IST, IVG, endométriose : près d’une femme sur 2 a du mal à se confier sur sa santé intime
Alors que l’été - à savoir la saison la plus propice à une vie sexuelle plus active - a enfin pointé le bout de son nez, c’est une situation alarmante que met en lumière la dernière étude menée par l’Institut YouGov pour Livi. De ces échanges avec un panel de femmes âgées de 18 à 54 ans sur le thème des tabous de la santé sexuelle, il apparait que de nombreuses Françaises ont encore des réticences à aborder certains sujets, que ce soit avec leur entourage ou des professionnel.le.s de santé.
Ces dernières années, on a pu assister à plusieurs mouvements visant à libérer la parole des femmes. Si MeToo a permis à bon nombre d’entre elles de parler des agressions sexuelles dont elles ont été victimes, les discours qui visent à déculpabiliser les femmes et dénoncer les rouages d’une société patriarcale qui les contraint au silence sont peu à peu entendus sur la place publique. Mais les consciences doivent encore être éduquées. La preuve avec l’étude menée par Livi et l’Institut YouGov sur les tabous autour de la santé sexuelle des femmes. Le 2 mars 2022, 453 Françaises entre 18 et 54 ans ont été interrogées à ce sujet, et les résultats - ensuite analysés et commentés par le Docteur Maxime Cauterman, spécialiste en santé publique et médecine sociale et Directeur médical chez Livi, prouvent que de nombreuses idées sont encore à déconstruire...
IST et MST, le grand tabou
Quand on parle de tabous en matière de santé intime, un sujet arrive en haut de la liste : les IST. Pour 24% des femmes interrogées dans le cadre de l’étude menée par l’Institut YouGov, les infections sexuellement transmissibles représentent le plus grand tabou. Le pourcentage s’élève à 29% chez les 34-54 ans. Différence de génération ou pas, le constat est bien là : alors que les cas d’IST ont augmenté de 30% en 2020 et 2021, comme le souligne le Dr Cauterman, de nombreuses femmes éprouvent des réticences à en parler. Pour rappel, le site Ameli a recensé les 8 IST les plus fréquentes : la syphilis, la gonorrhée, la chlamydiose, la trichomonase, qui peuvent être guéries si elles sont prises en charge, tandis que les IST virales comme l’hépatite B, l’herpès génital, le VIH et le papillomavirus humain sont "difficiles voire impossibles à guérir selon le type de virus". Les infections à la chlamydia touchent principalement les jeunes femmes. Tout cela résulte essentiellement d’une non utilisation du préservatif.
En France, les IST sont en augmentation, particulièrement chez les jeunes de 15 à 24 ans depuis la crise sanitaire du Covid, comme s'en alerte le Dr Christian Recchia dans "Carnet de Santé" pour Yahoo.
Pour le Docteur Maxime Cauterman, "il est nécessaire de multiplier les canaux de dépistage, car pouvoir choisir entre son médecin traitant, un Cegidd, une téléconsultation, un ‘labo sans ordo’ ou un auto-test est déterminant dans le passage à l’acte. Il faut également maintenir la vigilance collective et l’effort de prévention et de dépistage du VIH, en particulier chez les plus jeunes et certaines populations à risque. En 2020, le nombre de dépistages de la maladie a baissé de 14 %. La baisse concerne essentiellement les publics de 30 à 45 ans. Depuis quelques années on parle ‘d’épidémie cachée’, avec une part non négligeable des personnes infectées l’ignorant ou n’étant pas prise en charge et donc étant plus à risque de transmettre le virus."
La situation est donc plus qu’urgente et alarmante. Mais alors pourquoi observe-t-on une telle défiance autour du sujet des IST ? Peut-être peut-on trouver des réponses dans les idées préconçues qui les entourent. Parler des infections sexuellement transmissibles dont on souffre, c’est par conséquent parler de sa vie sexuelle. Et donc s’exposer à des jugements, là encore fondés sur des idées archaïques lorsqu’il s’agit des femmes. Le mythe de la "salope" aux partenaires multiples a la peau dure. Difficile pour autant d’affirmer que les hommes se confiraient davantage sur les IST.
Toujours est-il que le tabou qui entoure les IST mène à une autre conséquence insidieuse : la désinformation et le diagnostic posé trop tard. Car comme le souligne l’Institut YouGov, "si la gratuité du dépistage du test VIH est entrée en vigueur en France en début d’année, ce n’est pas encore le cas pour les IST, ce qui peut aussi représenter un frein à la consultation."
Santé intime : derrière la pudeur, la peur du jugement ?
46%, c’est le pourcentage de femmes interrogées qui disent avoir du mal à se confier sur leur santé intime. Près d’une Française sur deux. Un chiffre qui n’est pas étonnant lorsque l’on prend en compte divers phénomènes. Selon une précédente étude de l’Ifop pour Qare dévoilée en janvier 2022, 60% des femmes ont déjà renoncé à un rendez-vous chez un.e gynécologue. Alors que 23% des mères de famille sondées disent abandonner ces soins pour se consacrer à la santé des autres, et que 43% disent ne pas avoir le temps, 33% des jeunes sondées se déclaraient mal à l’aise avec leur corps, tandis que 31% des 18-24 ans assurent ne jamais avoir été chez un.e gynécologue. Pour Yahoo, plusieurs jeunes femmes avaient d’ailleurs détaillé les raisons de cet abandon de soins après des échanges traumatisants avec un.e professionnel.le.
Oui, les raisons de cet inconfort des femmes à l’idée de parler de leur santé intime sont multiples, et peuvent souvent reposer sur la peur du jugement. Mais le Dr Maxime Cauterman tire la sonnette d’alarme : "Le médecin traitant est l’interlocuteur à privilégier, mais j’ai aussi constaté qu’une trop grande proximité n’était pas toujours facilitant pour aborder ces sujets. Aussi je suis convaincu que les services d’e-santé ont leur rôle à jouer." La téléconsultation comme bouclier contre la crainte du jugement ? C’est en tout cas cette option que 47% des femmes interrogées choisissent.
L’avortement encore tabou pour de nombreuses jeunes femmes
L’étude menée par Livi et l’Institut YouGov met en lumière un autre grand tabou pour la jeune génération : l’avortement. Chez les 18-34 ans, 23% des Françaises interrogées ont des réticences à parler de cette question. Un chiffre qui s’explique principalement par la peur du jugement. Aujourd’hui encore, l’image de la femme mère est sacralisée. Et ce, en dépit des nombreuses voix qui s’élèvent pour déconstruire les idées archaïques qui suggèrent que l’unique destinée d’une femme est celle de devenir mère.
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"La promulgation de la loi Veil sur le droit à l’avortement a 47 ans. Malgré tout, la crainte d’aborder des sujets aussi délicats et de se faire juger est toujours bien présente chez les jeunes générations. Et même après une décision mûrement réfléchie, de nombreuses femmes peuvent ressentir différentes formes de détresse suite à l’avortement. Cela est notamment lié à notre système de valeurs, à la pression sociale" souligne le Docteur Maxime Cauterman, qui rappelle que 222.000 IVG ont été enregistrées en 2020 en France.
Là encore, ce grand tabou autour de l’avortement trouve un écho tout particulier par les temps qui courent. Aux Etats-Unis, la décision de la Cour suprême de révoquer l’arrêt Roe contre Wade, qui garantissait jusqu'alors la liberté de choix des Américaines qui souhaitaient avorter, nous rappelle à quel point ce droit est plus que fragile. En France, l’Assemblée nationale a voté, le 23 février 2022, la proposition de loi sur l'extension du délai légal de recours aux interruptions volontaires de grossesse, passant ainsi de 12 à 14 semaines.
Pour autant, de nombreuses femmes sont confrontées à une détresse psychologique. Car en plus de la peur du jugement, il y a la solitude dans laquelle certaines peuvent se retrouver. C’est pourquoi le Docteur Maxime Cauterman alerte : "Les pouvoirs publics doivent s’engager à former davantage de professionnels de santé, à améliorer les conditions d’accès et d’accueil à l’IVG, l’accompagnement des femmes selon leur besoin, à développer des campagnes de communication sur leurs droits notamment à destination des jeunes femmes et enfin à lutter contre la désinformation."
L’endométriose de plus en plus visible… mais encore passée sous silence par certains
Preuve supplémentaire qu’il reste du chemin à traverser, l’endométriose se place à la 4e place des grands tabous en santé sexuelle selon l’enquête YouGov pour Livi. 18% des femmes âgées de 34 à 54 ans la citent comme le 2e plus grand tabou sexuel. Longtemps perdue au beau milieu d’un immense désert médical, l’endométriose a encore du mal à être non seulement considérée par les autorités de santé publique, mais aussi et surtout diagnostiquée. Cette maladie gynécologique chronique et invalidante n’a été abordée officiellement et concrètement par les hautes instances de l’Etat qu’en janvier 2022. Le Ministère de la Santé s’est engagé à investir 30 millions d'euros sur cinq ans pour la recherche, le diagnostic et l’accès au soin, mais aussi la communication et la sensibilisation.
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Parmi les principaux symptômes de l’endométriose, on retrouve des maux de ventre particulièrement douloureux pendant les règles. Ce point précis peut expliquer le caractère tabou que confèrent les femmes interrogées par YouGov à l’endométriose. Dans une société patriarcale, elles grandissent avec l’idée que le cycle menstruel ne doit pas être abordé en société. Il faut se cacher lorsque l’on a ses règles, et cela passe souvent par des éléments de langage ou des stratégies bien élaborées. Difficile alors de parler à son entourage des douleurs anormales de ses règles, et donc d’endométriose, lorsque le sujet est autant barricadé de tabous. Si bien que l’omerta a même eu des conséquences directes sur l’univers médical, de nombreux professionnels de santé ayant souvent eu du mal à diagnostiquer l’endométriose.
Mais les choses avancent, petit à petit. "Pendant des années, l'endométriose a été méconnue et souvent sous-diagnostiquée. Mais la parole des femmes à ce sujet se libère de plus en plus. Aujourd’hui, la multiplication des témoignages sur les réseaux sociaux et la prise de parole de personnalités publiques, encouragent les femmes à aller consulter" se réjouit le Dr. Maxime Cauterman, pour qui il est aussi "primordial de sensibiliser les professionnels de santé via des dispositifs de formation."
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