Tanguy Durand, ex-addict au porno : "J'en consommais six heures par jour, au petit-dej, à la cantine et pendant les cours"
Alcool, drogues, sexe, alimentation, jeux d’argent ou jeux vidéo… Pour "Addict.e.s", sur Yahoo, anonymes et célébrités ont accepté de briser le tabou de la dépendance. Ils racontent la spirale infernale de l’addiction, l’impact souvent destructeur sur l’ensemble des sphères de leur vie, et le chemin, souvent long et douloureux, vers la sobriété.
Addict au porno pendant des années, Tanguy Durand a mis du temps à reconnaître sa dépendance, qui l'a isolé et lui a donné une vision biaisée de la sexualité. Désormais guéri, il a su retrouver une vie sociale et sexuelle plus apaisée. Désireux d'aider d'autres porno-dépendants, il livre aujourd'hui son histoire à Yahoo.
Dès ses 12 ans, la pornographie s'est immiscée dans la vie de Tanguy Durand de manière excessive, la curiosité adolescente se muant en dépendance malsaine, qu'il a mis des années à s'avouer et à soigner. Pour Yahoo, cet ancien porno-dépendant s'est confié sur cette addiction, qui a altéré sa vie sexuelle et son rapport avec les autres. (Retrouvez l’intégralité de l’interview en fin d’article)
Tanguy Durand a, comme beaucoup d'adolescents, découvert la pornographie avant d'avoir des relations sexuelles. À 12 ans, les magazines érotiques, perchés en haut des présentoirs dans les bureaux de presse, ont éveillé sa curiosité. Un intérêt assouvi en faisant ses premières recherches de clichés pornos en ligne. Les images se sont transformées en vidéos, avant d'aboutir à une consommation compulsive de films X, de plus en plus trash.
"J'avais la masturbation avant ça, mais très vite, bizarrement je regardais de la pornographie sans forcément associer ça avec. Il y a eu une escalade dans cette consommation en allant vers des choses de plus en plus violentes mentalement et dans les faits. C'était aussi de plus en plus "crade", c'étaient des images qui n'ont pas leur place dans la sexualité normale de deux personnes qui s'aiment", décrit le jeune homme.
"J’allais vers des vidéos de plus en plus violentes et crades"
À l'âge où l'on se cherche, cette connaissance exacerbée de l'industrie pornographique aide Tanguy Durand à sociabiliser. Alors que certains de ses camarades n'ont jamais vu de femmes ou d'hommes nus, il devient celui vers qui on se tourne lorsqu'il est question de sexe : "Comme beaucoup d'adolescents, on va parler de ça et comme j'étais celui qui en connaissait le plus, ça me permettait de me faire des amis, parce que j'avais des personnes qui me posaient des questions à ce propos et je leur répondais. Plus j'en savais, plus je pouvais leur répondre, et plus je pouvais avoir de relations sociales." Pour le collégien, son "expertise" est, d'une certaine manière, une démonstration de force et une façon de se différencier : "C'est une forme de provocation parce que ça me permettait de dire que moi je pouvais regarder des choses qu'eux n'étaient pas capables de regarder", analyse-t-il.
"Je regardais du porno au petit-déjeuner, et même en cours"
Rapidement, le porno s'installe dans tous les aspects du quotidien de Tanguy Durand. Étudiant, il pousse la provocation plus loin : "Ma consommation était de six heures par jour dans la période où j'en consommais le plus. Ça partait dès le matin avec un film pornographique en prenant le petit-déjeuner, en allant à l'université je regardais de la pornographie en chemin et ça m'arrivait même d'en regarder en cours en amphi." À cette période-là, les films X deviennent un élément du décor pour le jeune homme, qui les banalise.
Son addiction continue à le définir. Et si elle peut le marginaliser, elle renforce son sentiment de supériorité : "Je regardais de la pornographie comme quelqu'un va regarder une série, un film, ou lirait un livre. Ça me servait même plus souvent de bruit de fond qu'autre chose. Par exemple, si je travaillais sur quelque chose, il y avait un film porno qui traînait derrière, et il y avait juste le son. Je ne le regardais même pas, mais il était là. Je n'ai jamais eu honte de regarder du porno. J'avais même une petite forme de mépris à cette époque-là parce que je considérais que les gens regardaient du porno, mais étaient trop couards pour être capables d'assumer ça face au monde."
"Pour moi, c'était normal d'avoir des rapports qui durent des heures"
Tanguy Durand a sa première relation sexuelle à 18 ans. Conditionné par les vidéos, parfois violentes, qu'il peut visionner, le jeune homme aborde sans s'en rendre compte la sexualité avec les codes du porno. "Il y a de la pornographie, ou des actes pornographiques qu'on pourrait considérer comme tels dans ma sexualité. J'ai deux règles prioritaires, la santé et le consentement. À partir de ce moment-là, j'ai quasiment tout expérimenté et j'ai très souvent été déçu."
Ce passage du virtuel au réel révèle que son addiction a non seulement des effets sur son mental, mais aussi des séquelles physiques concrètes : "C'est là que je me rends compte que finalement c'est un peu compliqué pour moi d'avoir des éjaculations. Ça a été d'ailleurs le gros souci, même si je ne m'en rendais pas compte, parce que comme pour moi, avec la pornographie, c'était normal d'avoir des rapports qui durent des heures, je considérais que c'était la norme."
"J'ai essayé d'arrêter de me masturber, j'ai échoué énormément de fois"
En plus de la difficulté à éjaculer, s'ajoutent des "douleurs périnéales" à la fin des rapports. En revanche, lorsqu'il décide de passer en rétention séminale, c'est-à-dire de se retenir volontairement d'éjaculer (pour justement, éviter les douleurs périnéales dont il souffre), Tanguy Durand en est incapable. "C'est là que j'ai vraiment réalisé que je n'y arrivais pas. Parce que je regardais du porno et j'avais du désir quand même, mine de rien. J'ai découvert que j'étais addict. J'ai découvert le NoFap (qui consiste à renoncer au porno et à la masturbation; ndlr) sur Internet, et j'ai essayé. J'ai échoué énormément de fois, et les échecs au début sont extrêmement difficiles. Quand on se rend compte qu'on a un problème, qu'on essaye d'arrêter et qu'on n'y arrive pas, qu'on est complètement soumis à des pulsions, c'est l'horreur. Donc j'ai continué d'essayer, jusqu'à ce que je prenne conscience d'une chose, c'est qu'il fallait travailler sur moi pour arrêter."
Tanguy Durand décide de revoir tous les aspects de sa vie : "J'ai dû fournir un énorme travail personnel. Il y a des détails qui peuvent paraître anodins, comme le fait de choisir des vêtements pour s'habiller ou l'heure de réveil... Mais c'est vraiment un assainissement pur de l'environnement, puis ensuite un travail sur comment notre propre cerveau fonctionne en tant qu'être." Un effort qui s'est révélé payant : "Une fois que j'ai fait ce travail, j'ai commencé à pouvoir arrêter. Aujourd'hui, ma vie sexuelle est remplie et épanouissante. Ça ne veut pas dire que j'ai renoncé à tout ce que je faisais par le passé, mais je me suis quand même énormément détaché de la pornographie dans la vision de la sexualité. Je suis beaucoup plus dans l'échange humain, amoureux et sentimental. Je suis dans le moment présent avec l'autre et c'est véritablement un échange."
Plus apaisé et heureux, le jeune homme souhaite aujourd'hui montrer qu'il est possible de se détacher de la pornographie. Fort de son parcours, il aide désormais d'autres porno-dépendants à guérir de cette addiction et à retrouver une vie normale. Un combat qui lui tient à coeur, c'est pourquoi il tient à mettre en garde les adolescents : "Ce que j'ai envie de dire aujourd'hui aux jeunes de 12, 13, 14 ans, c'est profitez de la vie et ne sacrifiez pas votre sexualité future pour des images. Le porno c'est des pixels, si vous voulez du sexe, concentrez-vous sur les relations amoureuses, profitez, kiffez et vraiment, prenez le temps."
Retrouvez en intégralité l'interview de Tanguy Durand
Interview : Alexandre Delpérier
Article : Maïlis Rey-Bethbeder
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