"Je ne sais pas reconnaître quand je suis amoureux" : ils souffrent d'alexithymie, une incapacité à identifier et exprimer leurs émotions

"Je me sens mal mais je ne sais pas pourquoi" "je l'aime ou je ne l'aime pas ?", pour les personnes alexithymiques, décrypter leurs sentiments est une mission quasi-impossible. En découlent des incompréhensions et des ruptures amoureuses à répétition. Un vrai handicap qui impacte aussi leurs proches, comme nous le racontent nos témoins.

Crédit Getty
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Certains expérimentent les sentiments de façon fluide, se forgeant sans difficulté une vie de partage et d'amour. D'autres n'y parviennent qu'au prix d'un énorme travail sur soi. Comme les personnes atteintes d'alexithymie, un trouble qui se caractérise par une difficulté à identifier et verbaliser ses émotions. À 25 ans, Anna* décrit déjà un lourd passé de déceptions amoureuses, dû à ce blocage. En dépit de sa bonne volonté, elle n'a jamais pu rassurer les hommes qui ont croisé sa route : "Avec certains, j’ai du mal à savoir ce que je ressens, c’est super bizarre. Les hommes ne comprennent pas pourquoi ou pensent que je n’ai pas confiance en eux, alors qu’en vrai c'est plus délicat. Je suis passée à côté de personnes en or à cause de cela".

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Un trouble de la régulation des émotions

Tout le monde a déjà ressenti une gêne ou un vertige au moment d'avouer ce qu'il ressent, par pudeur ou par peur que leur amour ne soit pas réciproque. Mais chez les alexithymiques, le blocage va bien au-delà. Chez eux, la "fonction" permettant de décoder leurs propres émotions, est défaillante voire absente. Il s'agit d'un vrai "trouble de la régulation des émotions", explique la spécialiste en psychothérapie Déborah Mézani, qui ajoute que celui-ci s'accompagne souvent de troubles psychosomatiques. "L’émotion est un mouvement vivant, dynamique, physiologiquement actif. L’on aura beau tenter de la couper face à la difficulté de l’exprimer, elle passera par une autre voie d’écoulement, c’est de la physique !", détaille-t-elle.

En plus de douleurs physiques, certains développent des troubles du comportement alimentaire ou encore des conduites addictives. Cédric*, atteint d'alexithymie et de fréquentes crises de migraines, est très vite perdu lorsqu'il est en couple. S'il sait reconnaître quand il se se sent bien avec une personne, il lui est impossible de mesurer l'intensité de ce qu'il éprouve : "Quand on me dit : 'tu as l'air très amoureux de ta copine !' 'tu la dévores des yeux', j'ai du mal à me reconnaître dans cette description. Je n'ai jamais pu dire à une femme que je l'aimais, parce que je ne sais pas vraiment ce que c'est. Je ressens tout au plus de l'attachement, l'envie de passer du temps avec elle. Mais beaucoup ont besoin qu'on leur déclare notre flamme, ce que je ne fais jamais". Après plusieurs ruptures douloureuses, le jeune homme a compris qu'il devait en quelque sorte se reconnecter à son intériorité. Un travail de longue haleine...

Le résultat de négligences émotionnelles...

Car bien souvent, l'alexithymie trouve sa racine dans l'enfance. "Dans un environnement familial où les ressentis ne sont pas bienvenus, voire réprimés, certains vont voir leur émotion les déborder, d’autres vont s’en couper", explique Déborah Mézani. Et le trouble est plutôt fréquent : 15% de la population serait touchés, avec une majorité d'hommes. Dans sa pratique, la spécialiste en psychothérapie a souvent observé chez ces personnes des cas de négligences émotionnelles dans les premières années de vie. Une affirmation confirmée par Cédric : "Chez nous, on n'avait pas le droit de parler fort, de pleurer et encore moins d'être en colère, au risque d'être sévèrement punis, voire rejetés".

Elisa* soupçonne son petit ami d'être alexithymique : "Il a grandi dans une famille où on lui a enseigné qu'il fallait être fort, travailleur, performant. Il n'y avait aucune place pour les émotions", explique-t-elle. "Je sais qu'il tient à moi grâce à toutes ses petites attentions. Mais je ne dois pas m'attendre à entendre des mots doux, ni vraiment à lire l'amour ou la joie dans ses yeux. Lorsque je lui offre un cadeau, je ne parviens pas à décrypter sa réaction. Déjà quand je l'ai rencontré, je n'avais pas du tout perçu que je lui plaisais !", confie en riant jaune celle qui s'en trouve parfois déstabilisée.

Des expressions verbales et faciales pauvres

Si la présence d'une alexithymie chez un individu ne se devine pas au premier rendez-vous, quelques indices peuvent la laisser supposer : "Les expressions verbales et faciales des personnes alexithymiques sont pauvres. Elles s’expriment au moyen de phrases courtes et peu imagées et les interactions sont orientées sur des faits plus que sur des ressentis", décrypte Déborah Mézani. Elisa reconnaît parfaitement son compagnon dans cette description : "Quand je lui raconte ma journée, je lui parle de tout ce que j'ai vécu d'un point de vue subjectif, de ce qui m'a rendu heureuse, stressée, attristée. Lui, me déroule son emploi du temps de façon purement factuelle, et d'une voix un peu monocorde".

Difficile de nouer de vraies relations d'intimité avec des personnes alexithymiques. Pourtant, tout n'est pas perdu, si celles-ci réalisent leur trouble et souhaitent y travailler. "Ce n’est pas parce-que l’interrupteur est éteint qu’il n’y a plus de lumière ! Bien au contraire", indique à ce sujet Déborah Mézani. Pour recâbler le système émotionnel, la thérapeute conseille l’hypnose, les thérapies psycho-corporelles, l’art thérapie ainsi que la thérapie des états du moi. "L’essentiel ici, est de travailler à reconnecter le corps, l’émotion et la pensée...".

*Les prénoms des témoins ont été modifiés

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