Thomas évoque l'anorexie mentale qui l'a rongé : "Dans les périodes de crises, j’en suis venu à faire un cambriolage de frigo"

À 17 ans, Thomas Pouteau sombre dans l’anorexie mentale. Dans son livre "Je reviens d’une anorexie" (éd. Frison Roche) le jeune homme de 25 ans revient sur sa longue descente aux enfers des troubles du comportement alimentaire. Au micro de Yahoo, il explique comment cette maladie considérée comme "féminine" l'a empêché d'être diagnostiqué plus tôt.

Chez les personnes qui ne souffrent pas de troubles du comportement alimentaire, la sensation de faim, lorsqu’elle survient, doit être comblée. Lorsque l’on souffre de TCA, le sentiment de contrôle prévaut sur tout le reste. Le plaisir ne se situe plus dans l’alimentation et le sentiment d’avoir mangé, mais plutôt dans celui de ne pas avoir mangé. "On ressent une joie profonde à être capable de moduler son corps et de ne pas manger. C’est une victoire de ne pas manger."

C’est en ces termes que Thomas décrit sa phase d’anorexie. Celle-ci survient à l’âge de 16 ans. Thomas est à l’époque joueur de foot au sein du centre de formation du Stade Lavallois, qui, à l'époque, était un club en Ligue 2. À la suite d’une série de blessures, le centre décide de ne pas renouveler son contrat. Un coup de semonce pour le jeune homme dont le foot rythme la vie depuis qu'il a 3 ans. Comme il le décrit dans l’interview, il "perd la maîtrise de ses décisions, de ses actes", Thomas décide de reprendre une mainmise sur la seule chose qu’il peut maîtriser à ce moment : son alimentation. "Ça passe par moins d’alimentation et en parallèle ça passe aussi par plus d’entrainements." Thomas mange de moins en moins et accroît considérablement sa pratique sportive. "Je suis descendu jusqu’à 47 kilos. Il y avait une perte de 14 à 17 kilos en moins de 6 mois."

Pour éviter d’éveiller les soupçons sur ce nouveau mode de vie "militaire", il mange moins à la cantine pour s’autoriser un repas "normal" le soir avec ses parents. Rien également qui puisse alerter les professeurs. Le jeune garçon enchaîne les bonnes notes même s’il confie "ne plus avoir de mémoire". "Je mémorisais à la journée et le lendemain, j’oubliais."

Il y a quelques mois, des chercheurs de l’université de Bath ont étudié les conséquences de l’anorexie mentale sur la structure du cerveau. Ils ont déterminé que l’anorexie entraînerait une modification de la structure du cerveau. Les scientifiques se sont appuyés sur les scanners cérébraux réalisés chez 685 patientes atteintes d'anorexie mentale et 963 femmes témoins en bonne santé. Les participantes malades souffraient d’une une atrophie cortico-sous-corticale. Ce qui leur a permis de conclure que le trouble de l’anorexie joue sur la structure du cerveau. Une conséquence directe de la dénutrition.

L’autre cause qui peut expliquer la perte de mémoire est le manque de sommeil. Le jeune garçon n’a "plus assez d’énergie pour dormir." Il commence alors à courir en plein milieu de la nuit. "Aller courir sur ces temps d’insomnie permettait d’alimenter sa prochaine insomnie." Son anorexie déclenche une autre forme d’addiction, celle au sport, appelée "la bigorexie". C’est le serpent qui se mord la queue.

Vidéo. Thomas Pouteau : Thomas évoque son anorexie mentale : "Je suis descendu jusqu’à 47 kilos. Il y avait une perte de 14 à 17 kilos en moins de 6 mois"

"J’attaquais des frigos entiers jusqu’à m’en déchirer le ventre"

Si le mental (ou l’addiction, comme le suggèrent certaines études, prend le pas sur les besoins physiologiques, les moments de lâcher-prise subsistent et prennent une forme "orgiaque". "J’attaquais des frigos entiers jusqu’à m’en déchirer le ventre." Thomas se rappelle de ces soirées alcoolisées dont une, à Nantes, qui lui a laissé un souvenir honteux.

"C’était chez une amie et il n’y avait plus rien dans le frigo. J’ai escaladé la haie pour rentrer dans la maison des voisins pour aller attaquer leur frigo. J’en suis venu à faire un cambriolage de frigo. C’est dire l’état dans lequel ça peut nous mettre dans ces moments-là."

Thomas ressent alors le fardeau de "la double-honte". "On ressent une honte, tant de l’anorexie que de la boulimie, peu importent les instants auxquels on les vit."

Vidéo. Thomas évoque son anorexie : "Les médecins me disaient: '1m79, 49 kilos : non non, il n’y a pas de problème'"

"Il suffit de manger Monsieur"

Ce n’est pas le secteur médical qui fera prendre conscience à Thomas qu’il souffre d’un trouble aux lourdes répercussions sur sa santé. Même s’il a consulté de nombreux spécialistes de différents secteurs (diététiciens, nutritionnistes, médecins généralistes, psychiatres,…) sa pathologie n’était pas solidement considérée. "Personne ne s’est vraiment inquiété de mon état. Comme si c’était normal de perdre 14 kilos en 6 mois." D’après lui, c’est lié à une méconnaissance de l’anorexie mentale au sein du corps médical. Car, spoiler, la maladie peut aussi toucher les hommes.

Un soir, en navigant sur internet, Thomas tombe sur une description de l’anorexie. Il se reconnaît beaucoup dans les signes "malgré le fait que je lisais que c’était une maladie féminine." Le sentiment de honte ne l’atteint pas "même si je sais que la maladie peut être perçue comme telle par certains hommes." Ce qu’il perçoit davantage, c’est le tabou qui entoure le trouble. "Premièrement, dans la méconnaissance des différents médecins et professionnels de santé parce que personne ne m’a sorti ce terme médical. Certains m’ont dit : "'Il suffit de manger. Je suis monté sur la balance de certains médecins qui me disaient : "1m79, 49 kilos : non non, il n’y a pas de problème"".

"Il y a une perte totale de libido. Il y a une perte totale d’identité"

Lors d’une précédente interview, Morgan, un jeune homme qui a souffert d’anorexie durant de longues années, a épinglé l’un des tabous entourant l’anorexie mentale : la perte de libido. Chez les hommes, elle se caractérise par des dysfonctionnements érectiles importants. Thomas a vécu ce sentiment : "Dans la rue, hommes, femmes, etc., je ne voyais que des lampadaires. Il n’y avait aucune attirance pour qui que ce soit, aucun désir qui ne se manifestait à l’intérieur de moi".

Thomas pousse le raisonnement un poil plus loin : l’anorexie mentale donnerait ce sentiment de "perte totale de l’identité." "Les hommes ont du mal à interroger leur virilité. Pour un homme, assumer d’être atteint d’anorexie, une maladie considérée comme genrée, ce qui est une stupidité… Et perte de sa virilité signifie perte de son identité d’homme au sein de la société. Et finalement, on a une perte totale d’identité."

Vidéo. Thomas évoque l'anorexie qui l'a rongé : "J'ai les douleurs d'une personne de 40 ans avec les aptitudes physiques d'un jeune de 25 ans"

L’addiction à la perte de poids

"Il y a une forme de gain, une forme de lutte presque primitive au début, qui est : "J’ai perdu du poids. J’ai gagné quelque chose, une forme d’ "estime de moi-même". Petit à petit, on se rend compte que les pertes de poids doivent être toujours plus importantes pour être récompensées. Il faut aller toujours plus loin. Là, ça devient inquiétant. J’ai ressenti cette addiction. On a toujours envie de plus. Tous les jours, on monte sur la balance et on cherche les stratagèmes pour être sur le moins."

Dans cette spirale infernale, le regard de la société est un fardeau. Dans un premier temps, la diet culture joue le rôle de catalyseur.

"On perd très vite du poids et tout le monde nous incite à poursuivre là-dedans", confie Thomas. Gargarisés par ce sentiment de contrôle, de pouvoir incroyable de "moduler son corps" à sa guise, les malades s’enfoncent dans une perte de poids vertigineuse. "Jusqu’au jour où on perd 12,13, 15 kilos et là, on sent les regards des autres qui commencent à converger vers nous. Là, ce sont des regards presque incriminatoires."

À ce moment de la maladie, sa silhouette maigre n’interroge que les autres. Thomas vit une forme de dysmorphobie : "Je me voyais gros alors que j’étais très maigre. Il y a toujours des moments de lucidité où je pensais : "Non là vraiment tu es extrêmement maigre. Il faut reprendre du poids. Mais ça, ça dure deux ou trois minutes dans une journée de 24 heures".

S'il se sent de plus en plus marginalisé par le regard de la société, le jeune homme trouvera le soutien et l'aide nécessaires au sein-même de son foyer familial. Son père le fait renouer avec une de ses grandes passions : le sport et l'invite à l'accompagner dans des trails intenses. Thomas se nourrit davantage pour donner de l'énergie à son corps. Au fil des trails, le jeune homme reprend goût à la vie. L'utilisation de l'expression n'est pas anodine.

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