Ariane Séguillon : "C’est un suicide assez lent. Mais c’est un suicide la boulimie"
Dans un ouvrage violent mais nécessaire, l’actrice Ariane Séguillon raconte son combat contre la boulimie. Dans "La grosse"(éd. Flammarion), elle retrace tous les épisodes de sa vie qui l’ont conduite à se tuer à petit feu. Aujourd’hui guérie, elle témoigne contre les idées reçues sur la boulimie et les enseignements insidieux qui en découlent.
"Dans une certaine presse, on a dit que j’avais perdu 45 kilos juste en faisant du sport. Ce n’est pas vrai. Faut arrêter de prendre les gens pour des cons" nous confie Ariane Séguillon, irritée. Dans un récit fort et émouvant, l’actrice de "Demain nous appartient" revient sur sa lente et longue tentative de suicide qui prenait la forme d'une boulimie. "La grosse" est un ouvrage important pour mieux comprendre les processus de la maladie.
Le pied dans l’engrenage des TCA
On ne se découvre pas boulimique du jour au lendemain. La boulimie peut s'apparenter à un enfer auquel on accède par un chemin douloureusement tortueux. Ariane Séguillon s'y engouffre à 20 ans, juste après sa grossesse. À l’époque, la jeune femme affiche "un 34/36". Une taille ô combien glorifiée et fétichisée par la société. Après sa grossesse, elle affiche 30 kilos de plus. La jeune maman, qui aspire à devenir une comédienne reconnue, entre dans l’enfer des régimes. Elle n’a qu’un objectif : perdre 30 kilos rapidement. Très rapidement. Pendant deux mois, elle avale des sachets de protéines qui remplacent des repas. Elle met surtout un premier pied dans l’engrenage, celui où la nourriture devient l’ennemie à abattre. Une ennemie avec laquelle on entretient une relation toxique, comme une addiction à une drogue : "Les gens qui se droguent commencent lors d’une soirée et se disent ‘ah beh c’était pour rigoler’. Après, ils trouvent ça sympa pendant deux soirées. Puis, la semaine, ils sont fatigués donc ils se disent ‘tiens, je vais en reprendre (de la drogue, ndlr)’. Les troubles du comportement alimentaire c’est la même chose. Il y a l’évènement, le truc qui fait que l’on plonge et qu’ensuite on va plus loin.".
Vidéo. "On peut arrêter la cocaïne mais pas arrêter de manger"
La plus pernicieuse des drogues
Si l’on s'en réfère aux témoignages des personnes atteintes de troubles du comportement alimentaire, la nourriture peut devenir la pire drogue. "On peut arrêter de boire de l’alcool, de prendre de la cocaïne mais on ne peut pas arrêter de manger. Sinon on meurt" détaille Ariane Séguillon. Pour elle, manger, c'est se droguer. Et ce n'est pas un euphémisme : "J’étais shootée à la bouffe. Parfois, je commençais à manger le plus tard possible pour avoir mon shoot de bouffe, comme un shoot de drogue quoi. Plus j’attendais, plus le moment où je me mettais à manger était jouissif. Et plus c’était violent et plus j’aimais ça.".
Le sevrage n’en sera que plus long et laborieux. "Il faut réapprendre à manger pour se nourrir comme les gens normaux. Parce que la nourriture est normalement faite pour faire avancer son corps et pas pour se remplir sans jamais s’arrêter.".
Car, c’est bien là le problème des personnes qui souffrent de problèmes alimentaires. Dans le cas d’Ariane Séguillon, son comportement boulimique l’a poussée à se remplir jusqu’à ce que cela occulte toute sensation de satiété.
"5 pains au chocolat et 5 croissants que j’engloutis en moins d’une minute"
Sans même s’en rendre compte, le patient s’engouffre dans la brèche, et sans l'appui d'une épaule compréhensive. Car, comment justifier que l’on s’empiffre de viennoiseries pas parce qu’on est gourmand mais parce qu’on est malheureux ?
"Quand on est boulimique, il n’y a pas de plaisir à manger. Il y a une nécessité à manger, à se remplir. Le goût n’a plus d’importance. La sensation de satiété n’existe absolument plus. Ce n’est pas un plaisir. C’est un remplissage.".
Ce qui fait basculer l'actrice de "Demain nous appartient" dans la boulimie, l’une des formes les plus sévères des TCA, c’est l’annonce du cancer de son frère. "Quand il m’appelle et qu’il me dit qu’il a un cancer, je m’arrête dans une boulangerie et j’achète 5 pains au chocolat et 5 croissants que j’engloutis en moins d’une minute.".
Et plus le monde extérieur condamne "cette nécessité", plus le malade se plonge dans ses travers. C’est le serpent qui se mord la queue.
"48 heures sans m’arrêter de manger"
Ariane Séguillon va organiser son "suicide" pendant 5-6 ans. L’utilisation du mot suicide n’est pas galvaudée. Elle le confie elle-même, "la boulimie, c’est un suicide". Sa pire crise va durer 48 heures. "Pendant 48 heures, je ne vais pas m’arrêter de manger. On descend à la boulangerie, au supermarché pour acheter à manger parce qu’il n’y a plus assez. C’était 6/7 baguettes, des dizaines de camembert, des paquets de gâteau, de chocolats… C’est colossal.".
La descente aux enfers s’accompagne dès lors d’une grande solitude. Pour engloutir "sa drogue", Ariane Séguillon se cache de ses amis et même de son compagnon : "À l’époque, je ne vivais pas avec lui. Je repoussais le moment. Parce qu’autrement, je ne pouvais pas faire mes crises. Je cherchais la solitude."
S’ajoutent à ces douleurs morales des douleurs mécaniques importantes. "J'ai dû avoir des injections dans les tendons pour qu’ils puissent supporter le poids. Il y a des jours où je n’arrivais même plus à marcher. Je faisais semblant que j’y arrivais normalement quand je me rendais sur les plateaux. C’était une souffrance énorme. Je n’en parlais à personne."
Ariane Séguillon est seule avec soi-même. Et c’est seule aussi qu’elle décide d’affronter la maladie ou plus précisément de trancher entre la vie et la mort. Un épisode en particulier la sort du marasme : "Mon fils habitait à l’époque deux étages au-dessus de moi. Il vient pour me prendre des gâteaux. En voyant les placards vides il me dit ‘Maman, hier il y avait au moins 20 paquets de gâteaux dans le placard !’, je lui dis 'n'importe quoi, arrête'. Là je commence à mentir à mon fils. Je me suis toujours juré de ne jamais mentir à mon fils. Là, ça me fait un énorme déclic et je me dis ‘ok, je vais me soigner’."
Vidéo. "Ce n'est pas la sleeve qui guérit"
"Ma psy ne m’aurait jamais autorisée une sleeve si ma boulimie n’avait pas été guérie"
Lorsque l’on tape Ariane Séguillon sur un moteur de recherche, le terme sleeve remonte presque automatiquement, comme un corollaire de son histoire. Pourtant, un seul chapitre du livre est consacré à l’opération de chirurgie bariatrique. Non par honte, mais plutôt par souci de transparence. "Ce n’est pas la sleeve qui guérit. Il y a d’ailleurs des gens qui reprennent du poids après l’opération. Ma psy ne m’aurait jamais autorisée à en faire une si ma boulimie n’avait pas été guérie. Il n’y a pas de solution miracle.".
C’est en allant fouiller dans les démons du passé, "même si c’est compliqué" nous murmure-t-elle, qu’elle trouve les ressources pour entamer un long travail psychologique sur elle-même. À l’heure actuelle, Ariane Séguillon continue de se rendre chez sa psy et pour reprendre une de ses phrases fétiches : elle est guérie mais elle se soigne.
Vidéo. L'interview complète d'Ariane Séguillon
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