Violences faites aux femmes : "Pour le grand public, il y a des bonnes et des mauvaises victimes"

Domestic abuse. Young woman suffering from home violence, hiding her face from husband's fist.
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Les violences faites aux femmes ont été désignées comme grande cause nationale par le gouvernement français. Mais force est de constater que les victimes qui dénoncent ces violences ne sont pas toujours prises au sérieux. Pire, lorsque ces dernières prennent la parole, elles sont jugées en fonction de leurs origines sociales et de celles de leurs agresseurs. Pour l'opinion publique, il y a de "bonnes" et de "mauvaises" victimes. Un moyen supplémentaire pour les agresseurs de se dédouaner.

En théorie, porter plainte lorsque l'on dénonce des violences faites aux femmes – qu'il s'agisse de violences conjugales, d'une agression dans la rue, d'un viol... – devrait être simple. Mais en pratique, c'est une autre histoire. Alors que bon nombre de personnes accusent les réseaux sociaux d'être devenus "un tribunal populaire" sur lequel la présomption d'innocence n'est pas respectée, force est de constater que c'est aussi là-bas que la parole des victimes est le plus souvent remise en cause.

Pourtant, les violences faites aux femmes sont une réalité impossible à nier. En 2019, selon l'Observatoire national des violences faites aux femmes, 146 femmes ont péri sous les coups de leur compagnon ou de leur ex-compagnon. En 2020, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, 54 800 personnes ont porté plainte pour violences sexuelles, dont plus de 24 000 pour viol, et plus de 30 000 pour agression ou harcèlement sexuel. Cela représente près de trois viols toutes les heures. Un chiffre déjà énorme, surtout quand on sait que, selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), 78% des victimes ne porteraient pas plainte.

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"J'ai très vite été cataloguée comme "mauvaise" victime de viol"

Le traitement des victimes de violences sexistes, et encore plus les différences de traitement envers les différentes victimes selon leurs profils, voilà la raison pour laquelle bon nombre de personnes n'osent pas pousser les portes d'un commissariat pour porter plainte. Il y a quelques mois, Noémie* a été victime d'une vague de harcèlement après avoir dénoncé le viol qu'elle avait subi. Travailleuse du sexe, elle avait été suivie dans la rue par un homme l'ayant reconnue sur OnlyFans. "J'ai refusé ses avances, je lui ai dit de me laisser tranquille. Il m'a frappée et m'a entraînée dans un hall d'immeuble, où il m'a violée, en plein jour."

En partageant son histoire sur Twitter, Noémie pensait recevoir des messages de soutien, mais elle souhaitait aussi dénoncer les violences que subissent les travailleurs et travailleuses du sexe. Malheureusement, c'est tout le contraire qui a eu lieu : "J'ai reçu des dizaines et des dizaines de messages, de commentaires qui disaient en substance "elle l'a bien cherché". C'est fou le nombre de personnes qui considèrent encore qu'une femme qui montre son cul sur Internet mérite tout ce qui peut lui arriver. J'ai très vite été cataloguée comme une "mauvaise" victime de viol, parce que dans l'imaginaire collectif, la bonne victime de viol, c'est la nana prude, discrète, de bonne famille. Pas la pute tatouée qui poste des photos à poil pour se faire de l'argent."

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Noémie dénonce aujourd'hui les différences de traitement entre les victimes de violences en fonction de leurs origines sociales. "Les personnes queer, racisées, les travailleurs et les travailleuses du sexe... Toutes les personnes qui sont stigmatisées au quotidien sont toujours moins prises au sérieux que quand c'est une nana blanche, hétéro, avec un job "classique". C'est une représentation de plus du privilège de classe. Ces personnes-là sont elles aussi victimes de violences faites aux femmes, et c'est dégueulasse. Mais nous, en prime, on ne nous croit pas. C'est une double forme de violence."

Son témoignage fait écho à l'analyse de Louise Delavier, responsable des programmes et de la communication pour l'association En Avant Toutes, et co-créatrice du chat d'accompagnement des victimes de l'association qui agit pour l'égalité femmes-hommes et la fin des violences. Cette dernière estime que non seulement le traitement change en fonction de la position de la victime, mais que celle de son agresseur est également à prendre en compte : "Il y a effectivement une différence de traitement en fonction des victimes, et on voit que si la personne est précaire, racisée, ou si son agresseur est puissant, le traitement va être différent. Et on remarque que plus l'agresseur va être puissant, plus il va y avoir un traitement qui va être en défaveur de la victime, plus il va y avoir d'indulgence envers l'agresseur."

Le cas de la femme de ménage et de l'homme politique

Car forcément, plus la victime est précaire et fragile, et plus son agresseur est riche ou puissant, plus cela vient renforcer le cliché selon lequel des personnes feraient de fausses accusations pour de l'argent est renforcé. Les féministes le dénoncent régulièrement, et l'ont encore fait alors que Florence Porcel est accusée d'avoir fait des révélations sur Patrick Poivre d'Arvor dans le simple but de faire la promotion de son roman.

L'un des cas les plus emblématiques de ce rapport de force est l'affaire DSK. Le 14 mai 2011, l'homme politique, directeur général du Fonds monétaire international, est accusé d'agression sexuelle, de tentative de viol et de séquestration par Nafissatou Diallo, une femme de ménage du Sofitel de New York où il séjournait. Il est blanc, riche, puissant et célèbre. Elle est noire, précaire, et très vite, elle est accusée par les partisans de DSK d'avoir menti pour lui nuire, de faire ça pour de l'argent. Dans la presse américaine, elle est qualifiée de "pauvre menteuse en quête de popularité et d'argent". A l'époque déjà, dans la presse, la notion de "bonne" et de "mauvaise" victime de violences commençait à émerger.

Pour Louise Delavier : "C'est un problème qui est systémique, lié à des mécanismes de domination qui existent dans la société, et qui perpétuent ces violences-là. Ça va permettre aux agresseurs de continuer à faire ce qu'ils font, et à vivre en étant bien tranquilles, en dehors de l'agression. Et puisqu'ils sont puissants, ils ont plein de possibilités pour perpétrer ces mécanismes, être protégés et donc à ce qui ne leur arrive rien derrière." Le cas des bonnes et des mauvaises victimes ne se résume d'ailleurs pas seulement au domaine des violences faites aux femmes : c'est le cas également pour toutes les personnes victimes de violences policières dont on exhume une ancienne condamnation, par exemple.

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Bonne ou mauvaise victime : le cas particulier de la téléréalité

Viennent ensuite les personnes ultra médiatisées qui dénoncent des violences dont elles ont été victimes. Ces derniers mois, Loana a pris la parole à plusieurs reprises, dévoilant les photos de son corps marqué d'hématomes, accusant son ex de l'avoir violentée à plusieurs reprises, de lui avoir cassé des dents. A la vue de ces photos, certains se sont moqués de ses poils sur les jambes, l'accusant d'être une "crasseuse". D'autres n'ont pas hésité à la qualifier de "pauvre fille qui ferait mieux de se faire soigner", l'accusant de s'inventer des histoires, ou pire : de chercher les problèmes pour retrouver sa gloire d'antan.

Plus récemment, c'est l'affaire Nehuda-Ricardo qui s'est retrouvée au cœur d'un débat sur les réseaux sociaux. Le 15 février dernier, l'ancienne candidate de The Voice et des Anges de la Téléréalité prend la parole contre son ex, Ricardo, avec des propos glaçants : "J’étais enceinte, il m’a menacée avec une arme à bout portant, j’ai crié, j’étais en larmes, j’ai appelé la police, je suis allée porter plainte le lendemain. […] J’étais enceinte il m’a ouvert le crâne à coups de poings, j’ai eu deux points de suture."

Sur Twitter, la jeune femme a reçu de nombreuses marques de soutien, mais aussi des messages très durs, tels que cette internaute qui affirme : "Vous vous mettez en couple avec des gars bizarres et après vous vous plaignez qu’ils se comportent mal avec vous." Nehuda a pâti de sa réputation sulfureuse de femme racisée, de starlette de téléréalité, de femme qui pose en petite tenue sur les réseaux sociaux. Les deux cas se ressemblent : deux femmes populaires grâce à des émissions rejetées par les intellectuels, et qui sont donc catégorisées comme des personnes en quête d'attention, plutôt que comme des victimes.

Toutefois, Louise Delavier conserve un certain optimisme, et l'affirme : la libération de la parole au sujet des violences est une bonne chose, n'en déplaise à ceux qui estiment que cela n'a pas sa place sur les réseaux sociaux : "Le fait de parler, de dénoncer, c'est quelque chose d'extrêmement difficile, mais qui fonctionne assez bien pour lutter contre ce phénomène. C'est quand même éprouvant, parce que même quand les victimes parlent, le traitement médiatique est compliqué. Mais ça met un petit coup de pied dans la fourmilière quand même, on voit que ça ébranle les fondations de ce système." Un système qui peine malheureusement à évoluer.

* Le prénom a été modifié par souci d’anonymat

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