Mathilde Blancal : "Pendant toutes ces années, je sentais le vomi. C’était extrêmement honteux pour moi"

Derrière un titre léger et un brin girly, l’ouvrage "Confidences d’une ex accro des régimes" de Mathilde Blancal raconte la dépendance forte d’une jeune femme aux diktats de la minceur. Mathilde Blancal a souffert de troubles du comportement alimentaire pendant plus de 10 ans. Crises sévères de boulimie, anorexie, bigorexie, la jeune femme a exploré tous les mécanismes d’auto-destruction possibles avant de trouver la voie de la guérison. Interview.

Lorsqu’on lui demande, elle n’arrive pas trop à savoir à quel moment exact de sa vie elle a eu l’envie de perdre du poids. Elle se rappelle juste que sa descente aux enfers a été très progressive et d'une violence psychologique inouïe.

Mathilde Blancal n’avait a priori aucune raison de vouloir perdre du poids. En sortant tout juste de l'enfance, elle ne reconnaît pas ce corps qui change. Elle regarde les femmes autour d'elle et ne parvient à s’identifier à aucune représentation de l’image de la femme. Mathilde Blancal, c’est l’histoire d'une jeune femme qui, à défaut de manger, se fait dévorer par le diktat de la minceur.

"Je me faisais vomir jusqu’à 6 fois par jour"

Mathilde a procédé méthodiquement : suppression progressive de catégories d’aliments. Le gras, le sucre, les féculents... l’adolescente devient crudivore. Elle ne se nourrit que de fruits et de légumes. Mathilde Blancal se lance dans une course contre les calories. Une course trop lente à son goût. Au fil de ses recherches sur le dark web, elle tombe sur les forums des pro-ana, des jeunes femmes anorexiques qui s’échangent des conseils pour ne pas prendre de poids. Sur ces plateformes, elle découvre mille astuces pour ingérer le moins de calories. Parmi les solutions proposées, une corrélation fait l’effet d’une évidence et va la poursuivre durant de nombreuses années: "Je me suis dit, si je me fais vomir, je ne vais pas garder les calories que j’ai ingérées." C’est le début de sa relation avec les toilettes, un amour toxique qui marquera au fer rouge des années entières de son existence. "Quand j’ai réussi à vomir la première fois, j’ai été assez surprise. Il y a eu un petit côté au fond de moi où je me suis dit : ‘En fait, ce n’est pas si déplaisant que ça. Il y avait une satisfaction de me sentir plus légère.’"

Et c’est le début d’un autre cercle vicieux : la boulimie. Lasse des restrictions, Mathilde part dans une frénésie alimentaire qui se termine dans la cuvette des toilettes. Allégé et affamé, son corps est en demande de nourriture... Et c’est reparti pour un tour.

"Je me faisais tellement vomir qu’il y avait du sang dans la cuvette des toilettes. À force, je m’étais fragilisé la gorge."

"Je sentais le vomi. C’était extrêmement honteux"

Non sans une once d’humour, Mathilde Blancal évoque dans son livre le début de son histoire d’amour malheureuse avec la cuvette des toilettes. "Ça me fait de la peine pour moi-même de le dire, mais pendant des années, j’ai eu la tête dans les toilettes. Je me suis même fait vomir dans des toilettes publiques en plein centre-ville. Je ne vous laisse même pas imaginer l’état d’hygiène de ces toilettes… Bizarrement, les toilettes étaient devenues un refuge. C’était moi et ma souffrance dans la cuvette."

Sur le même ton badin, elle lève aussi un tabou, celui de l’odeur. "Pendant toutes ces années, je sentais le vomi. C’était extrêmement honteux pour moi. J’achetais en pharmacie des patchs pour l’haleine, je me brossais les dents… Fallait que je trouve des stratagèmes pour dissimuler cela à mon entourage et à la société et maintenir l’image de la fille tout-sourire, gentille, qui réussissait tout le temps. Alors qu’en réalité, non. À chaque fin de repas, je partais dans les toilettes me faire vomir. C’était plus fort que moi. C’était une véritable addiction."

Vidéo. Mathilde Blancal : "Un jour on se réveille, on se fait vomir 6 fois par jour et on va courir à 03h du matin"

"J’allais courir à 03h du matin"

À cette époque, Mathilde n’est pas seulement accro à l’acte de se faire vomir. Elle développe également une forme sévère de bigorexie, une pratique extrême et intensive du sport. C’est le besoin de contrôler son poids qui l’enferme dans son addiction à l’activité sportive. Un comportement excessif et progressif : "J’ai vraiment sombré petit à petit. On ne se réveille pas un jour en se faisant vomir 6 fois par jour et en allant courir à 03H du matin".

En l’espace de quelques mois, la vie de Mathilde se résume à des fringales, se faire vomir et faire du sport : "Je faisais pratiquement 4 heures de sport par jour. Je ne savais pas m’arrêter. J’y allais très tôt le matin. Le soir, quand je n’arrivais pas à dormir parce que je considérais que j’avais trop mangé, je me disais ‘ bon bah comme je ne dors pas, je vais aller rentabiliser mon temps, je vais aller brûler des calories.' Je mettais mes petites baskets à 03H du matin et j’allais courir. C’étaient des comportements totalement absurdes."

Ces "comportements absurdes", comme elle les qualifie, témoignent d’un profond mal-être qui se traduit par une forme de maltraitance physique : "Quand je n’allais vraiment pas bien, je me maltraitais. Je me suis donnée des coups un peu sur tout le corps. J’allais tellement mal qu’il fallait que j’extériorise tout ce mal-être en douleur physique."

Dans son bouquin, Mathilde Blancal s'interroge sur les raisons. Sa mutilation physique était-elle une façon de rendre visible sa détresse psychologique ? Durant toutes ces années, l'entourage de la jeune femme n'a posé aucune question. Pas plus que les hommes qui ont partagé sa vie. Un jour, elle s'est confiée à son compagnon de l'époque sur ses troubles et son besoin irrépressible de vomir après chaque repas. L'homme lui fait remarquer que ces petits jeux lui font perdre de l'argent surtout lorsqu'il l'emmène dîner au restaurant.

Vidéo. Mathilde Blancal : "Ma vie est un enfer et j’ai même pas 30 ans"

"Tu es minable si tu manges des frites"

Foudroyée par les crises de boulimie et rongée par son mal-être, la jeune femme se raccroche à un espoir : "ne pas être la même personne à 70 ans". La prise de conscience sera progressive et la guérison passera par diverses étapes. Thérapeutes, médecine douce... c'est finalement le sevrage à la nourriture qui va la sauver. "J’ai dû déconstruire tout ce que je pensais sur la nourriture. Avant, je ne mangeais que des courgettes parce que c’est peu calorique et que je pensais que c’était vertueux. Je m’interdisais les frites parce que c’est gras. Je me disais : 'tu es minable si tu manges des frites'. Et bien non en fait. J’ai dû réapprendre à goûter les choses. J’ai pris ma fourchette, je l’ai mise en bouche et j’ai analysé quel goût cela avait."

Mathilde Blancal apprend à manger, "comme un enfant" rappelle-t-elle. Elle se force à manger tous les aliments qu’elle s’interdisait. L’objectif est d’évaluer si elle apprécie ce qu’elle mange pour le plaisir gustatif que cela lui procure ou bien par goût de l’interdit. Ainsi, dans un premier temps, elle s’autorisera tous les cookies et gâteaux que son cerveau malade avait banni. D'abord elle dévore la boîte entière. Elle prend ensuite le temps d'analyser le goût des cookies. Finalement, elle découvre que son obsession pour ces gâteaux étaient directement liée à la privation et la frustration parce que "finalement, les cookies, c’est pas si bon que ça." "Quand j’ai eu la possibilité d’en manger autant que je voulais, et bien je n’ai plus eu envie d’en manger. Maintenant, j’oublie que j’ai des cookies dans mon placard."

"J’étais une toxico. Aujourd’hui, je suis une personne normale"

Ce long et douloureux sevrage lui a permis de guérir de ses troubles du comportement alimentaire. "J’étais une toxico. Aujourd’hui, je suis une personne normale" déclare-t-elle en rigolant. "J’aurais toujours une sensibilité mais je sais aujourd’hui identifier les ‘petites voix qui me parlent et m’enfoncent’". Pour enterrer définitivement ses démons, Mathilde Blancal a listé tous les bénéfices de sa guérison. "I am a Queen" reprend tous les bénéfices de sa guérison et lui rappelle quotidiennement que la "jeune fille qui puait le vomi" fait partie du passé.

"Parce qu'aucune grande histoire n'a commencé avec une salade verte" comme elle se plait à le dire, Mathilde Blancal espère que ce livre aidera les femmes qui, comme elle a pu le faire par le passé, "luttent contre leurs corps de femme". "Confidences d’une ex accro des régimes" est un ouvrage nécessaire pour comprendre les conséquences désastreuses de la diet culture.

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