Arrêtons de cacher nos règles. En parler, c'est lutter contre le tabou

Arrêtons de cacher nos règles
Arrêtons de cacher nos règles

Crédit : Getty

Le 28 mai est la journée internationale de l’hygiène intime. L’occasion de se demander pourquoi le tabou des règles est si ancré en nous et comment en sortir.

Jusqu’il y a très peu de temps, je déployais des trésors d’imagination pour cacher mes menstruations, à savoir une manifestation naturelle de mon corps de femme. À l’école et ensuite au travail, je cachais mes protections périodiques dans ma manche. L’été, je me détestais d'avoir opté pour des outfits sans manche parce que je n’avais pas d’autre choix que de partir avec ma petite trousse aux toilettes et exposer ainsi que j’étais menstruée.

C’était une honte. Mais, j’étais bien consciente que le sentiment que j’éprouvais n’était pas le mien. J’avais peur que les autres soient dégoûtés par l’image du sang qui s’écoule de mon vagin.

Car depuis la nuit des temps, le sang des menstrues est marqué du sceau de l’impureté. Je ne vais pas revenir ici sur les origines de cette croyance infondée. J’essaie juste d’expliquer que ce tabou, je l’ai intériorisé.

Les femmes plus dégoûtées que les hommes

Il y a quelques mois, un sondage OpinionWay pour "Dans Ma Culotte" sur la "réglophobie" a démontré que plus d’une personne sur deux (55%) juge encore inapproprié de parler des règles en public. Et c’est chez les plus de 65 ans (73 % des sondés) que le trouble est le plus présent.

55% des jeunes filles estiment que les règles sont un sujet tabou à l’école, et 35 % d’entre elles ont honte de les avoir.

Mais le plus surprenant dans cette étude concerne ce chiffre : 9% des femmes sont dégoûtées lorsqu’elles pensent aux règles contre 6% des hommes. Les femmes sont davantage dégoûtées que les hommes. Des femmes se disent dégoûtées des règles...

Je m’interroge alors : comment peut-on être écoeurée d’une manifestation naturelle de son corps qui est, dans la grande majorité des cas, le témoignage de son bon fonctionnement ?

Une honte internalisée

En questionnant mes collègues sur le tabou des règles, l’une d’entre eux m’apprend la coutume de la gifle. Je tombe de mille étages. Une tarte parce que tu as tes règles ? Et on trouve cela normal ?

Elle m’explique alors que ça n’est en rien lié à la culture maghrébine dans laquelle elle a baigné puisqu’elle a des copines de tous horizons qui y ont eu droit. Elle revient un peu plus en détails sur ce que l'on va appeler "le gifle gate" : "J’ai eu mes règles au ciné pour la première fois, j'étais avec ma mère et en sortant des toilettes, elle m'a dit : "Bon, moi je ne vais pas te mettre une gifle" et c'est la première fois que j'en ai entendu parler. Après ça, on en a parlé et j'étais tellement matrixée par l'histoire que je lui avais dit : "bah alors faut que tu me gifles" et j'avais eu une petite tape avant un gros bisou."

Elle rajoute : "Je voulais tellement être une "femme" qu'il me fallait cette gifle, c'est fou quand même…" s’étonne-t-elle.

Je suis si choquée par la violence symbolique du geste que je tape immédiatement "gifle règles" sur Internet. Et là, mon cher moteur de recherche m’apprend que la coutume de la gifle est plus répandue qu’on ne l’imagine.

Sur le moment, j’ai eu envie d’appeler ma mère et de crier au téléphone : "Merci maman d’avoir uniquement fait des crêpes et de ne pas m’avoir giflée le jour où j’ai été réglée pour la première fois."

Par la suite, je repense à cette phrase de ma collègue : "Je voulais tellement être une "femme" qu'il me fallait cette gifle." Cela me renvoie à l’idée de la femme sacrificielle que notre chère société patriarcale nous inocule depuis des lustres. "Tu dois souffrir pour devenir une femme, tu dois souffrir pour devenir mère…". Sur ce dernier point, je vous renvoie à l’ouvrage "Ceci est notre post-partum" d’Illana Weizman qui analyse le tabou qui entoure le post-grossesse.

Vidéo. Illana Weizman évoque le tabou du post-partum

La gifle ne fait qu’appuyer cette idée de la femme sacrifice qui doit souffrir en silence. Sans évoquer les situations vécues par les autres femmes issues d'autres sociétés où certaines, comme au Népal, sont carrément mises en quarantaine lorsqu’elles ont leurs règles. Difficile dès lors d’imaginer comment on pourrait entrevoir les menstruations comme quelque chose de normal dont on parle librement.

Arrêtez de cacher vos règles

Alors en cette journée internationale de l’hygiène menstruelle, tâchons de déconstruire cette honte internalisée. Comment ? En ne nous cachant plus, tout simplement. Si vous êtes fatiguées parce que vous avez vos règles et que ça vous terrasse, dites-le ! Ne rougissez plus que l’on voie vos protections périodiques dans votre sac, sur votre bureau voire même dans votre salle de bains. Demandez à votre direction de mettre des protections à disposition de toutes dans les toilettes de votre bureau. N’acceptez plus qu’un conjoint, compagnon, ou partenaire refuse de faire des choses avec vous parce que vous avez vos règles. Ne croyez plus que les règles font forcément souffrir. Si, lors de vos menstruations, les douleurs sont importantes, consultez un médecin. 10% des femmes en France sont touchées par l’endométriose, une maladie complexe générant des douleurs chroniques qui peuvent s'avérer intolérables pour les victimes les plus touchées.

Vidéo. L'association Règles élémentaires révèle l'ampleur de la précarité menstruelle en France

Détabouiser les règles, c’est permettre aux plus jeunes de ne pas vivre leurs menstrues comme un fardeau et une honte. C’est évoquer plus librement les maladies comme l’endométriose et faire avancer la recherche dans le domaine. C’est aussi ouvrir le débat sur le congé menstruel qui commence discrètement à être évoqué dans certains pays européens. Le gouvernement espagnol a présenté un projet de loi créant un "congé menstruel" pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Ça serait une première en Europe. Arrêter de cacher les règles c'est aussi mettre en lumière le problème de la précarité menstruelle qui touche les jeunes et les foyers les plus modestes. Il y a quelques semaines, une enquête Nana/TENA menée par OpinionWay a dévoilé qu'environ un tiers des Françaises de moins de 35 ans (32%) ou issues de milieux modestes (33%) a fait l'impasse sur les protections périodiques par manque d'argent. La journaliste Laetitia Reboulleau avait recueilli les témoignages de femmes précaires qui mettaient leur santé en jeu parce qu'elle ne pouvait pas se permettre de s'acheter des serviettes et des tampons. En France, ces produits de première nécessité sont toujours taxés. La taxe tampons a été abaissée de 20% à 5,5% en 2015, grâce à la campagne du collectif féministe Georgette Sand. L'an dernier, le Parlement européen a proposé la fin de la "taxe tampon" sur les protections hygiéniques. Le combat doit donc se poursuivre.

Il y a quelques jours, lorsque j’ai ouvert mon mini sac et que ma serviette hygiénique a volé dans le métro, je n’ai pas ressenti de honte. Le papy assis à côté de moi a eu plus de mal à la vue de ma serviette. Je l’ai regardé avec un sourire de première de classe et j’ai eu le sentiment que la honte "avait changé de camp".

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