Marie-Aldine Girard (Rivales) : "Quand une femme traite une autre femme de "salo*e", c'est elle-même qu'elle traite de "salo*e"

À la base, Marie-Aldine Girard voulait écrire un livre sur la sororité. Lorsqu’elle évoquait le projet à son entourage, elle était surprise de la réponse : "Il n’y a rien de pire que les femmes entre elles". Une sentence, vraie, qu’elle a voulu démystifier. "Rivales" (éd. Flammarion) explique la genèse de la rivalité féminine et donne quelques clés pour sortir de ce système néfaste pour les femmes.

Chaque jour, on découvre avec stupeur les nombreuses tentacules du patriarcat. On débroussaille, on déconstruit et presque avec terreur, on déterre les armes secrètes du système. Avec son livre "Rivales", la journaliste Marie-Aldine Girard met à jour un arsenal perfide : la rivalité entre les femmes. À ne pas confondre avec la compétition, car cette dernière est saine et pousse les adversaires à se dépasser.

La rivalité, sur fond de jalousie, alimente une guerre entre femmes dont aucune ne sort victorieuse. Dans un premier temps, la journaliste s’est interrogée sur les racines de la rivalité féminine. Pourquoi les femmes se jalousent-elles ?

Le syndrome de la reine des abeilles

Il existe tout d’abord des explications historiques. Pendant longtemps, les femmes étaient choisies par les hommes sur base d’attributs tels que la beauté et la jeunesse. Cela leur permettait d’accéder aux bons partis, à savoir les hommes issus de familles aisées, de procréer, d’être protégées et de s’assurer une bonne descendance. Les autres femmes, belles et jeunes, étaient alors considérées comme des dangers pouvant mettre à mal cet équilibre.

L’autre grand point de départ est le manque de confiance. Il s’explique en grande partie par l’éducation que reçoivent les filles depuis leur plus tendre enfance. "On apprend aux filles à être discrètes, gentilles, à ne pas entrer dans la compétition comme c’est le cas pour les jeunes garçons."

En grandissant, les filles se sentent vulnérables et moins adaptées à la compétition. Elles baissent les armes très rapidement. Et pour celles qui vont au front, quoi qu’il en coûte, elles se battent avec des codes dits "masculins". Entendez par là qu’elles se défendent avec les mêmes armes que les hommes pour se hisser à des positions que la société a naturellement tendance à octroyer aux hommes. Dès lors, elles peuvent se montrer encore moins compréhensives et plus "acharnées" que la gent masculine. Pourquoi ? Parce que les places sont rares et chères.

Vidéo. Marie-Aldine Girard : "Le concept de la reine des abeilles, c’est quand une femme arrive à un poste de pouvoir"

Comme le signale Marie-Aldine Girard, le fond du problème, c’est la part du gâteau. Notre société patriarcale a attribué la plus grosse part du gâteau aux hommes. Les rares places qui sont dévolues aux femmes sont chéries férocement par ses détentrices, et à raison. L’exemple le plus probant étant le milieu du travail.

Pour les besoins de son livre, Marie-Aldine Girard a recueilli pas moins de 40 témoignages de femmes. Nombreuses sont celles qui ont évoqué la rivalité féminine au travail. Pour expliquer ce triste phénomène, la journaliste s’est penchée sur les travaux de plusieurs chercheurs américains, qui ont théorisé ce qu’ils appellent "le syndrome de la reine des abeilles". Un syndrome qu'elle définit dans son livre "Rivales" de la façon suivante : "Telle la reine des abeilles, assise sur son trône, la femme qui accède à un poste à responsabilité se montrerait cruelle et sans pitié afin d’asseoir son autorité et d’empêcher ainsi les autres femmes d’accéder au pouvoir."

Cette théorie se base sur les travaux de trois chercheurs du Michigan. En 1973, ils ont essayé de comprendre la perception qu’avaient les salariés de leurs managers féminins. Ils étaient parvenus à la conclusion que les femmes managers se comportaient plus durement envers les autres femmes qu’envers les hommes. Cette étude démontrait également que les managers masculins étaient moins durs que les femmes envers leurs salariées.

La raison ? Pour se faire une place dans un milieu majoritairement masculin, les femmes ont dû intégrer les codes du patriarcat et prouver leur loyauté au système dominant, les hommes, en tournant le dos aux femmes.

Une autre étude datant de 2015 et réalisée par l’ Université du Maryland "révèle que dans une organisation donnée, lorsqu’une femme prend un poste de dirigeante, les chances pour la suivante d’accéder à un poste équivalent en responsabilités chutent de 50%" détaille Marie-Aldine Girard.

"Rivales" éclaire également sur un autre phénomène de société dans lequel la rivalité féminine fait rage : le slutshaming. Les témoignages recueillis et les études réalisées sur le sujet montrent que les femmes reprennent les arguments masculins pour dénigrer leurs consoeurs. Elles vont juger plus sévèrement le nombre de partenaires sexuels, le physique, les qualités de mère de l'une ou l'autre...

Vidéo. Marie-Aldine Girard : "On nous a toujours fait comprendre que les femmes n’étaient pas drôles"

La dévalorisation du féminin

Cette misogynie internalisée a les mêmes racines que le manque de confiance évoqué plus haut : l’éducation. Marie-Aldine Girard évoque la dépréciation du féminin qui sévit au sein de notre société. Pendant très longtemps, avec sa soeur jumelle, Marie-Aldine Girard avait l’habitude de dire : "J’ai un humour de mec". "Ça sous-entend que l’humour est masculin donc que les femmes ne sont pas drôles", explique-t-elle au micro de Yahoo. "Finalement, en disant cela, on participe à un système dans lequel les femmes sont considérées comme moins drôles, moins vives, moins intéressantes" écrit-elle.

Les clés pour sortir de cette rivalité

En alimentant un climat hostile entre les femmes, le système patriarcal s’assure que les cartes ne se rabattent pas. Trop occupées à s’ériger les unes contre les autres, les femmes s’isolent et s’affaiblissent face à l’ennemi principal.

Comment faire dès lors pour combattre ce sentiment de jalousie envers ses pairs ? Un mot d’ordre : la sororité. Faire preuve de bienveillance, arrêter de critiquer, prendre pour exemple, et non pour échec personnel, la réussite d’une autre femme,... Tous ces comportements participent à une forme de bienveillance et c'est finalement ce qui devrait devenir la nouvelle arme des femmes.

Vidéo. Marie-Aldine Girard : "Non, être une fille n’est pas quelque chose de négatif"

À LIRE AUSSI :

>> Orgasmes, putophobie, patriarcat,… : Klou, travailleuse du sexe depuis 4 ans, raconte sa vie

>> 75% des femmes disent souffrir du syndrome de l’imposteur

>> Qu'est-ce que la mysoginie internalisée ?