Dyslexiques, ils ont été et continuent d'être humiliés : "C'est handicapant ! Et c'est une plaie, car c'est un handicap qui ne se voit pas"

Dans un entretien accordé au Parisien, ce samedi 20 janvier, le nouveau ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, a évoqué sa dyslexie, après avoir été raillé à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux à propos de ses fautes de français à l'oral. Une prise de parole qui a mis un coup de projecteur sur ce trouble concernant en France environ 4 à 5% des élèves d'une classe d'âge. Si les enfants d'aujourd'hui sont de mieux en mieux accompagnés, ceux qui les précédent, désormais adultes, ont pu pâtir de la méconnaissance autour du sujet.

FRANCE - JANUARY 12:French Europe and Foreign Minister Stephane Sejourne arrives attends the weekly cabinet meeting at the presidential Elysee Palace on January 12, 2024 in Paris, France. France's new prime minister Gabriel Attal unveiled his cabinet overnight, two days after he was appointed(Photo by Christian Liewig - Corbis/Getty Images)
Dyslexiques, ils ont été et continuent d'être humiliés : "C'est handicapant ! Et c'est une plaie, car c'est un handicap qui ne se voit pas." (Photo by Christian Liewig - Corbis/Getty Images)

Nommé ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné fait l'objet, depuis le 11 janvier, d'une médiatisation très forte, comme l'ensemble de ses collègues composant le gouvernement Attal depuis le remaniement ministériel qui a eu lieu début 2024. Si chacun a eu droit à son lot de polémiques, Stéphane Séjourné a pour sa part été raillé sur les réseaux sociaux, notamment en raison de ses fautes de français à l'oral, qui seraient, selon certains internautes, indignes de sa fonction. Dans un entretien accordé au Parisien, publié le 20 janvier, le ministre a évoqué sa dyslexie. "Très jeune, j’ai été diagnostiqué avec une très forte dyslexie. (...) "Il y a quinze ans, je n’aurais pas pu avoir la discussion que j’ai en ce moment avec vous", a-t-il confié. Le politique a expliqué avoir entrepris un long travail de rééducation pour corriger ses "défauts à l'oral". Chez Stéphane Séjourné, ce trouble a quasiment disparu, mais peut revenir dans "des moments de fatigue ou de stress". Le ministre a cependant tenu à répondre à ceux qui douteraient de ses capacités : "Au quotidien, cela n’a aucune implication sur mon travail, mon efficacité, mes échanges dans les négociations internationales." "Des millions de gens ont cela (la dyslexie; ndlr) ", a-t-il rappelé.

En effet, environ 4 à 5 % des élèves d’une classe d’âge sont dyslexiques, selon les chiffres de la Fédération française des dys (FFDys), qui précise cependant qu’aucune étude fiable ne permet d'établir le nombre de personnes souffrant de ce handicap invisible en France. La dyslexie serait liée à de mauvaises connexions neuronales et aurait pour conséquence, entre autres, de rendre plus difficile l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et des mathématiques. Décelée de plus en plus tôt, et prise en charge de manière précoce, la dyslexie est de moins en moins handicapante pour ceux qui en sont atteints. Mais de nombreux dyslexiques, aujourd'hui adultes, ont dû se heurter au manque de connaissance de leurs parents, de leurs professeurs et de leurs camarades sur le sujet.

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"Je passais souvent pour "la nulle""

Karine, 40 ans, en a fait les frais : "J’ai été diagnostiquée a seulement 37 ans. Je suis multi dys ! C’est-à-dire dyslexique, dyscalculique et dysorthographique. Mon parcours scolaire a été très compliqué et très dévalorisant pour ma part ! Aucun de mes professeurs n’a cherché à comprendre pourquoi je rencontrais des difficultés. J’ai redoublé mon CE1 et ma 6e. Tous on été très méprisants envers moi ! À mon époque, en primaire, on me disait 'Tu es nulle' et je me faisais frapper par les maîtres !" Une anecdote l'a particulièrement marquée : "J’ai un souvenir, en 6e, de ma prof d’anglais qui s'est adressée a une bonne élève devant toute la classe en parlant de moi 'Occupe-toi de ça car moi je n'en peux plus !'"

Un discours qui résonne chez Éléonore, 32 ans : "Je passais souvent pour "la nulle". J'ai subi des moqueries parce que j'avais un petit "retard" petite. Après j'étais très entourée, on m'a fait énormément travailler et j'aimais travailler donc ça a été assez "facile"." C'est surtout au moment de l'orientation que l'on fait comprendre à Éléonore, diagnostiquée dyslexique en CE1, qu'elle doit revoir ses rêves de carrière à la baisse : "Mon objectif était d'être sage-femme, ce qui n'a pas pu être possible puisqu'à la sortie de la 3e, on m'a dit 'tu ne peux pas aller dans un lycée classique, tu ne vas pas y arriver.' Les CPE m'ont mis énormément de freins. Du coup, j'ai préféré l'alternance, qui pour moi me semblait être une voie plus facile. J'ai écouté ce qu'on m'a dit, je n'aurais pas dû, mais on m'a beaucoup rabaissée et c'est ce qui fait que je n'ai pas fait les études que je voulais."

"J'ai passé mon temps à performer en continu"

Difficile de s'accrocher quand, à l'école, mais aussi à la maison, l'enfant est sans cesse dévalorisé. "Mon père est également dyslexique et, au lieu de m’encourager, il m'a cassée pendant toute ma scolarité, comme pour se venger, sans se préoccuper de ce que je voulais faire. J’ai aussi été prise en grippe par deux institutrices, peut-être à cause de cette originalité", se désole Alice, 41 ans. Comme Éléonore, elle n'a pas eu vraiment le choix concernant ses études : "Je suis partie en BEP car j'étais nulle à l'école". "J'avais des résultats de dictée à -15, -20... À mon époque on était bête quand on était dyslexique", se souvient-elle.

Charlotte*, 49 ans, a persisté dans une voie "classique", mais, plus lente que ses camarades, elle a obtenu son bac à l'âge de 21 ans : "Ça a un impact, évidemment, sur l'estime de soi. J'avais perdu du temps, je ne me voyais pas partir sur de très longues études donc j'ai fait un BTS, parce que j'étais sûre, au moins, de le réussir. J'ai fait une année de spécialisation et je suis rentrée dans le monde du travail. J'ai passé mon temps et je le passe encore, à 50 ans bientôt, à performer en continu."

Déterminée, Charlotte a poursuivi ses études après son BTS, progressivement, et a finalement décroché un Master en stratégie et développement commercial, puis a validé un Master spécialisé en stratégie et management des industries de santé, à l'ESSEC, l'une des écoles de commerce les plus réputées de France. En 2022, elle a obtenu un Master 2 en sciences du médicament. Pour autant, elle doit toujours composer avec son trouble, qui peut la rattraper dans son quotidien, et, en fonction des ses interlocuteurs, être mal compris. "Ça peut être pénalisant quand vous avez en face de vous des gens qui sont assez retors et psychorigides sur les choses, qui ont un manque d'ouverture. Ça m'arrive de faire des fautes d'orthographe et d'accord. Si je fais des fautes devant des gens, ça peut paraître ridicule. Écrire sur un paperboard en public, c'est un peu casse-gueule pour moi. Il y a toujours le regard de l'autre qui peut être désagréable."

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"Je n'ai aucune confiance en moi"

Si elle se félicite de son parcours, Charlotte déplore un manque d'accompagnement durant sa scolarité. "Si j'avais eu un tiers de temps de plus pour passer mes examens, faire tout ce que j'avais à faire, je pense que j'aurais eu des meilleures notes, par rapport aux enfants qui ont aujourd'hui 30% de temps de plus. J'ai eu des notes moyennes, aux alentours de 12 toute ma scolarité. Je n'étais pas la première de la classe, parce que je mettais plus de temps à mémoriser." Un regret partagé par Alice : "C’était très mal pris en charge quand j’étais en primaire. On faisait une dizaine de séances chez l’orthophoniste, et c’est tout. J’ai compensé en tant qu’adulte."

"Lorsque j’étais scolarisée, ça n’existait pas la dyslexie. On était juste mauvais élèves ! De nos jours, c’est un peu plus surveillé", abonde Karine, à qui on a déjà reproché d'évoquer sa dyslexie comme "une excuse", pour expliquer ses fautes. "Certaines personnes dans mon entourage ne comprennent pas à quel point c’est handicapant ! L’handicap invisible hélas est une plaie car il ne se voit pas ! Je n'ai aucune confiance en moi car toute la vie on m’a répété que j’étais nulle", détaille-t-elle. Pourtant, sa dyslexie a un réel impact dans son quotidien, encore aujourd'hui : "J’ai du mal à comprendre ce que je lis ! Même une recette de cuisine ou de pâtisserie, ça va me coûter. J’ai de gros problèmes de mémorisation, je n’ai jamais pu apprendre par cœur une leçon, pourtant j’ai essayé et j’ai travaillé, mais ça ne rentre pas. J'ai rencontré de grandes difficultés à obtenir le permis de conduire, c'est également très handicapant pour tout ce qui concerne l'administratif. Aussi, j'ai un fils qui a 8 ans et qui est en CE2 et faire les devoirs avec lui est très compliqué pour moi !"

"Non, il est normal mon fils"

Aujourd'hui, le protocole et les moeurs ont changé. Les enfants sont diagnostiqués en général tôt et pris en charge par leurs professeurs, qui doivent veiller à adapter leur enseignement : "Une fois que le diagnostic est officiel, il y a un PAP (Projet d'accompagnement personnalisé) mis en place avec les parents et le médecin, qui organise tous les dispositifs nécessaires comme un tiers temps, un AESH (accompagnant d'élève en situation de handicap), la mise en place d'écritures adaptées grâce à des polices d'écriture spéciales...", explique Guillaume*, 25 ans, professeur d'Histoire-Géographie en collège. Ensuite, les progrès de l'enfant dépendent non seulement de lui-même, mais aussi de "l'implication des parents et du suivi des enseignants. Mais globalement, ça fait toujours du bien." Le professeur insiste sur la nécessité d'un diagnostic et d'un accompagnement adapté, qui effraient les parents les plus frileux : "Parfois, on entend 'non, il est normal mon fils', du coup il faut convaincre les parents de le faire diagnostiquer, ce qu'on arrive à faire dans la plupart des cas, mais il y a encore plein de parents qui refusent des places -qui sont déjà rares- en SEGPA (Section d'enseignement général et professionnel adapté, des classes de collège qui accueillent des élèves présentant des difficultés scolaires ; ndlr) ou en Ulis (Unité localisée pour l'inclusion scolaire, des dispositifs qui permettent la scolarisation d'élèves en situation de handicap ; ndlr) alors que ça aiderait beaucoup leur enfant juste parce que, pour eux, 'Ce n'est pas un handicapé'."

Accepter ce handicap permettrait de faire gagner à ceux qui en souffrent un temps précieux et davantage de confiance en eux et en leurs capacités. Ils mettraient ainsi beaucoup moins de temps à se connaître eux-mêmes, et arriveraient plus rapidement à la même conclusion que Charlotte : "Plus on sait qui on est, plus on l'accepte, plus, finalement c'est facile de vivre tel qu'on est."

*Les prénoms ont été modifiés.

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