Adolescents et pornographie : "Si on nous parlait des dangers du porno..."
Alors que de plus en plus d'adolescents consultent des sites pornographiques, le gouvernement cherche à mettre en place des mesures pour pouvoir protéger les jeunes. Mais au-delà d'une curiosité naturelle, c'est l'interdit qui semble séduire.
La part de mineurs qui les consultent a progressé de 9 points en seulement cinq ans, passant de 19 % fin 2017 à 28 % fin 2022, révèle une étude de l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) publiée en mai 2023. À l'heure actuelle, 2,3 millions de mineurs seraient donc exposés à des images pornographiques, et ce, pendant 50 minutes en moyenne par mois.
La consommation de contenus pornographiques chez les jeunes a souvent été pointée du doigt par différentes institutions. Dans un rapport publié le 24 janvier 2023, l'Académie Nationale de Médecine établit que "les études tant quantitatives que qualitatives, mais également les avis d’experts, convergent pour dire que la pornographie a une influence sur la manière avec laquelle les jeunes vont appréhender leur sexualité et celle de leurs pairs."
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Comment empêcher les jeunes d'accéder aux contenus pornographiques ?
Toutefois, empêcher les mineurs d'accéder à des contenus pornographiques est tout sauf une mince affaire. De nombreux sites proposant du contenu gratuit demandent simplement aux internautes de confirmer sur l'honneur qu'ils sont majeurs. Les parents peuvent mettre en place des garde-fou sur les appareils utilisés par leurs enfants, mais ces derniers ne sont pas toujours efficaces.
Par ailleurs, les virus, pop-ups et téléchargements illégaux exposent également un public jeune à des contenus à caractère sexuel, parfois de manière accidentelle. De son côté, le gouvernement cherche à mettre en place une "attestation numérique" pour faire respecter les limites d'âge. En parallèle, saisie par des associations, l’Arcom a mis en demeure 15 sites pour qu’ils instaurent un vrai contrôle d’âge, et a saisi la justice pour obtenir le blocage de sept d’entre eux, dont Pornhub. Le tribunal judiciaire de Paris doit se prononcer sur ce dossier le 7 juillet 2023.
"C'est un défi ultra courant dans les cours de récré"
Mais quelles sont les raisons qui poussent les jeunes d'aujourd'hui à fréquenter des sites pornographiques ? Maël*, 14 ans, confirme avoir déjà pu se connecter "à plusieurs reprises" sur des sites pour adultes, chez lui comme via son smartphone, mais aussi... Sur les ordinateurs de son collège. "Mes parents ont mis un système de contrôle parental, mais je m'y connais probablement mieux en informatique qu'eux, alors ça n'a pas été difficile de le contourner", explique-t-il.
Côté smartphone, l'adolescent précise que "c'est un défi ultra courant dans les cours de récré" : "On se réunit entre potes, et on teste les smartphones des uns et des autres pour voir quels parents ont tenté de mettre des bloqueurs, et comment on peut passer outre. J'ai même réussi à me connecter à un site en passant sur un des ordinateurs de notre salle informatique au collège. Je ne te dirai pas comment j'ai fait pour ne pas donner d'idées aux autres, mais quand tu t'y connais un peu, ce n'est vraiment pas compliqué."
Pourquoi cette volonté d'accéder à du porno par n'importe quel moyen ? "Honnêtement, c'est parce que c'est interdit. Et le meilleur moyen de me donner envie d'accéder à quelque chose, c'est de l'interdire", explique l'intéressé. "On nous dit que c'est mal, mais sans nous dire pourquoi, alors forcément, il y a une curiosité associée à une forme de rébellion facile", analyse-t-il.
"Si on avait plus d'éducation sexuelle..."
Marjorie*, 16 ans, apporte un éclairage quelque peu différent : "Je pense qu'il y a une vraie curiosité autour de la pornographie parce que ça reste un sujet tabou. On n'en parle pas avec nos parents, avec les adultes de notre entourage, donc on a envie de savoir de quoi il retourne." En première dans un lycée parisien, l'adolescente explique avoir été sur un site X pour la première fois quelques mois plutôt, avec sa grande sœur. "Elle est plus âgée, mais on est très proches. Elle savait que j'allais finir par y être confrontée, donc elle m'a proposé de me montrer, et de répondre à mes questions. Pour elle, ça fait partie de mon éducation à la sexualité, au même titre que quand elle m'a accompagnée chez le gynéco pour que je puisse prendre la pilule, vu que nos parents ne voulaient pas."
Pour elle, si le lien avec l'éducation sexuelle n'est pas évident de prime abord, il est pourtant présent : "Que ce soit au collège où au lycée, j'ai peut-être eu trois heures d'éducation sexuelle à tout casser. On a parlé des préservatifs, de pilule, d'IST, et c'est tout. À côté de ça, on a eu droit à des heures sur les dangers de la clope, de l'alcool ou de la drogue. Pendant ces cours d'éducation sexuelle, j'aurais aimé qu'on parle de la notion de consentement, de ce qu'est la pornographie, de pourquoi ce n'est pas représentatif, des éventuels dangers..."
Un avis partagé par Héloïse*, sa grande soeur : "Si les adultes prenaient le temps de nous expliquer les dangers de la pornographie, je suis persuadée que moins de jeunes seraient tentés d'en regarder. L'interdit stimule la curiosité, et pour les gamins de leur âge, c'est tentant. Eux ne voient pas ce qu'il peut y avoir de dangereux à regarder des gens b*iser, j'étais pareil à leur âge. C'est pour ça que je leur explique aujourd'hui, quand j'en ai l'occasion."
Des ados inconscients de l'impact du porno
Effectivement, par manque d'information et de discussions sur le sujet avec des adultes, les ados sont souvent inconscients de l'impact que peut avoir la pornographie sur leur propre sexualité. "Ça n’a pas forcément d’impact sur mes relations avec les autres", estime Mathéo*, qui confirme pourtant avoir de certaines attentes "au niveau de l'esthétique". Et de renchérir, en nuançant : "Ça n'a pas d'impact, ou en tout cas, je n'en suis pas conscient."
L'adolescent de 17 ans aimerait néanmoins que cette thématique soit davantage abordée et regrette que le fait de parler de pornographie avec les enfants et les ados soit considéré par certains adultes comme une forme de "sexualisation des enfants."
*Les prénoms ont été changés pour préserver l'anonymat des personnes interrogées.
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