Psoriasis et jugement, elles luttent pour accepter leur maladie : "Je n'ose toujours pas me mettre nue devant mon compagnon"

Ce dimanche 29 octobre marque la Journée mondiale du psoriasis. Cette maladie de la peau n'est pas contagieuse et se manifeste par des plaques rouges qui peuvent être très douloureuses, conséquences d'un renouvellement accéléré de l’épiderme. Le psoriasis est le plus souvent bénin, mais toujours incurable à l'heure actuelle et handicapant au quotidien. En France, 2 à 3% de la population est concernée. En plus de la douleur physique, les malades se heurtent au jugement et à la méconnaissance de leur entourage, ce qui affecte énormément leur confiance en eux. Pour Yahoo, certains ont accepté de se livrer.

Psoriasis et jugement, elles luttent pour accepter leur maladie : "Je n'ose toujours pas me mettre nue devant mon compagnon". Photo : Getty Creative.
Psoriasis et jugement, elles luttent pour accepter leur maladie : "Je n'ose toujours pas me mettre nue devant mon compagnon". Photo : Getty Creative.

Le psoriasis est une maladie qui reste mystérieuse : il n'existe pas, à l'heure actuelle, de traitement efficace pour le guérir totalement, mêmes si certains médicaments et/ou techniques peuvent l'atténuer ou/et soulager. Ainsi, les dermatologues conseillent généralement à leurs patients d'appliquer de la cortisone, la photothérapie, la biothérapie, et la prise de méthotrexate. D'autres malades préfèrent se tourner vers la kinésiologie ou l'acupuncture, qui néanmoins ne constituent pas un traitement à part entière.

On ne connaît pas l'origine exacte du psoriasis. L'apparition de plaque rouges ou de taches blanches "en gouttes" sur la peau, les pieds, les mains ou encore le haut du crâne, qui peut causer des démangeaisons ou des brûlures, est néanmoins favorisée par divers facteurs.

Selon Ameli.fr, le site de l'Assurance Maladie, le déclenchement du psoriasis serait dû à l’association entre une prédisposition génétique (dans près d'un tiers des cas il existe des antécédents familiaux), et certains autres éléments, comme les frottements, un stress physique ou psychique (comme un choc émotionnel par exemple), un traumatisme, des infections, la prise de certains médicaments, des modifications climatiques et l'exposition au soleil. Pour le psoriasis en gouttes, il existe un facteur déclenchant, il s'agit d’une infection bactérienne, comme une angine par exemple. La génétique est aussi un facteur favorisant.

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"Mes collègues avaient peur que ça s'attrape, j'ai dû ramener un certificat médical"

Joëlle, 60 ans, a un frère qui souffre de psoriasis, ce qui est un facteur favorisant la maladie. Un jour, elle retrouve son fils de quatre ans noyé dans sa piscine. "Il était cliniquement mort. Ça a déclenché le psoriasis et les cheveux blancs." Si son fils a survécu, Joëlle a gardé des séquelles de cet incident : quelques temps après, des plaques rouges apparaissent sur ses coudes et ses tibias. La situation ne s'améliore pas, et Joëlle saigne régulièrement. Un réel handicap pour celle qui est alors trentenaire, mannequin, et qui participe souvent à des défilés : "C’était compliqué, il fallait que je crème à mort, que je mette du fond de teint… Je le cachais avant même de me présenter pour un casting. Il y a l’embarras du choix, je n’allais pas prendre le risque de me faire jeter parce que j’avais un défaut physique."

Certaines personnalités ont pris la parole sur le sujet et exposé leurs taches, comme Kim Kardashian ou encore Cara Delevingne, mannequin, qui s'était rendue au MET Gala, en 2022, sans cacher sa maladie. Mais force est de constater que le psoriasis est encore absent des podiums et des shooting photos, et qu'il reste difficile à assumer au quotidien.

Ainsi, Sylviane, 57 ans, a travaillé dans la restauration et souffre de psoriasis sur le corps depuis l'âge de 10 ans, après le décès de son père. "Ma vie de jeune adulte au travail était catastrophique, mes collègues avaient peur que ça s'attrape, j'ai dû ramener un certificat médical", se souvient-elle.

"Je ne pouvais pas baisser mon pantalon aux toilettes sans pleurer"

Joëlle aussi a été de nombreuses fois confrontée à cette méfiance, suite à une poussée de la maladie, en 2018, qui a aggravé son cas. Son psoriasis est alors surtout localisé au niveau des pieds et des mains, et extrêmement douloureux. "Mes dessous de pieds étaient lacérés, mes mains aussi. Je ne pouvais pas baisser mon pantalon pour aller aux toilettes sans pleurer, mes doigts étaient entamés, c’est comme si on m’avait lacéré tous les doigts à coups de lame de rasoir. J’avais la peau extrêmement sensible, à ne pas pouvoir couper ma viande..."

Au quotidien, Joëlle a dû composer avec le regard des autres, qui a accru son mal-être et son manque de confiance en elle. La sexagénaire se remémore une anecdote en particulier : "J’essayais des chaussures à talons compensés. La vendeuse s’assoit à côté de moi, elle regarde mes pieds et me dit ‘Tu pourrais quand même te soigner les pieds.' Je lui ai expliqué que j'avais du psoriasis, que ce n'était pas contagieux, mais je me suis quand même sentie obligée d’acheter les chaussures, j’avais honte de moi." Ses interactions sociales sont perturbées : "J’étais gênée, quand on me rendait la monnaie, de tendre mes mains, j’avais des plaies ouvertes. Je ne mettais plus de chaussures ouvertes, l’été j’étais en baskets. Vous n’avez pas forcément envie d’expliquer, les gens ont peur que ce soit contagieux, donc vous ne vous faites plus faire de pédicure, ni vos ongles… Cet été, je me suis fait faire les ongles des pieds, c’était une victoire pour moi."

En société, Joëlle adopte des stratégies pour cacher son psoriasis : "Je parle beaucoup avec mes mains, quand j'étais invitée à une soirée, j’apprenais à les coincer sous mes jambes. Parce que les gens regardent, vous êtes tout le temps en train de vous justifier. Ils ont peur de la contamination, ça peut engendrer du dégoût."

"J'avais une vie sexuelle quasi inexistante"

Heureusement pour Joëlle, son compagnon est très "aimant" et l'aide dans cette difficile épreuve. "J’ai eu de la chance, il me massait les pieds tous les jours, pendant que je pleurais de douleur, il me disait 'Mais non, ce n'est pas grave ma chérie'."

Lucie, 31 ans, qui souffre de psoriasis en gouttes depuis l'âge de six mois, a aussi été chanceuse en ce qui concerne ses relations amoureuses et sexuelles. "Je ne pense pas que ça a été un frein, en tout cas je ne l'ai jamais vraiment senti. J'ai eu plusieurs relations longues, ça m'est déjà arrivé d'en discuter. En général, les garçons se posent des questions et me demandent ce qu'il en est. Plus jeune, on est plus maladroits. Je me souviens d'un petit ami qui m'avait dit 'Oui, ça fait un peu bizarre.' Après certes, quand on touche la peau de quelqu'un, qu'elle n'est pas lisse... On a tous des différences mais la mienne, elle est visible. Après oui, peut-être qu'il y a des hommes qui ne me trouvent pas jolie parce que j'ai des taches sur tout le corps, ça leur appartient."

Si certains conjoints peuvent être compréhensifs, il est difficile de ne pas complexer soi-même, ce qui peut avoir des conséquences sur l'intimité d'un couple. "Je n'ose toujours pas me mettre nue devant mon compagnon et pourtant j'en ai beaucoup moins qu'avant", se désole Sylvianne.

Magali, 33 ans, qui vit depuis dix ans avec le psoriasis, a elle aussi éprouvé des difficultés à s'apprécier elle-même, ce qui a eu des répercussions sur sa vie sexuelle. "Plus j'étais mal dans mon amour-propre face à ce corps plein de croûtes qui me dégoûtait, plus je me grattais et plus j'en avais, un vrai cercle vicieux. Les taches m'ont empêchées d'être épanouie pleinement en tant que femme, mère et conjointe. Être coquette et rester féminine, c'était compliqué. Je suis très souvent en pantalon, t-shirt manches longues parce qu'il me reste des taches pas très glamour. Je mets des robes longue l'été, un collant opaque pour porter du court l'hiver. Pendant longtemps, j’ai fait un blocage la dessus. Je ne dévoile mon corps que très peu souvent, j'avais une vie sexuelle quasi inexistante, pourtant j'étais couple. Mon corps me dégoutait, je pense que pour mon conjoint à l'époque, c'était le cas également."

41% des patients ont déjà connu un dysfonctionnement sexuel

Le psoriasis a de réelles conséquences sur la sexualité de ceux qui en sont atteints, comme l'a révélé une étude menée par l'Association France Psoriasis, publiée en 2021. Ainsi, 41% des patients ont déjà connu un dysfonctionnement sexuel lié à leur psoriasis, les femmes étant plus frappées que les hommes. "Un psoriasis affichant augmente cette différence entre les hommes et les femmes, les premiers ayant plus tendance à passer outre ce côté gênant. Pour une jeune femme, au contraire, c’est toute la féminité qui est entachée", explique la sociologue Gaëlle Le Fur, interrogée par l'association.

Aussi, 28,1 % des personnes interrogées reconnaissent avoir réduit la fréquence de leur activité sexuelle. Les causes sont autant physiques que psychologiques, et les conséquences multiples, en particulier la perte de confiance en soi, la frustration ou l'isolement. "Si une relation commence à s’établir et que le psoriasis n’est pas visible, la personne se demande toujours à quel moment elle doit prévenir son partenaire", indique Bénédicte Charles, Vice-Présidente de France Psoriasis.

"Pendant longtemps, les médecins ont pensé que les troubles sexuels étaient l’apanage des personnes qui avaient un psoriasis génital. Nous savons aujourd’hui, et l’enquête le confirme, que d'autres patients ayant des lésions sur le corps ont des difficultés", explique le Dr Bruno Halioua, cité par l’association. La sexualité reste un tabou chez les patients : 81% d'entre eux n'ont en effet jamais eu de conversation avec leur médecin au sujet de leur dysfonctionnement sexuel.

La prise en charge des patients, qui souffrent d'une maladie incurable aux origines assez floues, nécessite donc d'être accentuée, tant au niveau psychologique que médical, pour lutter contre l'isolement et la honte, et les aider à s'accepter enfin.

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