Ils ont décidé d'avoir un enfant sans vivre ensemble

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Ils sont parents d'un enfant en bas âge, toujours en couple et/ou amoureux, mais vivent sous deux toits différents. Qui sont ces personnes au choix de vie atypique et quels avantages y trouvent-elles réellement ? Nous leur avons posé la question.

À 34 ans, Jeanne vit seule dans la banlieue lyonnaise avec son enfant de cinq ans. Elle n'est pourtant pas séparée du père, qui lui, habite un appartement dans le centre-ville, à quelques kilomètres de là. Tous deux élèvent leur petit garçon comme des parents classiques. À un détail près : Jeanne s'occupe de lui la plupart du temps, et son conjoint se joint à eux seulement deux jours par semaine. “Notre enfant dort chez son père une nuit par semaine également, pour qu'il puisse passer du temps privilégié avec lui”.

Cette configuration originale, Jeanne et son mari ne l'avaient pas forcément anticipée. Ils avaient même tenté la vie commune, en vain. “Avec les deux enfants que mon mari a eus lors d'une précédente union, il y avait beaucoup de tensions à la maison ! Et il est vrai que de plus, mon compagnon n'est pas le plus facile à vivre au quotidien”, explique la trentenaire. Alors que beaucoup auraient alors envisagé la séparation, les Lyonnais ont préféré tester la vie sous deux toits séparés, à l’image des célicouples. “Cela a redonné un vrai renouveau à notre relation, même si beaucoup nous ont accusés de nous voiler la face au sujet de l'avenir de notre couple”.

“On nous a fait comprendre que nous étions immatures voire égoïstes”

Ces sceptiques n'étaient pas au bout de leur surprise. Car quelques mois plus tard, les amoureux découvrirent la grossesse de Jeanne, et choisirent de devenir des parents non cohabitants. Une décision originale, que Jeanne a dû assumer immédiatement, en vivant sa grossesse à moitié seule. “On ne partageait qu'une nuit ou deux par semaine sous le même toit à ce moment-là”, se souvient-elle. A la fin de la grossesse, son compagnon s'est cependant fait “plus présent pour l'aider à faire les courses, le ménage, et pour se préparer à l'amener à la maternité”.

Il y a toujours l'idée sous-jacente d'une configuration familiale qui serait la norme idéale. Et les personnes qui en dérogent seraient moralement condamnables, car cela aurait un effet néfaste sur les enfants.

À l'arrivée du bébé, la jeune maman dut apprendre à gérer seule les courtes nuits. Mais elle savait que son conjoint “était au bout du fil à toute heure et qu'il pouvait faire la route pour venir [l]'aider”. Autour d'elle, le choix étonne, et suscite les jugements : “On nous a déjà fait comprendre que nous étions immatures, et égoïstes”, déplore à ce sujet la jeune femme. “On nous disait : mais avez-vous vraiment pensé à l'enfant ?”. Des critiques qui n'étonnent pas du tout Gérard Neyrand, sociologue et auteur du livre L'amour individualiste : Comment le couple peut-il y survivre ?, publié en 2018. “Il y a toujours l'idée sous-jacente d'une configuration familiale qui serait la norme idéale. Et les personnes qui en dérogent seraient moralement condamnables, car cela aurait un effet néfaste sur les enfants”. Or, rien n'indique selon le spécialiste que les enfants ne vivant pas avec leurs deux parents développent des troubles particuliers : “ce qui peut réellement avoir un impact sur eux est la mauvaise entente entre les parents et les conflits violents”.

Un phénomène plutôt urbain

Jeanne l'assure : la parentalité façon “living appart together” a plutôt eu un effet apaisant sur toute la famille. “Tout le monde est plus serein ainsi. Notre fils, qui n’a connu que cette situation, est très heureux, et ses grands frères ont retrouvé leur équilibre avec leur papa”. Aurait-elle osé faire ce choix de vie s'il elle ne vivait pas dans une grande métropole ? Pas sûr, à en croire Gérard Neyrand. Car le phénomène est selon lui “plutôt caractéristique des milieux urbains”, en partie grâce à l'anonymat qu'ils offrent. “Dans un milieu rural, la possibilité d'être dans une situation atypique se fait tout de suite remarquer et éventuellement stigmatiser, contrairement aux villes qui sont des lieux supports des nouvelles pratiques en matière de vie privée”. De plus, ajoute le sociologue, il est souvent plus facile de trouver en ville deux domiciles dans un espace restreint.

Faire un enfant en vivant séparément nous permettrait de dissocier le couple du rôle de parents, qui lorsque l'on élève un enfant sous le même toit, prend souvent le dessus.

Mais tout le monde n'a pas les moyens de se les offrir. Raison (parmi d'autres) pour laquelle, selon Gérard Neyrand, ce mode de vie restera très probablement marginal. D'autant plus qu'il est rare que les deux protagonistes soient partants. Inès, trentenaire élevant un enfant avec un compagnon dont elle ne partage pas le toit, avoue qu'il ne s'agissait pas de son projet initial. “Mon homme qui avait 52 ans quand je l'ai rencontré était d'accord pour faire un bébé ‘tardif’. À condition qu'on continue à vivre séparément”, raconte-t-elle. Si elle affirme avoir accepté tout de suite et en être aujourd'hui heureuse, elle a aussi senti qu'elle n'était pas en mesure de négocier : “Il avait déjà élevé un premier enfant avec son ex-femme, et ne voulait pas revivre cette situation qui a tué leur couple”.

Dissocier le couple du rôle de parents

Aurélien, Parisien de 29 ans, l'envisage pour les mêmes raisons avec sa compagne : “Cela nous permettrait de dissocier le couple du rôle de parents, qui lorsque l'on élève un enfant sous le même toit, prend souvent le dessus”. Des aspects positifs qui ne doivent pas épargner aux parents la “tâche” d'expliquer leur choix aux enfants et de leur éviter une organisation trop lourde. Au risque de provoquer chez eux un sentiment d'injustice : “Il a été difficile pour moi de ne pas parvenir à comprendre et expliquer aux personnes qui me demandaient pourquoi cette vie séparée”, raconte Paula, 24 ans, issue de parents non cohabitants.

Face à ce choix de vie qu’elle juge injustifié, la jeune femme s'est sentie “sacrifiée” : “Jusqu’au collège, c'était mardi soir et mercredi fin de journée ainsi que les week-ends chez mon père, et le reste du temps chez ma mère. Je vis dans une région de petites routes tortueuses pleines de virages et chaque trajet prenait un peu plus d’une heure. En somme par semaine je faisais 5h de voiture pour 200 km. J’ai réellement eu la sensation de ne jamais pouvoir ranger ma valise jusqu’à l’adolescence”. Si ses parents ont toujours invoqué des raisons professionnelles pour justifier cette configuration familiale, Paula y voit plutôt une fuite face à leur absence de compatibilité au quotidien. “Même retraités, et donc sans aucune obligation professionnelle, ils vivent toujours sur ce mode-là...”

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