Journée mondiale de l'hypersensibilité : "Dans ma sexualité, c'est très handicapant. Parfois, il me caresse et je trouve cela agréable, puis dix secondes après, cela devient 'trop'"
Avec un système nerveux très réactif aux stimuli de la vie, les hypersensibles ressentent avec beaucoup d'intensité. Ce qui est perçu comme normal par les autres, sera très vite "trop" pour eux, aux niveaux émotionnel et sensoriel. Alors dans le domaine de la sexualité, où les sensations sont censées être nombreuses et les boucliers de protection baissés, ils peuvent développer des attitudes et des symptômes bien particuliers. Des caresses qui éraflent aux ruptures de communication avec son propre corps, plongée dans l'intimité "sur un fil" des hypersensibles...
Son hyper-empathie, voilà ce qui conditionne beaucoup la vie sexuelle de Clément, un hypersensible de 24 ans. Contrairement à beaucoup de jeunes hommes de son âge, il ressent avant tout le besoin d'établir une connexion avec ses partenaires, même en dehors de toute relation amoureuse. "Avant l'acte, j’ai besoin d’apprendre à les connaître, savoir ce qu’ils aiment, ce qu’ils aiment moins, s’ils ont une zone plus érogène qu’une autre etc. Et pendant, je suis énormément dans la communication. Je demande toujours comment la personne se sent et si ce qui se passe lui fait du bien ou non. Cela étonne toujours énormément. Les gens prennent rarement le temps de faire cela, surtout avec des inconnus". Au début de sa vie sexuelle, cette attention aux détails et cette envie de ne pas blesser revêtaient parfois un caractère excessif : "Je faisais passer le plaisir de mes partenaires avant le mien. C’est quelque chose que j’essaye de travailler, mais parfois il m’est arrivé de ne pas prendre de plaisir, de m'oublier".
Des amants comme les autres ?
Loin de se réduire à une personne à la larme facile, l'hypersensible se caractérise par un rapport original aux autres et au monde. "Ce sont des personnes qui ont une forme d'ouverture d'esprit, de cœur et de leurs sens, qui fait qu'elles vont ressentir avec une intensité très prononcée les stimuli de la vie", explique Carol Pirotte, thérapeute psycho-corporelle et spécialiste de l'ultrasensibilité. À cette grande réceptivité s'ajoute malheureusement un "côté souffrant, teinté d'hypervigilance, hyper-susceptibilité, montagnes russes émotionnelles, ou encore d'hyperémotivité". Une perméabilité constante au monde que beaucoup de spécialistes pensent irrémédiable et suggèrent d'accepter, voire de transformer en "force".
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Un point sur lequel Carol Pirotte pose un tout autre regard : doutant des caractères forcément inné et figé de l'hypersensibilité, la spécialiste rapproche ses aspects difficiles des symptômes de traumatismes. Des épreuves qui auraient "submergé" le système nerveux par le passé. Alors dans ces moments de vulnérabilité extrême que constituent les rapports sexuels, il est facile d'imaginer que les hypersensibles, bien que tous différents, ne sont souvent pas des amants comme les autres.
"Ils partent sur la planète Mars pendant qu'ils font l'amour"
Mendy*, hypersensible de 33 ans, n'a jamais pu aborder l'intimité sexuelle avec légèreté. "En plus d'inconforts physiques pendant l'acte, j'ai toujours eu des difficultés à désirer les hommes que j'aimais, et à aimer ceux que je désirais", déplore la jeune femme qui ne parvient pas à établir des relations amoureuses durables. "On peut penser que j'aime papillonner, que je suis instable, mais ce n'est pas du tout ça. C'est comme si mon inconscient, pour me protéger d'un danger imaginaire, ne voulait pas que je me donne corps et âme à un homme". À cause de leurs traumatismes d'enfance, certains hypersensibles peuvent souffrir de troubles de l'attachement, qui se manifestent régulièrement dans le domaine de la sexualité. "Il arrive souvent que l'on vive une sorte de coupure très importante, que l'on passe dans un mode dissociatif pour se protéger", détaille Carol Pirotte. "Pour certains, c'est comme s'ils partaient sur la planète Mars pendant qu'ils font l'amour. Ils ne sentent pas vraiment leur corps, et peuvent même jouer un rôle...".
Alors que la société nous vend la sexualité comme un terrain de jeu forcément agréable et épanouissant, ses enjeux sur le plan émotionnel sont souvent minimisés. "Elle vient toucher beaucoup de blessures non-guéries, tellement profondes, notamment dans la partie du bassin, du périnée ou des organes reproducteurs où sont stockés beaucoup de traumatismes. En stimulant ces zones, les charges émotionnelles vont refaire surface et on peut avoir des bouffées d'angoisse, de l'inconfort etc. À tel point que l'on va fuir, adopter une posture de fermeture ou encore jouer le fort...".
Hypersensible de 36 ans, Tania* vit fréquemment des moments de saturation de son système nerveux au niveau sensoriel : "Il y a des fois où je ne supporte plus les lumières, les bruits, certains tissus ou les sollicitations extérieures", explique la jeune femme chez qui la frontière entre le tolérable et l'insupportable est très ténue, et changeante. "Dans la sexualité, c'est forcément très handicapant. Parfois, mon copain me caresse le bras, le ventre et je trouve cela agréable, puis dix secondes après, cela devient 'trop' et j'ai besoin qu'il arrête tout de suite. Et cela vaut pour tout : les frottements des draps, les baisers trop longs, les va-et-vient durant la pénétration, etc. Au niveau vaginal, je ressens comme des brûlures si l'acte est trop long.
"Je le vis presque comme une agression"
Les jours de saturation, Tania a également bien du mal à accueillir avec bienveillance les sollicitations de son petit ami pour avoir des rapports sexuels. "J'ai l'impression d'être hyper-sollicitée et je le vis presque comme une agression qui m'irrite au plus au point". Une situation qui fragilise son couple et entame la confiance des deux parties. Pourtant, selon Carol Pirotte, cette situation n'a rien de figé : "Avec un travail sur les traumatismes, il y a un seuil qui peut devenir moins important et quelque chose de l'ordre du désir qui peut réémerger".
Pour ce faire, la spécialiste de l'ultrasensibilité recommande de passer par des thérapies psychocorporelles : la Somatic Experiencing®, méthode qui vise à la résolution naturelle du psychotraumatisme, qu'il est intéressant selon elle de combiner avec le Internal Family Systems, outil qui amène à prendre conscience des différentes parts qui nous animent. Au sein-même de la relation de couple, des "guérisons" peuvent selon elle avoir lieu au niveau sexuel, à condition que la relation soit teintée de "beaucoup de sécurité, d'amour, d'écoute de soi et de son partenaire. Quand leur système nerveux est régulé, les hypersensibles peuvent ressentir une panoplie de choses vivantes, intenses, précieuses. Il peut même y avoir des transformations folles !".
*Les prénoms ont été modifiés