1 salariée sur 5 a déjà été moquée au travail à cause de ses règles : "Il a dit que je faisais mon intéressante"
Ce jeudi 6 octobre 2022, l’IFOP dévoile les chiffres édifiants de sa nouvelle étude au sujet des menstruations au travail. Avec, en lumière, les réticences de nombreuses personnes à l’idée de parler de leurs règles dans leur univers professionnel, bien souvent par crainte de subir des moqueries et les réflexions déplacées.
53%, c’est le nombre de femmes actives qui souffrent de règles douloureuses, parmi les 14,5 millions que compte la France. Et si les tabous autour des menstruations tombent petit à petit, l’évolution est encore lente et certains rouages de la société patriarcale difficiles à déboulonner. Dès leur enfance, les femmes cis croulent sous les injonctions, et impriment bien vite - et malgré elles - ce que les moeurs sexistes s’emploient depuis des siècles à imposer comme pensée unique : les règles, c’est sale et tabou. Alors, lorsqu’elles débarquent dans le monde du travail, le silence s’alourdit un peu plus.
C’est autour de ce sujet que l’IFOP a mené une vaste étude. Et les chiffres sont accablants. Car ce qui entoure le tabou des règles, c’est souvent la peur d’être raillée. La preuve : 1 femme salariée sur 5 a déjà fait l’objet de moqueries ou de remarques désobligeantes au travail à cause de ses menstruations.
Vidéo. Sandrine Graneau, quadri-amputée à la suite d’un choc toxique prévient : "Les symptômes sont les mêmes que pour des maladies absolument pas graves"
"Tu as besoin de faire ton intéressante en pleurant"
Parmi elles, 35% déclarent que leurs douleurs menstruelles impactent négativement leur travail, quand 65% ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail. Car même si les douleurs menstruelles sont de moins en moins banalisées, aujourd’hui encore, pour beaucoup, avoir mal lorsque l’on a ses règles… c’est tout à fait normal. Alors pourquoi s’en plaindre, surtout au travail ?
Valentine a fait l’amère expérience de ce jugement basé sur des fondements patriarcaux. Il y a cinq ans, lors de son tout premier poste en entreprise, elle ne peut contenir sa douleur. Ce qui amuse alors l’un de ses collègues masculins : "Il m’a dit : ‘Je ne comprends pas pourquoi tu as besoin de faire ton intéressante en pleurant’, alors que je me suis effondrée à cause d’une crise d’endométriose qui m’a, quelques minutes après, envoyée à l’hôpital." Le choc pour la jeune femme qui se prend de plein fouet le manque d’empathie et le sexisme criant de son collègue : "Franchement, je me suis mise à pleurer, mais de stupéfaction, et pour m’empêcher de lui hurler à la gueule. J’étais choquée qu’un mec cis qui n’a aucune idée de la douleur de mes règles puisse avoir l’aplomb de me sortir ça."
Valentine n’est - hélas - pas la seule à avoir dressé ce triste constat. D’après l’étude menée par l’IFOP, 37% des salariées interrogées assurent que la gène des règles est sous-estimée dans leur entreprise. Quand elles ne sont pas invisibilisées, les menstruations sont tout simplement tournées à la dérision.
Vidéo. Journée mondiale de l’hygiène menstruelle : "20% des femmes ont déjà été confrontées à la précarité menstruelle"
Maurane travaillait dans une entreprise qui faisait à la fois salon de thé, pâtisserie, boulangerie et traiteur, en tant que vendeuse. Et même des années après, elle n'a rien oublié des remarques de son patron : "Il était question d’embaucher un nouveau traiteur, et il racontait qu'il faisait passer des entretiens à des femmes 'pour pouvoir mater leur petit cul', mais que, ‘On ne va pas les engager quand même, parce qu’une femme, quand elle a ses règles, n’est pas capable de monter une mayonnaise convenablement.'" Fréquemment "prises à parti pour soutenir ces propos sexistes", Maurane et ses collègues menstruées devaient aussi supporter les remarques des hommes cis avec qui elles travaillaient : "Dans ce milieu-là, qui est très masculin, à chaque fois que tu n’es pas assez souriante, ou à leur goût, c’est ‘Qu’est-ce que t’as ? T’as tes règles ?’"
Et ces remarques et moqueries sexistes au sujet des règles touchent tous les secteurs : que ce soit dans le monde de l’agriculture (10%), dans l’industrie (37%), dans le BTP (36%), dans le commerce (30%) ou encore dans les services (18%) et l’administration (20%).
72% des salariées ne se voient pas parler de leurs règles au travail
Combien de personnes ont déjà tu leurs douleurs menstruelles au bureau, pour ne pas avoir à s’absenter et/ou parler de leurs règles ? Combien ont feint l’aisance, arboré une mine enjouée pour éviter d’avoir à entendre : "Bah dis donc, t’es de mauvaise humeur aujourd’hui, t’as tes règles ou quoi ?!" C’est simple : en France, pas moins de 92% des salariées n’ont jamais parlé de leurs règles avec leur responsable hiérarchique masculin, quand 72% d’entre elles ne se voient absolument pas le faire. Là encore, impossible de ne pas faire le lien avec les codes tacites d’une société patriarcale qui nous apprend, dès la puberté, qu’un homme cis ne devrait pas être au courant de ce qu’il se passe pendant les règles.
Cette idée se prouve tout au long de la vie d’une femme, et dès le début de leur puberté. En juillet 2022, une étude menée par la société Censuswide révélait que 8 pères sur dix estiment que les menstruations sont une "histoire de femmes"… et que c’est donc le rôle des mères de famille de gérer cela avec leurs ados. Et même lorsqu’elles quittent le foyer familial, elles font face à ce même tabou qui se joue alors dans dans l’intimité du couple. En 2021, une autre étude mettait en lumière un triste constat : une personne sur 3 a déjà été humiliée par son partenaire à cause de ses règles. Alors, à la longue, certaines finissent par rendre le sujet tabou elles aussi.
Vous imaginez donc bien que le monde professionnel n’est pas en reste. Difficile de parler de ses règles avec son patron quand on nous a appris tout cela. Il y a encore beaucoup de travail, notamment sur la mise en place d’un congé menstruel, qui existe et a déjà été légiféré dans quelques pays, comme le Japon, la Zambie, Taïwan ou encore l’Indonésie. Sur le continent européen, l’Espagne planche sur le sujet, un projet de loi ayant été déposé en mai 2022. En France, la loi n’est visiblement pas encore à l’ordre du jour, même si quelques entreprises proposent à leurs salariées de s’absenter en cas de règles douloureuses. Mais le débat s’embrase toujours et ralentit le processus. Et en attendant, 64% des salariées pourraient avoir recours à ce congé menstruel, quand 44 % des Françaises ont déjà manqué une journée de travail à cause de leurs règles, ou connaissent quelqu’un qui l’aurait fait, selon une étude d’OpinionWay…
À lire aussi :
>> Pourquoi les hommes ont-ils autant de mal à prendre les douleurs des règles au sérieux ?
>> Arrêtons de cacher nos règles. En parler, c'est lutter contre le tabou