Les violences sexuelles augmentent à la Saint-Valentin : "A cette date, je n'avais pas le droit de lui refuser un rapport sexuel"
Si la Saint-Valentin est synonyme d'amour pour le grand public, pour les victimes de violences conjugales et sexuelles, c'est un synonyme de crainte et d'anxiété. En cette période où les incitations à la sexualité sont plus nombreuses que jamais, les viols, et notamment les viols conjugaux, ont tendance à augmenter.
Publicités pour de la lingerie rouge, marques prônant les bienfaits des aphrodisiaques naturels, recommandations sur "l'art de faire l'amour quand on a ses règles" et autres conseils pour "raviver la flamme au sein de son couple" : les injonctions à la sexualité sont partout, et en particulier à l'occasion de la Saint-Valentin. Car dans la pensée collective, qui dit couple dit forcément sexe, en particulier lors des grands moments romantiques : fête des amoureux, anniversaire de rencontre, anniversaire de mariage. Sur le principe, il n'y a évidemment rien de mal avec le fait de vouloir coucher avec son ou sa partenaire. Mais cela devient un problème lorsqu'il y a une notion d'insistance, voire d'obligation.
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Les inquiétudes des associations féministes
En 2021, l'association féministe En Avant Toutes, créée pour aider les jeunes à parler des violences dont ils et elles peuvent être victimes dans leur famille ou dans leur couple, dénonçait une recrudescence des violences conjugales et sexuelles à l'occasion de la Saint-Valentin. Louise Delavier, directrice des programmes de l'association, explique ses inquiétudes : "C'est une série d'observations qu'on a pu faire au fur et à mesure de nos activités. Les moments comme la Saint-Valentin, qui sont des moments d'injonctions au couple, à l'amour et à la sexualité, sont des moments où on nous décrivait plus de violences sexuelles (sur le chat Comment on s'aime, créé par l'association, ndlr). On s'est rendu compte qu'on avait plein de témoignages de femmes qui évoquaient des violences sexuelles, parfois sans avoir réalisé qu'elles en avaient subi, sur le coup."
La militante décrit des dialogues inquiétants, qui dévoilent la façon dont le "devoir conjugal" est toujours très présent dans les mentalités : "Elles se disent : 'C'est normal, c'est la Saint-Valentin, il faut que je fasse un effort, en plus il m'a fait un cadeau...' Toutes ces injonctions qui font que les gens peuvent attendre du sexe, et donc se montrer plus insistantes." Et cette insistance, nombreuses sont les femmes qui racontent en avoir été victimes. "Quand mes copines évoquaient avec impatience leurs plans pour la Saint-Valentin, moi je sentais mon inquiétude grimper en flèche, raconte Farah*, 47 ans. Cette mère de famille a été en couple pendant 24 ans avec son ex-conjoint, un homme abusif. "Il était violent verbalement, mais j'avais tellement peur d'être seule que je l'acceptais. Je me forçais à avoir des rapports sexuels avec lui car je savais que c'était ce qu'on attendait de moi. Heureusement, il n'était pas très demandeur, à part aux "grandes occasions". Son anniversaire, la Saint-Valentin, Noël... D'ailleurs, nos enfants ont toujours été conçus à ces dates clé, et ça me brise de savoir que notre famille est née de rapports sous la contrainte, l'insistance."
"C'est la Saint-Valentin, tu ne vas quand même pas me dire non ?"
Farah n'est pas la seule à avoir ressenti une insistance particulière à l'occasion de la Saint-Valentin. C'est aussi le cas de Louise*, 16 ans, qui a couché avec son petit-ami pour la première fois à l'occasion de la fête des amoureux. "C'était l'année dernière, on sortait ensemble depuis quelques semaines, et on avait parlé de sexe, évidemment. J'étais vierge et lui aussi. Je ne me sentais pas prête, mais le soir de la Saint-Valentin, j'ai accepté de passer la soirée chez lui, comme ses parents étaient sortis."
L'adolescente ne s'attendait pas à se retrouver confrontée à une telle insistance de la part de son partenaire. "Clairement, il m'a mis la pression. Il m'a dit : 'C'est la Saint-Valentin, tu ne vas quand même pas me dire non ?' Pour lui c'était la soirée idéale pour perdre notre virginité, il fallait que je lui prouve que je l'aime. J'ai cédé." Le lendemain, elle se confie à ses amies : "Elles ont trouvé ça super romantique, alors que moi j'étais juste écoeurée." C'est finalement en en parlant à sa grande soeur qu'elle comprend qu'elle n'aurait jamais dû se forcer : "Elle m'a expliqué qu'un oui sous la contrainte n'était pas un vrai oui. Que je n'avais pas nécessairement besoin de considérer ça comme un viol, mais que c'en était un quand même. J'ai eu du mal à l'accepter car je ne me sentais pas traumatisée, et un viol, c'est censé être traumatisant, non ?"
Un an plus tard, Louise est pourtant toujours avec son petit-ami. Un choix qu'elle assume : "On a discuté, tous les deux, puis avec ma grande soeur. Lui ne savait pas non plus que c'était mal d'insister, il pensait que j'avais juste besoin d'être "motivée". Il s'est excusé, et ne l'a plus jamais refait. Il m'a fallu six mois pour recommencer à coucher avec lui, et depuis, il me laisse toujours faire le premier pas. Je pense qu'il a peur", commente-t-elle. Une preuve supplémentaire que la notion de consentement est loin d'être acquise, et que le sujet devrait impérativement être évoqué très tôt, lors des cours d'éducation sexuelle."
"Il y a un vrai problème dans la compréhension du consentement dans le couple"
Jessica* fait également partie des femmes qui redoutaient (et redoutent toujours) la Saint-Valentin. "Dans ma tête, c'était ancré qu'à cette date, je n'avais pas le droit de dire non,. Que c'était mon devoir de femme, de compagne, de future épouse. J'ai grandi dans la pensée selon laquelle une femme ne pouvait se refuser à son mari, à son compagnon. Pour moi, les viols ou les agressions sexuelles, c'était par des inconnus, dans la rue. Pas par des personnes qui disaient m'aimer." Un mythe que les associations féministes s'efforcent de démonter. La preuve : dans son état des lieux des représentations des Françaises et des Français au sujet du viol, l'association Mémoire Traumatique et Victimologie, en association avec l'Ipsos, révélait qu'une personne sur cinq considère que de forcer son conjoint à avoir des rapports sexuels n'est pas un viol. Et ce alors que les viols conjugaux représentent en réalité un viol sur trois.
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"Il y a encore aujourd'hui un vrai problème dans la compréhension du consentement dans le couple", regrette Louise Delavier. "On le voit beaucoup sur le chat : l'acte sexuel, surtout dans le couple, est considéré comme une évidence, donc on ne se pose pas la question de est-ce que l'autre a envie ou pas. Et c'est à tel point incompris, que parfois il y a des personnes qui se rendent compte des semaines, des mois, des années plus tard qu'en fait, elles n'étaient pas d'accord." Pour lutter contre ce phénomène, l'association a créé un outil pour expliquer le consentement dans différentes situations : "C'est un outil qu'on utilise encore aujourd'hui, et qui s'appelle Une histoire de consentement. C'est une histoire à choix multiples qui permet d'explorer les situations de consentement." Un bon moyen de comprendre que dans toutes les situations, quand c'est non, c'est non.
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