qui respectent le plus la femme" alors même que dans le même extrait, il explique que les femmes devraient tolérer l'infidélité de leur conjoint, mais pas l'inverse, qu'elle n'auraient pas à faire souffrir leur partenaire en étant infidèles. "J'aimerais parler pour toutes les jeunes filles qui m'écoutent. Vous êtes censées donner naissance, respecter votre corps. Les hommes comme moi je pense que ce sont les hommes qui respectent le plus la femme. Parce que moi, je conseille aux femmes de se respecter, de se préserver." Il essentialise ainsi "la femme" et associe immédiatement la sexualité à la reproduction, renvoyant les femmes à leur seul statut de mère. Une belle preuve de misogynie.

En se présentant comme des hommes aimant les femmes, ces "influenceurs" se positionnent en victimes et font des femmes les antagonistes dans toutes les situations, une femme ne pouvant visiblement pas refuser leurs avances ou aimer d'autres hommes (qui eux, initialement, "aiment" visiblement toutes les femmes). À partir du moment où elles n'aiment pas un homme, leur refus donne visiblement à celui qui le reçoit le droit de ne pas aimer toutes les femmes. À noter que ces hommes abordent toujours les relations avec le sexe opposé sous le prisme amoureux et/ou sexuel, comme si une amitié ou une entente cordiale avec une femme sans arrière-pensée était impossible.

"Un homme ne sera jamais ami avec une femme sans vouloir à un moment donné la dominer. (...) C'est un prédateur", déclare ainsi Alex Hitchens dans une autre vidéo. Dans ces conditions, difficile d'établir des rapports sains avec le sexe opposé, qui finit malgré tout par être blâmé s'il ne se conforme pas aux désirs des hommes...

Cette théorie est dangereuse, car, dans des cas de violences sexistes et sexuelles (VSS) , c'est la même stratégie qui est utilisée, poussée à son paroxysme. "La victime portait une tenue provocante", ou certains féminicides sont présentés comme des "crimes passionnels". Les femmes font souffrir les hommes et les "poussent" à commettre des violences. Un phénomène dont l'avocate Isabelle Steyer, interrogée par Slate, a été témoin. Elle distingue plusieurs type de profils parmi les auteurs de VSS : "Ce sont des hommes encore très immatures, dans la symbolique “les femmes sont toutes des salopes sauf Maman”. Moulés dans le schéma “mère ou putain”, ils sont confrontés à la difficulté de devenir un homme, de quitter le statut d’enfant et de se positionner de manière adulte en tant qu’amant, compagnon, père… Leur adolescence n’est pas passée, ils n’ont pas atteint le niveau d’homme, en quelque sorte. Il y a ensuite ceux qui, à la faveur d’un acte qu’ils commettent, viennent rencontrer ce discours-là et le cueillir, car cela leur évite de se remettre en question. Il y a enfin ceux qui élaborent ce discours. Ces hommes-là, de CSP élevée, capables d’élaborer un discours intellectualisé.".

Malheureusement, ce discours a le vent en poupe, porté par le backlash ("retour de bâton) post #MeToo. Un sondage de l’institut Gallup dévoilé par le Financial Times a révélé ainsi que les Américaines de 18 à 30 ans sont de 30 points plus libérales (au sens américain, c’est-à-dire de gauche) que leurs homologues masculins. Les jeunes femmes tendent à être plus progressistes, les jeunes hommes plus conservateurs. Un écart inquiétant à surveiller de près, en gardant en tête la déclaration de Simone de Beauvoir : "N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.".

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