Thérèse Hargot : "Avec la pornographie, on est potentiellement en train de fabriquer une génération de violeurs"
Sexologue et thérapeute, Thérèse Hargot est une fervente opposante à la pornographie, n’hésitant pas à lui attribuer tous les maux de notre existence. Dans son dernier essai « Tout le monde en regarde (ou presque) - Comment le porno détruit l’amour » (éd. Albin Michel), Thérèse Hargot explique que la pornographie est une maladie qui est en train de tuer nos relations amoureuses et nous vider de notre humanité. La sexologue dénonce l’inactivité du politique, qui a laissé la pornographie s’instituer dans nos moeurs. Interview.
Le titre est fort. Le contenu est encore plus choc. En moins de deux cent pages, Thérèse Hargot, sexologue et thérapeute, dresse le tableau funeste d'une société aux prises avec un fléau qui risque de la tuer : la pornographie. D’après elle, nous vivons dans un monde lobotomisé par une culture pornographique omnisciente.
Tout le monde en regarde (ou presque)
D’après Thérèse Hargot, personne n’est à l’abri de "cette maladie du siècle". Elle tire son constat de ses consultations avec des patients "de toutes catégories sociales, de toutes confessions" devenus accros à a pornographie. Si les dépendances aux autres drogues laissent des séquelles physiques, la consommation abusive de la pornographie est indécelable. "Ça s’est totalement démocratisé et on ne peut pas savoir qui en consomme et qui n’en consomme pas" prévient-elle. Thérèse Hargot dit aussi recevoir des parents effrayés de découvrir des contenus pornographiques sur les téléphones de leurs enfants : "Encore ce matin, j’avais une consultation avec des parents et leur fille de 9 ans, qui vient de voir des centaines d’images pornographiques sur son téléphone, qui a été prêté par ses parents." Elle ajoute : "Et des histoires comme ça, j’en ai plein."
Thérèse Hargot : "C’est encore plus dangereux que l’alcool, la cigarette et la drogue"
La pornographie est une drogue dure
"Le porno, c’est encore plus dangereux que l’alcool, la drogue et la cigarette" assène-t-elle. Une question surgit alors : Comment des images à caractère sexuel peuvent-elles agir sur nous comme une drogue ? La pornographie est par nature un outil masturbatoire. L’exposition à des images pornographiques induit une masturbation, un acte physique qui sécrète de la dopamine, appelée également "l'hormone du bonheur". Ce qui crée le caractère addictif, c’est la recherche constante de cette dopamine. "La majorité des personnes qui consomment de la pornographie à l’âge adulte ont été exposées quand elles étaient mineures, c’est-à-dire enfants." Ce qui, d’après la psychologue, constitue un chemin tout tracé pour développer une dépendance accrue.
"Je vais vous donner un exemple", abonde-t-elle. "Si quand vous aviez 10,12,14 ans, on vous avait donné de la cocaïne à la sortie du collège, vous auriez goûté, parce que comme tout enfant, vous voulez expérimenter les produits qui sont gratuits. Si vous aviez fait l’expérience de la cocaïne à cet âge-là, c’est immensément difficile de ne pas rechercher à reproduire encore et encore cette expérience. Et si cela vous était arrivé, les parents auraient été au courant. Au lieu de punir l’enfant, on aurait mis les dealers en prison car c’est extrêmement grave de donner de la drogue à des enfants."
Pour la sexologue, le coupable est tout trouvé : la société française (et plus précisément les responsables politiques) qui banalise, voire "rend cool" la pornographie, au point de l’avoir instituée dans nos moeurs, en bafouant purement et complètement la santé mentale de ses concitoyens.
Car, et il est important de le préciser, rien dans le discours de Thérèse Hargot n’incrimine les personnes qui en consomment. Elle va même plus loin, en révélant toute la perfidie de l’industrie cinématographique qui étudie et crée du contenu le plus addictif possible dans le seul but de se faire de l’argent. Dans son essai, la thérapeute souligne que le modèle économique de l’industrie porno est basé sur la publicité et génère plus de 140 milliards de dollars par an, soit plus que Netflix et la NBA.
D’après Thérèse Hargot, le consommateur est pris dans les filets d’un business rôdé qui tire profit de son mal-être.
Thérèse Hargot : "La pornographie, ça peut être une forme d’infidélité en couple"
Comment la pornographie détruit-elle l’amour ?
Parmi les séquelles invisibles que laisse la pornographie, il y a notre capacité à aimer.
"Ça vient tuer en nous ce que l’on a de plus précieux : notre capacité à aimer et à être en relation" énonce-t-elle sur le même ton alarmiste. La thérapeute dit recevoir dans son cabinet des personnes célibataires engluées dans une solitude et incapables de s’en dépêtrer. Son postulat est le suivant : l’être humain est programmé à se reproduire. Les personnes célibataires vont donc chercher dans un potentiel partenaire des relations sexuelles et développer ensuite des sentiments, qui lui donneront l’envie, ou non, de se mettre en couple. Si le "besoin de s’accoupler" est assouvi par la pornographie, la personne célibataire ne trouvera pas la motivation de sortir de son confort pour aller vers l’autre.
La pornographie ne serait pas uniquement un danger pour les personnes célibataires. Le tabou qu’elle induit, et donc l’absence de communication, plongerait certains couples dans une impasse. Thérèse Hargot questionne aussi la notion de la fidélité. Est-on infidèle lorsqu’on consomme de la pornographie ? La question peut prêter à sourire. Pourtant, la sexologue dit avoir reçu en consultation des partenaires qui se sentaient trahis : "Il faut se demander ce que ça veut dire la fidélité, quel est le sens que vous lui donnez ? Est-ce que la fidélité, c’est uniquement au niveau amoureux ? Est-ce au niveau sexuel ? Si tel est le cas, le contrat peut être rompu car regarder de la pornographie induit un acte sexuel."
Thérèse Hargot : "On est en train de fabriquer des générations de potentiels abuseurs et violeurs sexuels"
La sexologue belge réfute l’argument qui consiste à dire que le porno n’a aucune influence sur la vie sexuelle des personnes qui en consomment et va même plus loin en soutenant que les images pornographiques modifient les fantasmes sexuels. Si elle estime que le fantasme est nécessaire à l’épanouissement de la vie sexuelle, elle dénonce un imaginaire phagocyté par des images violentes qui modifierait l’appétit sexuel en le poussant vers des scénarios toujours plus violents. D’après elle, les fantasmes liés à des pratiques hard core voire ceux mettant en scène des viols sont des legs de la pornographie.
"On voit des hommes et des femmes qui sont envahis par des fantasmes sexuels qu’ils n’auraient jamais eus s’ils n’avaient pas été exposés à des images pornographiques. Il y a une accoutumance à certains scénarios sexuels qui fait que le cerveau ne ressent plus d’excitation quand il les voit. Le cerveau a donc besoin de transgresser davantage en termes de fantasmes, de voir des choses de plus en plus hard, pour ressentir à nouveau de l’excitation sexuelle. Mais, à force, il va aller vers des pratiques qui sont parfois totalement inhumaines."
Un mécanisme que l’industrie pornographique aurait bien compris en fabriquant des "fantasmes pour répondre à ce besoin insatiable de notre cerveau de ressentir encore et toujours de l’excitation."
"C'est très inquiétant pour notre société"
Et si, en tolérant le porno, on contribuait à la "fabrication de porcs" (comme elle l'énonce dans son essai) ? Si le raisonnement peut paraître réducteur et alarmiste, Thérèse Hargot se dit très inquiète de "cette génération de potentiels abuseurs et violeurs sexuels" qui risque de naître. "Des hommes, mais aussi parfois des femmes, qui ne savent pas gérer leurs pulsions sexuelles, qui sont habités par des fantasmes très violents et il suffit d’un peu de fragilité, que ce soit une fragilité mentale ou alors une fragilité due à l’alcool ou autres produits, pour passer à l’acte. Et, ça, c’est très inquiétant pour notre société."
Thérèse Hargot : "Il faut bloquer les sites porno et rendre la pornographie payante"
Doit-on interdire la pornographie ? Thérèse Hargot nous confie de ne pas vouloir rentrer dans une forme de militantisme pour l’interdire complètement. En revanche, elle demande un sursaut des instances politiques pour mieux gérer ce qu’elle considère être "un problème de santé publique" et énonce quelques mesures telles que la pornographie payante pour tous ou encore le blocage d'accès aux sites pornographiques.
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