TABOU - Victime de violences conjugales, elle peine à retrouver l'amour : "On m'a cataloguée comme une personne à problèmes"
Sortir d'une relation lorsque l'on est victime de violences conjugales n'est pas une chose facile. En entamer une nouvelle l'est encore moins. Outre le travail sur soi à effectuer pour être dans de bonnes dispositions pour trouver l'amour, les victimes de violences conjugales sont victimes d'un véritable stigma qui peut faire fuir d'éventuels partenaires. La preuve avec le témoignage d'Aurore*.
Cela fait maintenant près d'un an qu'Aurore est célibataire, après avoir fui les violences conjugales dont elle était victime. Après 3 ans d'une relation "houleuse", son ex-conjoint est devenu violent peu après la naissance de leur premier enfant. Jusqu'au jour où la trentenaire a trouvé le courage de porter plainte, et de prendre la fuite. En procès contre son ex, elle a pris le temps de travailler sur elle avant d'envisager de retrouver l'amour. Mais elle s'est retrouvée face à un obstacle qu'elle n'avait pas envisagé.
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"Je ne m'attendais pas à ce genre de réaction de la part des hommes"
Si Aurore a pris son temps avant d'ouvrir son coeur à nouveau, c'est parce qu'elle a bien conscience du traumatisme qu'elle a subi. "Pendant ma grossesse, j'avais déjà eu l'impression de perdre le contrôle de mon corps. Ça s'est renforcé lorsque mon ex a commencé à me rabaisser, à me menacer, à lever la main sur moi. Depuis mon départ, je suis suivie par une psychologue spécialisée dans la psychotraumatologie."
Au bout de six mois, la jeune maman a fait une première tentative, et accepté un rendez-vous : "En moins de 10 minutes, j'ai compris que je n'étais ni physiquement, ni émotionnellement prête, et j'ai coupé court. Aujourd'hui, je me sens mieux armée pour trouver l'amour. Depuis quelques semaines, je suis à nouveau inscrite sur les applications de rencontre, j'ai même eu quelques rendez-vous. Je pensais que le plus gros frein serait que je sois une jeune mère célibataire. Mais c'est visiblement mon passé de femme battue qui pose plus de problème."
En effet, Aurore a décidé d'être très honnête avec ses potentiels partenaires. "Ce n'est pas la première chose que je dis, évidemment, mais ça vient tout de même rapidement dans la conversation. J'ai conscience que mon traumatisme n'est pas derrière moi, et je ne veux pas m'engager avec quelqu'un qui ne soit pas bienveillant, prêt à respecter que j'ai peut-être plus de limites que d'autres personnes. Je me doutais que ça allait me fermer quelques portes, mais je ne m'attendais pas à de telles réactions."
Un passé qui fait peur aux hommes
La jeune maman l'affirme : "Certains mecs avec qui je discutais ont simplement cessé de répondre. Un peu lâche, mais je peux l'accepter. Par contre, j'ai aussi eu droit à des propos très durs. Après un premier rendez-vous, un homme m'a dit qu'il n'avait pas envie d'avoir à "gérer mes traumas". J'ai essayé de lui expliquer que ce n'était pas ça que j'attendais de lui : j'ai une psy, merci. Tout ce que je demande, c'est de la compréhension si j'ai un blocage. Mais c'était visiblement trop pour lui."
Un autre homme a eu une réaction encore plus épidermique : "Il m'a dit qu'il ne voulait pas d'"une meuf à problèmes". Il avait peur que je me méprenne sur ses gestes ou sur ses actes à cause de mes traumas, et de se retrouver à son tour accusé. Ça a été très violent. C'est comme s'il m'avait traitée de menteuse."
Malgré tout, Aurore ne se voit pas cacher son passé pour autant. "C'est une réalité : j'ai été victime de violences conjugales, je suis en procès contre mon ex. Ce n'est pas facile à gérer pour moi, et je ne me vois pas me lancer dans une relation sans être totalement honnête à ce sujet avec la personne en question. Ça serait abject de ma part. Mais pour moi, ça prouve qu'il y a vraiment un stigma qui reste autour des victimes de violences conjugales. Soit on nous catalogue comme des personnes à problèmes, soit on ne nous voit que sous le prisme de la victime qui a besoin d'un sauveur. Ce qui n'est pas le cas."
"En tant que conjoint, on n'est pas là pour accompagner les victimes"
Aurore n'est pas la seule à estimer ne pas avoir besoin d'un sauveur. Anne-Claire Huard, psychologue et doctorante, confirme : "On n'est pas là, en tant que conjoint, amis ou famille, pour accompagner les gens. L'accompagnement, c'est un terme qu'on utilise dans le milieu professionnel. Le partenaire n'aide pas, mais représente un soutien. Si on sent qu'on est en posture d'accompagnant ou d'aidant, la première question à se poser est : est-ce que je suis à la bonne place ?"
Selon la spécialiste, tomber dans ce rôle de sauveur n'est sain pour personne : "On se sent forcément concerné quand on a une relation avec quelqu'un qui a vécu quelque chose de très grave, mais pour autant, il faut que cette personne soit suivie par des professionnels, et pas qu'elle ne compte que sur son nouveau partenaire, qui ne doit pas se placer dans un rôle de sauveur. Il est important de re-interroger régulièrement cette dynamique de couple pour ne pas que la personne ne s'oublie à son tour dans ce rôle d'aidant."
Pour la psychologue, le rôle de soutien est quant à lui essentiel : "Le soutien social est l'un des premiers remparts pour aller mieux. La présence, observer et être à l'écoute des besoins de l'autre, aider à remettre des mots sur ses émotions, ça fait partie des soutiens qu'on peut apporter à une personne qui a été victime de violences conjugales dans une précédente relation. Le regard que l'on porte sur l'autre est aussi très important, tout comme le fait de la déculpabiliser, car les anciennes victimes de violences conjugales ont généralement constamment l'impression de ne pas être assez bien, et vont beaucoup s'excuser. Le fait d'avoir été dans des violences conjugales entraîne aussi une intériorisation de l'objectification. Plus elles ont été exposées, plus les victimes vont considérer leur corps comme un objet pour l'autre. Cela peut entraîner des problèmes pour identifier ses propres besoins et ses propres envies, en particulier dans le cadre d'une nouvelle relation. Ça peut être un premier challenge qui les pousse à replonger dans les mêmes schémas, et à s'oublier dans la relation : être gentille, souriante, serviable, désirable."
D'où l'importance pour le nouveau partenaire de ne pas s'oublier dans l'équation : "Il est aussi important que le partenaire prenne soin de lui-même en premier lieu, pour que la personne ait une forme d'exemple en face de soi, pour l'influencer positivement, la tirer vers le haut."
* Pour préserver son anonymat, le prénom a été modifié.
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