Et si on réinventait la contraception ? : "Chaque année, des femmes continuent de mourir à cause de la pilule"

(GERMANY OUT) DEU, Deutschland: A young woman with the prevention pill. (Photo by Yavuz Arslan/ullstein bild via Getty Images)

Elle a perdu de sa superbe… "Elle", c’est la pilule hormonale. Depuis près de dix ans, la contraception la plus utilisée par les Françaises accuse une baisse constante de ses ventes. De plus en plus de femmes la délaissent, par peur et par souffrance. Un désamour qui porte davantage sur les méthodes hormonales. Alors, quelles solutions s'offrent aux femmes désirant ne plus prendre d'hormones ? Réponse : trop peu de solutions.

On l'a tant louée... La pilule contraceptive n'a plus la cote ! Certes, elle reste la contraception la plus utilisée par les femmes, mais, depuis une petite décennie, elle connaît une baisse significative. En 2010, 45% des femmes l'utilisaient comme moyen de contraception, contre 40,5% en 2013 et seulement 36,5% en 2016. Depuis 2013 et les scandales liés aux pilules dites de troisième et quatrième génération, les femmes privilégient les pilules hormonales de 1ère et 2ème génération. A travers ces chiffres, une conclusion se dessine : les Françaises sont de plus en plus nombreuses à contester les méthodes hormonales et à vouloir se tourner vers des solutions plus "naturelles".

Un recul de la pilule, juste pour le prix, vraiment ?

Lorsque Olivier Véran a annoncé la gratuité de la contraception pour les femmes de moins de 25 ans à partir du 1er janvier 2022, le ministre de la Santé a justifié la mesure en invoquant le recul de la pilule hormonale chez les jeunes femmes. Mais l’argument financier serait-il le seul frein ? Le désamour des Françaises pour la pilule ne traduit-il pas un problème plus global ? Le journal Le Figaro a mené l'enquête à la suite de l'annonce du ministre.

En parallèle de la baisse de la vente des pilules de 3ème et 4ème génération, les ventes du stérilet en cuivre ont progressivement augmenté en 10 ans (étude de l'ANSM). Preuve que l’argument du "désamour hormonal" n’est pas à prendre à la légère. Interrogée par Le Figaro, le docteur Brigitte Letombe, gynécologue et présidente d'honneur de la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, parle même d'"hormonophobie". "Une des raisons majeures est la crainte des effets indésirables qui a considérablement augmenté avec ce qu'on appelle la crise de la pilule", commente-t-elle.

"Ça allait jusqu'aux pensées suicidaires"

Après un rapide appel à témoignages sur les réseaux, de nombreuses femmes ont expliqué les raisons de leur désamour pour la pilule et plus largement, pour la contraception hormonale. Beaucoup d’entre elles pointent des désagréments provoqués par la pilule : sautes d’humeur, perte de libido et surtout "marre de prendre des hormones".

Laura* a presqu'immédiatement évoqué les dommages psychologiques qu'avait provoqué la prise de pilule hormonale. "J'ai arrêté la pilule il y a deux ans et depuis, je n'ai plus aucune libido" s'amuse-t-elle, consciente que ce symptôme est peu répandu. Elle relativise : "Je ne le vis pas du tout mal, je préfère ça plutôt que la violence des sautes d'humeur. Ça allait jusqu'aux pensées suicidaires et tout."

Charlotte* fait partie des nouvelles utilisatrices du stérilet en cuivre. Pour elle, l’arrêt de la pilule a été un vrai chemin de croix : "Quand j’ai arrêté, j’ai eu les pires effets secondaires : transpiration excessive, agressivité,… J’avais l’impression d’être ménopausée. C’était tellement insupportable que j’ai failli la reprendre." La jeune femme, qui prenait la pilule depuis 4 ans, a néanmoins persévéré, bien déterminée à se défaire de la prise d’hormones. Un an plus tard, après avoir consulté un endocrinologue, tous les symptômes ont disparu.

Ce mal "post-pilule", Aline* l’a vécu elle aussi. Après avoir pris la "contraception la plus populaire" pendant 12 ans, l’arrêt a provoqué un dérèglement total. "Je n’ai plus eu de règles pendant un an. Quand j’ai voulu tomber enceinte de mon petit garçon, ça a été compliqué car cycle très irrégulier. Et quand mes règles sont revenues, elles étaient beaucoup plus douloureuses et abondantes", confie-t-elle.

Pour Chiara*, l’arrêt de la pilule a révélé un problème gynécologique : "J’ai des fibroses sur mes ovaires et des cycles hyper longs (ovaires paresseux). Tout cela a été dissimulé pendant de longues années par la prise de la pilule, qui comme on le sait, provoque des règles artificielles." Cette méconnaissance de ses problèmes a un effet boomerang : Chiara veut avoir un enfant et "ça ne vient pas". La jeune femme de 30 ans relativise : "J’ai de la chance d’avoir découvert ça relativement jeune. Ça aurait été beaucoup plus problématique si j’avais découvert ça plus tard en raison de la réduction d’ovocytes."

Un frein dans l'arrêt de la pilule

Ce syndrome post-pilule est l’un des principaux freins à l’arrêt de la prise. Maelle Kaddah et Florette Le-Brech, fondatrices de Ma Vie Après, une communauté qui accompagne les femmes qui souhaitent arrêter la pilule, ont même écrit un guide pour épauler celles qui sont décidées à arrêter.

Vidéo. "On a l'impression que c'est la pilule magique qui va régler tous nos problèmes."

Ces femmes de 25 ans s’inscrivent dans la mouvance des réfractaires à la pilule. Toutes deux dénoncent une prescription abusive de ce qu’on considère être "une pilule magique qui résout tout". Maelle Kaddah et Florette Le-Brech ont définitivement arrêté la pilule après avoir lu l’étude de la journaliste Sabrina Debusquat "J’arrête la pilule", sortie en 2018, et devenue un ouvrage de référence.

Une société française sourde aux demandes des femmes ?

Sabrina Debusquat a enquêté sur les dangers de la prescription hormonale et a dévoilé le tabou autour de la remise en question de la pilule. Interrogée par nos soins, l’autrice de "J’arrête la pilule" n’est pas étonnée des chiffres récents de l’ANSM et continue de dénoncer la surdité de la société française : "Lorsque le ministre de la Santé Olivier Véran dit : "La contraception sera gratuite pour les femmes jusqu’à 25 ans", il s’est repris juste après en précisant : "la contraception hormonale" mais cela prouve qu’encore, aujourd’hui en France, la contraception égale pilule. En France, on a cette vision "tout pilule"."

Vidéo. "Des femmes meurent, souffrent ou finissent handicapées à cause de la pilule"

La France trop attachée à "la pilule" ?

En dénonçant une certaine surdité, Sabrina Debusquat s’attaque plus précisément au corps médical et aux politiques. "La pilule était peut-être la contraception préférée des Françaises, mais les chiffres prouvent que c’est en train de changer. Et notre société française montre tous les signes de surdité à ce phénomène. Que ce soient les médecins, les politiques qui décident de prendre les mesures ou les proches des femmes, on est sourds face à ce phénomène puissant."

Comment l'expliquer ? Pour la journaliste, une partie de la réponse réside dans le poids des lobbyings pharmaceutiques, qui mettent tous les moyens pour faire en sorte que les prescripteurs continuent de proposer la pilule hormonale à leurs patientes.

Dans son enquête "Les Contraceptés", co-écrite avec Stéphane Jourdain, Guillaume Daudin, journaliste à l’AFP, explique que l’échec de la contraception hormonale masculine réside dans un vrai manque de volonté. Au cours d’un entretien avec la médecin Nelly Oudshoorn, il découvre que la pilule masculine aurait pu être commercialisée en 1990. Pourquoi cela n’a-t-il pas abouti ?

Vidéo. La pilule masculine aurait pu exister sur le marché à partir de 1990

Face à la méconnaissance des hommes et à leur frilosité, les industries pharmaceutiques ne voyaient pas l’intérêt de la commercialiser. Autrement dit, les femmes n’ayant d’autres choix que de l’acheter, pourquoi les hommes l’auraient-ils plébiscitée ? Si l’on pousse le raisonnement un peu plus loin, l’échec de la contraception masculine (hormonale ou pas), s’explique en grande partie par le fait que, depuis toujours, ce sont les femmes qui endossent la charge morale et économique de la contraception. Pourquoi investir dans quelque chose qui pourrait ne pas se révéler fructueux ? Une logique capitaliste qui n’étonne personne.

Et à Sabrina Debusquat de s’interroger : "Que propose-t-on en face ? Quels efforts faisons-nous ?"

Le poids de l’opinion publique

Sur son compte Instagram @paietacontraception, Sabrina Debusquat continue de recevoir de nombreux témoignages sur les dommages provoqués par la pilule, preuve tangible que le petit comprimé est de plus en plus dure à avaler pour les femmes. "Oui, des femmes continuent de mourir chaque année à cause de leur contraception hormonale : accidents thromboemboliques, cancers du sein dont on ne saura jamais si oui ou non ils sont liés à leur pilule,… Oui, certains de ces décès pourraient être évités avec des bilans sanguins qui sont un peu coûteux et qu’il faudrait faire avant chaque prescription de contraception hormonale…"

Les récentes mises en lumière des phénomènes comme la charge contraceptive ou les timides questionnements autour de la contraception masculine montrent que les mentalités tendent à évoluer. L’hégémonie de la pilule commence à être remise en cause. Et si la clé de l’évolution résidait dans l’information ? C’est cousu de fil blanc et pourtant… "Une femme mieux informée sur les diverses méthodes de contraception et sur le fonctionnement de son corps aura plus de poids face au corps médical", assure Sabrina Debusquat.

Même son de cloche du côté de Guillaume Daudin, qui incite, lui, les hommes à s’emparer de la question de la contraception pour inviter le politique à dégager des moyens pour la recherche.

En attendant, comment fait-on ?

Face au manque de volonté probant de développer et commercialiser une contraception masculine, c’est encore aux femmes de chercher des alternatives. Et cela peut les plonger dans l'impasse. "Je suis célibataire donc je ne prends plus aucune contraception à part le préservatif (et la pilule du lendemain en cas d'accidents)", nous confie Safia*. Si cette option lui convient, elle concède qu'elle sera certainement dans une forme d'impasse quand elle sera à nouveau en couple : "Je suis un peu sans réponse et il est hors de question de reprendre quoi que ce soit."

Pour l'enquête du Figaro, Brigitte Letombe affirme que l'on fait face à "un retour à la nature qui vient d'un courant sociologique de l'écologie, du bio, et qui rejette les hormones de synthèse".

Les femmes préfèrent davantage s'orienter vers des méthodes non-médicamenteuses comme le préservatif ou le stérilet, ou au profit des méthodes naturelles. Parmi les méthodes naturelles les plus citées, on retrouve la symptothermie.

Vidéo. "La symptothermie est un outil tellement puissant"

Cet outil, dont l'utilisation a été validée par l'Organisation mondiale de la Santé, est de plus en plus plébiscité par cette nouvelle mouvance de femmes qualifiées d'"hormonophobes" par les plus sceptiques. Couplée au préservatif, la symptothermie est une méthode naturelle basée sur les cycles du corps. Concrètement, chaque jour, les femmes doivent analyser deux indices de fertilité : la glaire cervicale (appelées aussi les pertes blanches) et la température du corps. Ces deux indicateurs permettent de savoir si le corps est en période de fertilité ou non. (Voir les explications de Florette Le-Brech, coach en symptothermie dans la ci-dessus). Quand la femme se situe dans sa période fertile, il lui est fortement conseillé d'utiliser un préservatif pour éviter les grossesses non-désirées. La symptothermie exige une certaine rigueur. Ce qui fait que cette discipline peut dissuader certaines femmes.

Reste une autre méthode : la ligature des trompes. Une option chirurgicale qui peut ressembler au parcours du combattant. La raison ? Une trop grande majorité des médecins la refuse. La ligature des trompes de Fallope est autorisée par la loi depuis 2001. Toutes les femmes peuvent recourir à cet acte chirurgical, quelles que soient leurs motivations. La seule obligation à respecter est un délai de réflexion de 4 mois avant l'intervention. Les médecins ne sont pas obligés de respecter cette loi. S'ils refusent une ligature, ils doivent en revanche diriger la patiente vers un autre praticien.

Un article récent du magazine Slate revient sur les difficultés que rencontrent les femmes qui optent pour la stérilisation définitive. Pour Yahoo, Lucile Bellan avait recueilli le témoignage de Bérengère, une jeune femme de 32 ans, qui a s'est fait ligaturer les trompes après de multiples refus de la part de différents praticiens.

Vidéo. Le témoignage de Bérengère sur son opération de la ligature des trompes

Une contraception totalement autonome dans 100 ans ?

Est-on à l’aube d’une réflexion profonde autour d’une contraception sans hormones ? Pour Sabrina Debusquat, "le mouvement continue". "Jusqu’à présent, on a fait dépendre les femmes du corps médical et de dispositifs médicaux. Je pense que dans un siècle, l’avenir de la contraception, c’est une contraception autonome, qu’elle maîtrise parfaitement elle-même de A à Z.".

Pour l’instant, les recherches pour une contraception autonome sont embryonnaires. Reste à voir si le désamour des femmes pour les hormones perdurera au point d'avoir un impact sur les pouvoirs décisionnaires.

*Les prénoms des témoins ont été modifiés.

Interviews vidéo : Lucile Bellan et Carmen Barba

A LIRE AUSSI :

>> Ils ont décidé de se faire opérer pour ne pas avoir d’enfant

>> "Il refuse de repasser aux capotes" : quand les choix de contraceptions créent des disputes dans le couple

>> "J'ai décidé de me tourner vers une contraception sans hormones"