Gabriel Matzneff accusé dans une autre affaire de viols sur mineurs, d'autres grands noms impliqués

Depuis le jeudi 13 juin 2024, Libération publie une série d'articles évoquant plusieurs intellectuels français mis en cause pour des crimes sexuels commis pendant plusieurs années sur des enfants. Parmi les victimes, Inès Chatin, la fille adoptive de l’un d’eux, accuse notamment des grands patrons de presse, un avocat et l’écrivain Gabriel Matzneff de viols, de ses 4 à ses 13 ans.

Gabriel Matzneff accusé dans une autre affaire de viols sur mineurs, d'autres grands noms impliqués. Crédit : Getty
Gabriel Matzneff accusé dans une autre affaire de viols sur mineurs, d'autres grands noms impliqués. Crédit : Getty

Alors que le livre, puis le film "Le Consentement" ont médiatisé la relation d'emprise ayant existé entre Gabriel Matzneff et Vanessa Springora, alors adolescente, une autre affaire met en cause l'écrivain accusé de crimes pédophiles. En effet, Inès Chatin témoigne auprès de Libération d'abus et de viols commis de ses 4 à ses 13 ans, par un groupe d’hommes gravitant autour de son père adoptif, le médecin Jean-François Lemaire. Parmi eux, Gabriel Matzneff donc, mais aussi, selon Inès Chatin, le fondateur et directeur historique du Point, Claude Imbert, l’écrivain et membre de l’Académie française Jean-François Revel, ou encore l’avocat François Gibault.

À l'automne 2023 Inès Chatin, qui a choisi de prendre le nom de famille de sa mère, Lucienne Chatin, avait sollicité une audition auprès du parquet de Paris, pour dénoncer les nombreux sévices sexuels subis durant son enfance, notamment par Gabriel Matzneff. La quadragénaire espérait alors que des investigations soient menées, malgré la prescription qui s'applique aux faits. Le 23 octobre 2023, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire, ce qui a donné aux policiers de l’Office des mineurs (Ofmin) un nouveau cadre de recherche d’autres victimes.

Installée avec son grand frère, lui aussi adopté (il lui a apporté son soutien en paraphant les pages du texte dans lequel elle détaille les crimes endurés, mais souhaite rester anonyme) et ses parents au 97 rue du Bac, à Paris, Inès Chatin grandit au milieu d'intellectuels très présents dans son quotidien, qui peuvent arriver dans le domicile familial quand bon leur semble. "Ces hommes étaient à l’intérieur de ma vie. C’est comme si je leur appartenais autant à eux qu’à Gaston [elle utilise ce prénom pour désigner son père adoptif]. Je leur devais le même respect contraint, j’étais forcée à la même intimité. Ils avaient les mêmes droits sur moi", a-t-elle confié à Libération.

Selon elle, tous ces hommes partageaient, "une communauté de pensée", fondée sur de pseudo-références gréco-romaines, et prônant l’émancipation sexuelle des enfants par l’adulte. C'est donc au 97 rue du Bac, qu'ils se réunissaient, se masquaient le visage "avec une sorte de cape ou de manteau" et ont infligé, d'après Inès Chatin, des sévices sexuels à plusieurs enfants.

Tour à tour, les enfants devaient endurer des pénétrations avec des objets métalliques, comme de l'argenterie ou un coupe-papier. "Ils apportaient des objets comme s’il y avait une soirée à thème. [...] Ils les utilisaient pour tester la résistance à la douleur de nos endroits intimes", décrit Inès Chatin. En grandissant, elle n'est plus livrée à ces jeux, mais assure avoir continué à être victime de viols commis par Gabriel Matzneff et Claude Imbert. Gabriel Matzneff l'aurait même surnommée, lors des viols, "ma petite chose exotique" en faisant référence à son métissage. Inès Chatin indique également que ces scènes plaisaient à Jean-François Lemaire, qui arrivait généralement avant la fin, pour les observer en arrière-plan. Avec son entourage, le médecin se livrait également à des séances photos lors desquelles sa fille, était contrainte de poser. Inès Chatin se souvient de l'une d'elles : vêtue d’une chemise de nuit où il était écrit "Bonne journée" devant et "Bonne nuit" derrière, l'enfant a dû se plier à des poses suggestives et dénudées.

Prisonniers, il est impossible pour les enfants de dénoncer, de parler, d'autant plus que leur mère, Lucienne Chatin, subit elle-aussi la violence de leur père : "Quand on était petits, la conséquence de la parole, c’était les coups, pas sur nous mais sur elle. Si on faisait quelque chose de travers, quoi que ce soit, une mauvaise note à l’école, il y avait des coups sur elle", explique Inès Chatin.

La proximité entre ses agresseurs présumés et son père tourmente longtemps Inès Chatin, qui continue à les croiser un certain temps. Lors du mariage de sa fille avec Geoffroy Ader, un expert en horlogerie, Jean-François Lemaire a même convié ses "amis" à assister à la noce.

Des années plus tard, Inès Chatin souhaite des réponses, qu'elle va chercher jusque dans la chambre de son père, en Ehpad. Elle enregistre leurs conversations, le confronte, attend des excuses. Jean-François Lemaire reconnaît ses crimes (et ceux de certains de ses amis, comme Gabriel Matzneff), tout en tentant de se justifier, sans jamais s'excuser (il est mort le 3 septembre 2021).

Aujourd'hui, Inès Chatin assure ne pas être animée par la vengeance. Certains des hommes qu'elle incrimine sont morts (Claude Imbert est décédé en 2016) et pour les vivants, "aller en prison n’aurait plus aucun sens". "Je veux que la justice les confronte à la gravité de leurs actes. S’en prendre à des enfants est inqualifiable." Elle espère, en agissant, participer "pour interrompre la reproduction" des comportements pédocriminels.

Contacté par Libération, François Gibault a répondu via une lettre envoyée par son conseil, Jérémie Assous. Il y assure "n’avoir jamais assisté au moindre acte criminel, et n’aurait pas manqué, si cela avait été le cas, d’y mettre un terme et de les dénoncer immédiatement aux autorités". Il conteste "avec vigueur les allégations d’Inès Chatin". Joint également, Gabriel Matzneff n’a pas donné suite. La famille Imbert a réagi, elle, par la voix du fils de Claude, l’avocat Jean-Luc Imbert : "Cela me paraît étrange de la part d’Inès Chatin [ils se connaissent de longue date] de jeter le discrédit sur son père adoptif. (...) Mon père, il aimait les femmes, mais pas les petites filles." Après la publication de l'enquête Jean-Luc Imbert a ajouté : "Il va de soi que je ne puis qu’ajouter que, si les faits rapportés sont exacts, ce dont je persiste à vouloir douter, j’en suis accablé et évidemment profondément désolé pour Inès, ne me doutant pas une seconde de l’éventualité que mon père, comme ceux que je connaissais parmi les personnes citées, puissent s’égarer dans de tels comportements aussi abjects qu’inadmissibles."

Les enfants de Jean-François Revel, Eve et Matthieu Ricard, ainsi que Nicolas Revel, ont fait parvenir à Libération la déclaration suivante : le récit d’Inès Chatin "faisant état de la participation présumée de notre père, Jean-François Revel, à des actes d’agression sexuelle sur mineur constitue pour nous un choc immense. Face à la gravité des accusations portées, nous souhaitons que la justice qui a été saisie puisse établir ce qui s’est réellement passé, quand bien même ces faits remonteraient à plus de quarante ans et impliqueraient de nombreuses personnes pour beaucoup disparues. C’est l’attente de la victime qui a déposé plainte et dont nous ne doutons d’aucune manière de la sincérité et de la douleur. C’est aussi notre attente car ces accusations nous plongent dans une incrédulité d’autant plus profonde, qu’elles concernent un homme, notre père, dont tout ce que nous savons de sa personnalité comme de son comportement tout au long de sa vie, se situe aux antipodes des actes monstrueux qui lui sont prêtés."

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