32% des hommes ne veulent pas prendre de contraception masculine : "Clairement, je n’ai pas confiance"
D’après une enquête menée par l’Ifop, et publiée ce jeudi 17 mars 2022, 32% des hommes sondés refusent de prendre des traitements réguliers de contraception comme la pilule masculine ou le slip chauffant. Un chiffre qui tend à rappeler certains fondamentaux encore trop souvent négligés, et derrière lequel se cachent méconnaissance et méfiance. Pour Yahoo, trois hommes ont accepté de se livrer sur le sujet.
Tout le monde est d’accord pour dire qu’un rapport sexuel implique deux personnes adultes et consentantes. Mais le ton change lorsqu’il s’agit de parler contraception. Depuis trop longtemps, la responsabilité contraceptive pèse essentiellement sur les épaules des femmes. Pilules, stérilet, implant… autant de moyens qui demandent pléthore de rendez-vous médicaux, d’argent déboursé et de difficultés lorsqu’ils ne conviennent pas au corps de la femme. Ce jeudi 17 mars, l’Ifop a dévoilé les résultats de son enquête sur le degré de déconstruction des hommes à l’égard des normes de masculinité, pour le réseau social Wyylde.
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La "déconstruction" c’est un "processus introspectif en cours, toujours inachevé, par lequel un individu privilégie la remise en question face aux stéréotypes de genre" explique le site Causons Féminisme. Dans notre cas précis, il s’agit de la façon dont les hommes se détachent peu à peu de l’image longtemps prônée par le patriarcat. Et ça commence par la vie à deux, dans l’intimité du couple. Selon l’enquête de l’Ifop, 87% des hommes sondés sont disposés à prendre en charge financièrement une partie de la contraception de leur conjointe, quand 13% des sondés refusent de partager les frais liés à la contraception et au cycle menstruel de leur conjointe.
Un soutien moral et financier... c'est tout ?
Flavien, 25 ans, était en couple lorsqu’il a été pour la première fois confronté à la pilule du lendemain, une méthode contraceptive qui permet d'éviter une grossesse non désirée après un rapport sexuel non ou mal protégé. "Il y a eu un problème avec le préservatif, et j’ai tout de suite cherché une contraception d’urgence pour ma copine. Je savais que la pilule du lendemain existait, mais je n’y avais jamais été confronté jusque-là." Pour Flavien, l’expérience s’est ensuite répétée avec d’autres partenaires. Et s’il dit avoir toujours été présent dans ces moments-là, en les accompagnant à la pharmacie et en payant la pilule (entre 4 et 10 euros), il est conscient du poids qui pesait sur leurs épaules.
"Je l’avoue, j’étais quand même un peu gêné parce que c’était à ma copine de ‘subir’ les conséquences, alors qu’on avait fait l’amour à deux. Mais j’ai plutôt l’impression de m’être investi dans la démarche à chaque fois. Déjà en accompagnant à la pharmacie, mais aussi en réconfortant." Ces "conséquences" de la pilule du lendemain dont parle Flavien peuvent être diverses, comme l’explique le Dr Sophie Gaudu, gynécologue à Paris : "La prise de la pilule du lendemain peut amener des petits saignements intercurrents ou décaler la date des règles." Toutefois, elle précise : "Il n’y a aucun danger à prendre la pilule du lendemain. Le principal effet secondaire c’est que ce n’est pas efficace tout le temps."
Mais jusque quand la contraception sera-t-elle une affaire qui incombe principalement aux femmes ? Selon l’étude de l’Ifop, 32% des hommes refusent de prendre des traitements réguliers de contraception comme la pilule masculine ou le slip chauffant. Flavien, lui, l’assure : "Ça ne me poserait pas de problèmes d’utiliser une contraception masculine." Pourtant, le jeune homme n’y est pas encore. Et cela peut sans doute s’expliquer par plusieurs éléments.
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Contraception masculine : ils disent non
Alexandre, 28 ans, a songé à la contraception masculine après une expérience douloureuse : "Pendant un rapport avec mon ex-copine, la capote s’est déchirée. On ne s’est pas alertés plus que ça, alors qu’elle n’était plus sous pilule depuis 8 mois. Malheureusement, elle est tombée enceinte. Elle a choisi d’avorter et j’ai été là pour elle du début jusqu’à la fin. Après ça, on n’était plus les mêmes, ça nous a carrément traumatisés. Je m’en suis voulu, je me sentais impuissant face à la situation" raconte le jeune homme. Le traumatisme est tel que leur vie sexuelle en pâtit. "Elle ne voulait plus faire l’amour parce qu’elle avait peur que ça se reproduise, puisqu’elle ne voulait plus prendre la pilule ni se faire poser de stérilet ou autre. Je comprenais tout à fait. Alors j’ai cherché des solutions de mon côté."
Alexandre a un temps considéré la méthode réversible du slip contraceptif qui permet de remonter les testicules des bourses vers le pubis, augmentant leur température et inhibant ainsi la formation des spermatozoïdes. "Je lui en ai parlé, mais sans être tout à fait convaincu. Elle trouvait que l’idée était plutôt cool. Les mois ont passé sans que l’on en reparle. Jusqu’au jour où elle m’a demandé si j’y avais un peu plus réfléchi. Je lui ai dit que je ne me sentais pas prêt. Elle l’a compris sur le coup. Mais notre couple n’a pas tenu, et je ne saurais pas dire si c’est vraiment à cause de ça." Alexandre l’assume à demi-mot : "Je ne me voyais pas porter ce slip plusieurs heures par jour. Je sais qu’il ne rend pas stérile, mais j’avais peur. Et même au-delà du côté pratique, j’avoue que l’idée de porter la contraception, en tant qu’homme, ne m’enchantait pas."
Ces mots font écho à une situation qui dure. Si la contraception masculine existe depuis plusieurs années maintenant, elle n’attire pas grand monde. Déjà parce qu’elle n’a jamais été vraiment mise en avant dans nos sociétés patriarcales, ensuite parce qu’elle déconstruit justement l’image de l’homme qui ne se protège qu’avec un préservatif… Et encore : certains espèrent bien souvent que leurs partenaires soient sous traitement contraceptif afin d’échapper au latex qu’ils jugent trop "inconfortable". À la recherche du plaisir sans risque, les femmes sont en première ligne. Encore et toujours.
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"Pour moi, le préservatif est la seule solution égalitaire"
Et même lorsqu’ils sont conscients de tout cela, difficile de faire entendre à certains l’option de la contraception masculine. Romain* le dit lui-même : "Clairement, je n’ai pas confiance et je ne me verrais pas le faire." Le jeune homme, qui a pourtant déjà eu quelques frayeurs après des "accidents de capotes avec des plans cul", va plus loin : "Pour moi, la vraie question c’est : est-ce qu’une fille ferait confiance à un mec qui lui dit : ‘Je prends la contraception masculine’ ?" À cela s’ajoute la méfiance médicale… celle-là même qui gravite autour de la contraception féminine depuis bien longtemps : "À titre personnel, je n’ai pas envie de faire ça à mon corps. J’ai vu ce que la pilule a fait à ma copine… elle ne la prend plus depuis un an et demi à cause de ça. Depuis, on utilise les préservatifs. Pour moi, c’est la seule solution respectueuse et égalitaire. Il faut juste trouver celle qui nous gêne le moins. C’est pas insurmontable non plus ! Mais si moi je n’accepte pas de prendre un traitement contraceptif, je n’imposerai jamais à ma copine de le faire."
Même en tentant de déconstruire les stéréotypes autour de la contraception, les clichés ont la peau dure et les moeurs, archaïques, difficiles à changer. C’est tout un inconscient collectif qui est en jeu. Romain l’avoue d’ailleurs : s’il ne veut pas essayer la contraception masculine, c’est aussi « parce qu’il n’y a pas assez d’exemples de mecs qui la prennent, alors c’est difficile de se faire un avis dessus et de ne pas se sentir seul à faire ça."
À en croire les résultats de l'enquête de l'Ifop, c'est aussi une histoire de génération. Quand il s'agit de déconstruction globale chez les hommes, les plus volontaires sont les plus jeunes, davantage sensibilisés aux enjeux d’égalité de plus en plus mis en avant dans nos sociétés. 83% des moins de 25 ans qui se définissent comme "très féministes" dépassent les modèles traditionnels dans la famille et le couple contre 57% de ceux ne se réclamant pas du féminisme. Et pourtant : d’après les chiffres de l’Ifop, 34% des hommes de moins de 35 ans refuseraient de prendre en charge la contraception au sein du couple en prenant eux-mêmes des traitements réguliers, contre 26% de réfractaires à la contraception masculine chez les 60 ans et plus. Le chemin est encore long...
*Le prénom a été changé par souci d'anonymat
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