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L'Amour au temps du déconfinement : "Après deux mois sans sexe, j’ai peur de ne pas être performant"

L'amour au temps du déconfinement
L'amour au temps du déconfinement

Le déconfinement est désormais officiel, et avec lui, l'envie de reprendre une vie normale. Et pour beaucoup, cela passe par une reprise de la vie sexuelle, en particulier pour celles et ceux qui ont été confinés en solo. Mais ce retour du sexe s'accompagne chez certains hommes d'un stress tout particulier : la peur de ne pas être assez performants. Une peur compréhensible, mais qui n'a pas forcément lieu d'être.

Marc* a 34 ans, et comme beaucoup de célibataires vivant seuls, il a passé les deux derniers mois en solo, tâchant de respecter le confinement. "Franchement, ce n'était pas l'envie qui me manquait d'aller rejoindre les nanas avec qui je flirtais par message", confie-t-il, honnête. "Mais quand on voit tous les gens qui se battent contre la maladie, je me suis dit que mon petit plaisir pouvait bien patienter un petit peu." Seulement voilà, après ces deux mois d'abstinence forcée, et même s'il a hâte de retrouver une vie sexuelle, une inquiétude le hante, au point qu'il a préféré repousser son premier rendez-vous galant, prévu pour "fêter le déconfinement" : "En fait, c'est con, mais j'ai peur de ne pas être performant... Après deux mois sans faire l'amour, j'ai peur de jouir en 10 secondes chrono et de décevoir ma partenaire." Karim* partage une inquiétude similaire : “Avec la chute de ma libido pendant le confinement, je ne me suis pas beaucoup masturbé. Et maintenant que j’ai de nouveau l’envie et la possibilité de faire l’amour, c’est la peur de ne pas bander qui me bloque. Et plus ça va durer, plus je vais me mettre la pression, plus ça va empirer”, se désole-t-il.

Les hommes se mettent parfois trop la pression : une question d'éducation ?

Cette pression, Marc* a bien conscience de se l'imposer à lui-même : "Je suis jeune, en bonne santé, je n'ai jamais eu de troubles érectiles ou de problèmes d'éjaculation précoce", explique-t-il. Mais alors, pourquoi cette inquiétude ? Le principal intéressé a lui-même du mal à se l'expliquer. "Quand je vois mes copines féministes qui évoquent la "masculinité toxique", je me dis qu'on est en plein dedans. Entre mecs, on se met toujours la pression, c'est à celui qui aura la plus grosse, celui qui tiendra le plus longtemps." Un "concours de bite" constant qui nuit plus qu'il n'encourage, au final.

En France, le concept de virilité est en effet souvent raccordé à la vie sexuelle, et à la faculté de pouvoir "assurer" lors d'une relation sexuelle. C'est-à-dire, avoir et maintenir une érection le plus longtemps possible, comme si cela pouvait déterminer la valeur d'un amant. Il faut dire qu'à cause des stéréotypes de genre, dès leur plus jeune âge, les garçons se voient rabâcher qu'ils doivent être forts, solides, puissants, virils. Une "virilité abusive" d'ailleurs dénoncée par Eddy de Pretto dans sa chanson Kid, aux paroles équivoques : "Tu seras viril mon kid. Tu brilleras par ta force physique, ton allure dominante, ta posture de caïd, et ton sexe triomphant pour mépriser les faibles. Tu jouiras de ta vue d'étincelles."

La pression de la performance sexuelle s'impose entre hommes, avec les "discussions de vestiaire", les récits – souvent enjolivés – des aventures des uns et des autres. Mais elle est aussi, à une certaine échelle, imposée par les nouveaux repères de notre société, et encouragée par les sites de rencontres, et la facilité à prendre – et à jeter – des amants, selon la sexologue Julie-Edith Gauthier : "La relation sexuelle se vit dans une perspective de surconsommation", explique-t-elle. " On va consommer de la sexualité comme d’un produit. Si le produit ne correspond pas à nos attentes, on le retourne… Ou on le jette. D’où l’importance d’être le meilleur. Le risque d’être jeté est trop grand."

C’est justement cette peur de se faire jeter qui inquiète Karim*. La jeune femme qui l’a séduit fait partie de son groupe de potes : “Je sais qu’en général, les nanas sont compréhensives à ce niveau-là. Mais j’imagine les pires scénarios. Je la vois éclater de rire, se moquer de moi, raconter l’histoire à ses copines... Peut-être que si j’avais rendez-vous avec une totale inconnue, ça aurait été plus simple. Mais là, nos potes vont forcément avoir un retour sur ma performance. Du coup, la pression est encore plus présente. Non seulement j’ai peur de la décevoir, mais en prime, si je n’assure pas, j’ai peur qu’elle ne veuille pas renouveler l’expérience, et ça me briserait le coeur autant que l’égo.”

Quand la peur de la maladie bloque les érections

A cela s’ajouter la peur de la maladie. Les craintes d'Aurélien* se situent plutôt à ce niveau : "Moi j'ai pas trop peur de me remettre dans le game, même si je ne sais pas vraiment comment m'y remettre. En fait, j'ai l'impression que ce truc, c'est un peu comme une MST en fois 10, même en touchant quelqu'un, tu peux choper quelque chose, sans que la capote craque. A chaque rencontre, il y a un risque. C'est assez gênant, et ça ne fait pas du tout bander, pour le coup." Gay, il s'interroge aussi sur les discriminations que risquent de subir les homosexuels à cause du Coronavirus : "J'ai vu qu'en Corée du Sud, il y avait eu une remontée du Coronavirus après une fête dans un club gay. Il y a eu plein d'articles assez discriminants sur la communauté."

Le jeune homme n’est pas le seul à avoir cette inquiétude face à la maladie. Daniel* devait rencontrer Sophie*, la jeune femme à qui il parle depuis plusieurs semaines dès la fin du confinement, mais depuis qu’il sait qu’elle a contracté le Coronavirus, il hésite : “Elle a beau me dire qu’elle est sortie de la période de contagion, j’ai trop peur de la voir, et de tomber malade à cause de ça. On en sait trop peu sur la maladie, les anticorps, les risques de rechute... Je n’ai pas envie de prendre le risque.” La simple idée de contracter le Covid-19 lui coupe toute envie d’avoir une relation sexuelle avec la jeune femme, même si elle l’attire toujours autant. Une attitude qui fait beaucoup de mal à Sophie* : “Je me sens comme une pestiférée. A croire que sous prétexte que je suis tombée malade, je n’ai plus le droit de voir personne, même alors que les médecins m’y autorisent...”

Une vision trop phallocentrée du plaisir ?

Compte tenu des attentes à l'encontre des hommes, il n'est pas étonnant que, comme Marc*, plusieurs d'entre eux s'inquiètent à l'idée de ne pas pouvoir maintenir leur érection suffisamment longtemps à leur goût. Mais cela montre également un vrai problème : le fait qu'une relation sexuelle, en particulier au sein des couples hétéros, soit trop souvent ramenée à la pénétration. "Ça m'énerve quand les mecs avec qui je discute me disent qu'ils ont peur de jouir trop vite", explique Karine.* "A croire qu'il n'y a qu'avec leur sexe, pendant une pénétration, qu'ils peuvent donner du plaisir à leur partenaire !"

Il n’y a pas que la pénétration dans la vie. Mais ça, encore faut-il le faire comprendre à nos partenaires masculins.

Les chiffres lui donnent raison : selon un sondage réalisé par Lelo, enseigne spécialisée dans les accessoires intimes, seules 18% des femmes parviennent à jouir lors d'un rapport sexuel comprenant une simple pénétration. "C'est bien la preuve qu'il n'y a pas que la pénétration, dans la vie", triomphe Karine*, qui commence à en avoir ras-le-bol de cette vision très phallocentrée du plaisir et de la sexualité. "Ce n'est pas parce que les hommes jouissent plus facilement lors d'une pénétration, qu'elle soit vaginale, anale ou buccale, que cela signifie que tout l'acte sexuel doit tourner autour de ça", regrette-t-elle. "Mais ça, encore faut-il arriver à le faire comprendre à nos partenaires, qui ne sont pas toujours prêts à l'entendre."

La nécessité de déconstruire les relations sexuelles

Le modèle "pénétratif" du sexe est en effet selon que l'on nous enseigne dès notre plus jeune âge, puisque c'est celui qui est assimilé à la procréation. Et ce, même si cela fait bien longtemps que le sexe n'est plus vu que comme un simple moyen de concevoir un enfant. Alors que les rapports homosexuels, entre hommes comme entre femmes, ne sont que peu évoqués dans les cours d'éducation sexuelle, les autres actes du sexe sont rangé dans la catégorie "préliminaires", et ce terme agace de plus de plus de personnes.

En 2018, le sexologue et gynécologue Armand Lequeux évoquait déjà l'importance de déconstruire les rapports sexuels, et plaidait notamment contre la disparition du mot "préliminaires". Ce terme qualifie généralement les caresses, le sexe oral – cunnilingus, fellation, anulingus - ou encore les stimulations digitales. "Ce mot donne l’impression que tout ce qui est fait avant la pénétration n’est rien comparé à l’acte en lui-même. Tout ce qui se passe avant n’est pas vraiment un acte sexuel, et le que vrai acte sexuel reposerait uniquement dans la pénétration", regrettait-il dans les colonnes de Tendances Première.

L'utilisation du terme "préliminaires" est pour lui une vision très réductrice de l'importance et du plaisir que ces pratiques peuvent apporter aux hommes comme aux femmes. Un point de vue partagé par ces hommes et ces femmes qui préfèrent le sexe sans pénétration, mais aussi pour ceux qui n'aiment pas que cela, à l'instar de Sophie* : "J'adore me faire pénétrer, mais il n'y a pas que ça. Les mecs ont trop tendance à oublier qu'ils ont des doigts, une langue... Et que ce n'est pas parce qu'ils ont joui que cela doit signifier la fin d'un rapport sexuel", même si ça, c'est une autre histoire.

Certains hommes, comme Victor*, l'ont bien compris : "Ça fait longtemps que j'ai décroché de l'obsession de la performance dans la pénétration. J'adore pénétrer, soyons bien clairs. Mais bon, on commence, on s'arrête, on lèche, on suce, on doigte, on recommence... C'est cool, on n'est pas obligé d'aller tout droit." Ce jeune homme de 31 ans regrette que les hommes soient "programmés pour tout arrêter quand ils ont joui" : "On doit parfois affronter notre nature pour le plaisir de notre partenaire. C'est normal, mais ce n'est pas simple au début." Une déconstruction qui ne s'est pas faite du jour au lendemain : "Je ne suis pas un mec qui bande direct. Il faut me toucher, m'embrasser, me chauffer. C'est comme ça, mais au début ça me paniquait. Mais mes partenaires n'en ont jamais été outrées. Et j'ai réalisé qu'on avait tout notre temps pour prendre du plaisir." Après tout, comme le dit l'adage : plus c'est long, plus c'est bon. Y compris quand il n'y a pas de pénétration.

* Pour des questions d’anonymat, les prénoms ont été modifiés.

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