"Mon géniteur m'attrapait par les cheveux, il me les arrachait" : femmes et enfants victimes de violences conjugales

Young woman is sitting hunched at a table at home, the focus is on a man's fist in the foregound of the image

Face à une victime de violences conjugales, la première réaction est souvent de conseiller à cette dernière de partir. Mais quitter son foyer à cause d'un conjoint violent est une véritable épreuve du combattant, qui demande une logistique rigoureuse et beaucoup de sang-froid.

Les chiffres des violences conjugales en France sont terrifiants. Le sujet, pourtant considéré comme la "grande cause du quinquennat" d'Emmanuel Macron, fait la Une des journaux au quotidien. En 2021, 113 femmes ont été tuées par leur ex ou leur conjoint, et selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, en 2020, plus de 139 000 femmes ont été victimes de violences conjugales. Ces femmes entendent souvent la même question : "Pourquoi n'es-tu pas partie ?" Certaines restent par amour. Pour leurs enfants, pour ne pas briser leur famille. Ou encore, pour des raisons financières. Mais aussi parce que quitter un conjoint violent est plus facile à dire qu'à faire, et que trop peu d'aide sont proposées aux victimes pour pouvoir se tirer des griffes de leur bourreau.

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"J'ai emprunté un chariot au supermarché et j'ai emporté tout ce que je pouvais"

Pauline n'avait que 18 ans lorsqu'elle a été contrainte de fuir les violences conjugales dont elle était victime. "J'étais à peine majeure, encore au lycée, et à des centaines de kilomètres de mes parents", raconte-t-elle. A l'époque, elle vivait avec son ex. Ce dernier n'a jamais levé la main sur elle, mais lui a fait subir des violences psychologiques : "Il m'empêchait de voir mes amis, d'aller en cours... Le simple fait de finir une tablette de chocolat me valait des heures d'engueulade." Mais comment partir quand on est aussi isolée ?

"Je suis allée voir le réceptionniste de la résidence étudiante proche de chez moi pour demander s’il restait des chambres vides car j’étais dans une situation vraiment difficile. Il a accepté de me louer une des chambres au black, en échange de 300€ en cash chaque début de mois." Un soir, alors que son ex est absent, Pauline sait qu'elle doit agir maintenant : "Je suis allée emprunter un chariot au supermarché d’à côté, je l’ai monté dans l’ascenseur de l’immeuble jusque dans l’appartement. J’ai mis le peu d’affaires que j’avais dedans et je suis partie sans rien laisser que mon jeu de clés. J’ai poussé le caddie jusqu’à l’immeuble de la résidence étudiante et je me suis installée rapidement, heureusement la chambre était meublée car je n’avais vraiment rien mis à part des vêtements, des CD et mes affaires de cours ! Je suis allée rendre le caddie après et c’était terminé."

Terminé d'un point de vue logistique, peut-être. Car l'inquiétude, elle, était toujours présente. "Vu la proximité de la résidence étudiante et de l’appart de mon ex, j’avais une peur extrême de le croiser dès que je sortais. J’avais peur qu’il soit à la sortie de mon lycée, chaque jour j’angoissais et je vérifiais qu’il ne soit pas là avant de sortir de l’enceinte de l’établissement." Une peur économique, aussi : "Le fait de devoir payer cette chambre au black qui était plus chère que le loyer que je payais avec mon ex m’a mise dans une situation de précarité extrême. Je volais à manger au supermarché car je n’avais pas le choix, et que j’étais trop jeune, inexpérimentée, apeurée et isolée pour savoir qu’il y avait des associations qui auraient pu m’aider, ou pour en parler avec mes parents, mes profs ou mes camarades." Mais malgré cette épreuve, Pauline conserve deux grandes fiertés : avoir eu le courage de partir, et celui d'obtenir son bac avec mention, un véritable sésame pour pouvoir prendre son envol.

"J'avais 20 minutes devant moi, je n'ai pris que le nécessaire"

Annie a quant à elle passé près de 10 ans dans une relation abusive. "Mon gentil mari s'est transformé en loup. Pendant des années, j'ai été victime de viols conjugaux, de brimades, de coups. Jusqu'au jour où une amie a vu les bleus sur mes jambes, et où elle m'a mise au pied du mur." Face à sa situation, son amie est formelle : "Elle m'a dit : 'Soit tu pars, soit tu crèves. Il n'y a pas d'autre issue'. Ça m'a fait un choc, évidemment, mais c'était ce dont j'avais besoin pour ouvrir les yeux."

Pendant plusieurs jours, la quadragénaire essaye de prendre contact avec différentes associations, pour avoir de l'aide. "La police n'a pas fait grand-chose, on m'a dit t'appeler la prochaine fois que je me faisais tabasser. Une association nous a proposé un logement temporaire pour moi et ma fille, mais il fallait que je parte. Et ça, c'était le plus dur." Annie confie avoir longtemps tergiversé, surtout que son mari la surveille, lit ses messages, et semble de plus en plus méfiant. "L'amie qui m'a mise au pied du mur s'arrangeait pour me croiser au supermarché, pour qu'on puisse discuter. Nous avons convenu d'un mot de passe : 'J'ai besoin de vacances'. Et un jour où mon mari m'a dit s'absenter 20 minutes pour aller au tabac, j'ai prévenu mon amie." Le temps qu'elle arrive, la maman paniquée réunit le nécessaire. "Mes papiers, le livret de famille, le carnet de santé de ma fille. Son doudou, mes cartes bleues, un classeur avec des documents importants. Quelques vêtements pour elle et moi. Le nécessaire, c'est tout. Je n'ai rien pris d'autre. J'ai laissé mon alliance sur la table de la cuisine avec mes clés, et j'ai sauté dans la voiture de mon amie pour aller au foyer."

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Aujourd'hui, Annie se dit que son amie lui a sauvé la vie. "Elle avait tout prévu, elle savait que je ne pourrais pas emporter grand-chose. Dans son coffre, il y avait des vêtements pour ma fille et pour moi, des produits d'hygiène, un chargeur de téléphone et une nouvelle carte sim pour que mon ex ne puisse pas m'appeler. Elle a été formidable." D'ailleurs, après quelques semaines en foyer, les deux femmes ont décidé d'emménager ensemble, et c'est à deux qu'elles préparent le divorce d'Annie.

"J'ai aidé ma mère à préparer notre départ, j'avais 17 ans"

La situation de Lou est quelque peu différente. La jeune femme aujourd'hui âgée de 25 ans n'a pas été victime de violences conjugales, mais de violences parentales. Son père était violent envers sa mère, mais aussi envers elle et ses petits frères. "Mon géniteur m'attrapait beaucoup par les cheveux lorsque j'étais enfant, à tel point qu'il me les arrachait, et que ma mère devait me faire des coiffures spéciales pour aller à l'école parce que j'avais des endroits chauves sur le crâne. Quand il a perdu son travail de policier, les violences sont devenues quotidiennes. Coups de bâton, coup de martinet, de ceinture, il trouvait toujours une nouvelle façon de nous taper, même mon dernier petit frère, qui avait deux ou trois ans à l'époque prenait des coups. Il m'a cassé le nez et des côtes, ma mère a eu des hernies au niveau de l'épaule."

Pourtant, par amour pour son mari violent, sa mère a eu du mal à partir. C'est finalement la peur de perdre ses enfants qui a tout déclenché. "Avec mes deux petits frères les plus âgés, nous avions parlé des violences que nous subissons auprès de nos différentes écoles quasiment le même jour, sans jamais se concerter. Nos parents se sont fait convoquer chez une assistante sociale. Cette dernière a vite pris conscience de la situation et a pris ma mère à part pour lui dire : "Soit vous partez avec vos enfants, soit ils seront placés." Ce à quoi ma mère a répondu qu'on ne lui enlèverait pas ses enfants."

La fratrie essaye de s'enfuir à plusieurs reprises, mais revient toujours à cause des fausses déclarations du patriarche : "Il nous faisait revenir en disant qu'il partirait lui, que c'était mieux pour nous. Il n'est jamais parti alors un soir, ma mère est venue dans ma chambre m'expliquer qu'il fallait qu'on parte avec tout le monde, et qu'on ne reviendrait pas." Lou avait alors 17 ans. "Nous avions préparé avec ma mère les affaires de tout le monde en pleine nuit et chargé la voiture, nous n'avons pas pu prendre grand-chose. On était comme deux petites abeilles qui volaient dans tous les sens pour tout préparer. On s'est enfuis et on s'est réfugiés chez le frère de ma mère après avoir été chercher mes petits frères à l'école. Il nous a hébergés pendant sept mois." En dépit de la situation, des plaintes déposées et de ses nombreuses demandes, la mère de Lou n'a pas reçu la moindre aide de la ville : "Nous avons dû déménager, changer d'école, de vie pour avoir un logement. Ma mère me dit souvent avec amertume qu'elle a vécu 27 ans dans cette ville, pour finalement ne pas être aidée ni épaulée alors qu'il y avait urgence." Une amertume légitime, et connue par bon nombre de femmes.

Les démarches pour quitter un foyer violent sont très compliquées

Les témoignages de Pauline, Annie et Lou résonnent avec ceux de nombreuses autres personnes. Comme celui de Marie, à qui une conseillère a dit que sans violences physiques, elle ne pourrait avoir de logement. Ce qui l'a poussé à envisager de provoquer les coups de son ex. Ou celui de Juliette*, qui a porté plainte sans succès. Bénévole dans un foyer d'accueil des victimes de violences conjugales, Christine*, ex-femme battue, regrette que la loi ne soit pas forcément du côté des victimes. "Le mariage implique un devoir de cohabitation (article 242 du Code civil) et l'abandon du domicile conjugal constitue un argument de divorce pour faute. Le fait de partir avec vos enfants peut aussi être considéré comme un enlèvement, et entraîner un risque de perte de garde.

Ainsi, si vous êtes mariée ou pacsée, vous devez impérativement déposer une main courante contre votre conjoint. Si des enfants sont impliqués, vous devez saisir en urgence le juge aux affaires familiales pour qu'il statue sur le mode de garde. Ça prend du temps, et les policiers ne sont pas toujours à l'écoute des victimes."

De leur côté, les foyers d'accueil font leur maximum pour accueillir les victimes, mais ces derniers manquent de places et de moyens pour permettre un accompagnement vraiment efficace. Une situation que regrette Fiona*, qui a elle aussi dû fuir les violences conjugales : "Je m’aperçois qu’en France, on a beau dire, on a beau faire, les femmes sont toujours les plus méchantes. Il n’y a pas vraiment d’aide. On éloigne les femmes et les hommes ont tout, ils gardent tout : la maison, les affaires... Il faut qu’on se batte avec tout le monde pour avoir une pension, ou qu’ils partagent les frais. C’est mon cas encore aujourd’hui, plusieurs années après mon divorce." Une bien triste constatation.

* Certains prénoms ont été modifiés pour assurer la sécurité des victimes. Si vous êtes victime de violences conjugales, vous pouvez appeler le 3919, numéro national de référence d’information et d’orientation pour les femmes victimes de violences. Il est soutenu par le ministère en charge des Droits des femmes. Pour rappel : la police et les gendarmes n'ont pas le droit de vous refuser un dépôt de plainte.

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