Délit de non-partage des tâches domestiques : une fausse bonne idée ? "Ça pose des difficultés de preuves"
En mars dernier, Sandrine Rousseau a proposé la mise en place d’un délit de non-partage des tâches domestiques. Après avoir reçu un accueil mitigé, cette idée commence finalement à faire son chemin dans les consciences des Français, alors que 73% des femmes déclarent effectuer davantage de tâches ménagères et domestiques que leur conjoint. Mais en pratique, ce délit pourrait-il vraiment être mis en place ? Pour Yahoo, l’avocate et activiste féministe Rachel-Flore Pardo émet quelques réserves…
73% des femmes déclarent faire davantage de tâches ménagères et domestiques que leur conjoint. C’est le chiffre édifiant d’une étude de la Fondation Jean Jaurès sortie en 2019. Un an plus tard, en plein confinement, une enquête Harris Interactive montrait à son tour une répartition inégale du temps passé pour les tâches ménagères entre les femmes et les hommes. 2h34 par jour pour ces dames, quand ces messieurs y consacrent 2h10 de leur temps. 63% des femmes déclarent préparer les repas contre 28% des hommes, tandis que 56% des interrogées aident le plus leurs enfants pour les devoirs, contre 27% des hommes sondés. C’est pourquoi, en mars dernier, Sandrine Rousseau a proposé de créer un délit de non-partage des tâches domestiques. Lancée dans un entretien à Madmoizelle, cette proposition de l’ex-porte-parole de Yannick Jadot a agité les débats.
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Une proposition contre les inégalités domestiques
Auprès de Yahoo Actualités, Sandrine Rousseau avait réaffirmé ses positions : "C'est un sujet énorme. Les tâches domestiques, c'est un travail non rémunéré non partagé, qui engendre une inégalité entre hommes et femmes." Pour la militante écologiste, il s’agit là d’un "sujet non traité" dans nos sociétés. C’est d’ailleurs, à son sens, la raison de toutes ces "crispations" lorsqu’il est évoqué. Et pourtant, les faits sont là : "Les femmes font en moyenne 10h30 par semaine de plus de tâches ménagères. C'est du temps qu'elles ont en moins à consacrer à leurs loisirs, mais aussi à leur travail. Elle sont davantage contraintes au temps partiel et donc exposées à la précarité, et ont donc moins de temps à consacrer à leur carrière, ce qui maintient les écarts de salaire entre hommes et femmes" soulignait-elle.
Après la polémique et l’effet buzz de cette proposition, il semble que l’idée a fait son chemin. Au début du mois d’avril, à quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, un sondage de l’Ifop pour Consolab a révélé que 47% des Français adhèrent à ce délit de non-partage des tâches domestiques. Dans le détail, 50% des femmes et 44% des hommes y sont favorables. On observe d’ailleurs un écart générationnel assez significatif, puisque 61% des femmes âgées de moins de 30 ans disent "oui" à cette proposition, contre 39% des femmes âgées de plus de 65 ans.
Ces réticences, Sandrine Rousseau les avait déjà anticipées en mars dernier : "Beaucoup disent 'la police ne va pas s'occuper de ce qui se passe dans la sphère domestique. C'était le même débat il y a des années au sujet des violences conjugales. Si les femmes ont une charge mentale trop importante, l'état doit protéger ces femmes" déclarait-elle. Et c’est justement sur la mise en place concrète de ce délit de non-partage des tâches domestiques que s’interroge Rachel Flore-Pardo.
"À partir de quand l’infraction est commise ?"
Avocate au barreau de Paris spécialisée dans la défense des droits des femmes, Rachel Flore-Pardo est revenue pour Yahoo sur la proposition de Sandrine Rousseau. Le sujet des inégalités femmes-hommes, elle le connait bien, puisqu’elle lutte chaque jour contre le cybersexisme et les cyberviolences sexistes et sexuelles à travers l’association féministe Stop Fisha. Ce qui ne l’empêche pas d’émettre des doutes sur la faisabilité d’un tel projet juridique au sujet des tâches ménagères : "À partir de quand l’infraction est commise ? Est-ce que c’est quand on ne fait pas la vaisselle une fois, ou est-ce que c’est quand on ne la fait pas pendant deux, trois fois ?"
Vidéo. "Les conséquences de ces violences peuvent être dramatiques"
Consciente de la charge "bien trop importante" qui pèse sur les femmes, Rachel Flore-Pardo avance d’autres pistes pour tenter d’équilibrer les choses : "Parmi les solutions il y a évidemment l’allongement du congé paternité et le fait de le rendre en partie obligatoire. Ce qui est absolument essentiel parce qu’on voit que les inégalités salariales se creusent après un congé maternité." Une situation effectivement de plus en plus décriée. Il y a quelques jours, c’est l’animatrice des "Maternelles", Agathe Lecaron, qui confiait à Yahoo sa crainte de "tomber dans l’oubli" après son congé maternité, et, par conséquent, ses réticences à fonder une famille pour protéger sa carrière. Un exemple parmi tant d’autres de la pression qui pèse sur les femmes, à la maison mais aussi au travail.
Pour Rachel Flore-Pardo, ce délit de non-partage des tâches ménagères risque d’être difficile à mettre en oeuvre. Comment mesurer et criminaliser des actes de la vie quotidienne qui se tiennent dans la sphère privée ? "Il y a un vrai sujet qui se posera si jamais de tels faits étaient pénalisés. Ça posera des difficultés évidemment de preuves." Pour autant, l’avocate tient à rappeler que, dans le cas d’un divorce, "si la femme a davantage pris part et s’est davantage investie dans les tâches domestiques, elle sera libre de demander une compensation à ce titre." C’est d’ailleurs le cas d'une Portugaise qui, en 2021, a réussi à faire condamner son ex-conjoint à 60.782 euros d’amende pour avoir refusé d’effectuer les tâches ménagères tout au long de leur 30 ans de vie commune. L’information est cocasse, mais elle met en lumière les inégalités entre les femmes et les hommes qui s’invitent dans la vie à deux. Rachel Flore-Pardo, elle, est plutôt sceptique quant au délit de non-partage des tâches domestiques proposé par Sandrine Rousseau : "Je ne sais pas si la voie pénale est la bonne voie pour cela. On a tendance à beaucoup attendre de la justice, pénale notamment, mais de toute évidence, elle ne peut pas avoir réponse à tout."
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