Grosse poitrine et harcèlement : "Les gens touchent mes seins dans la rue comme si ma poitrine faisait partie du domaine public"
Les fortes poitrines ont toujours représenté un fantasme, à la fois l'incarnation de la maternité et celle de la sensualité. Pourtant, avoir des gros seins est souvent loin d'être une bénédiction pour les personnes qui les subissent. Au contraire, ils peuvent même représenter une véritable source de discrimination qui s'inscrit à bien des niveaux.
"Si j'étais toi, je me ferais faire une réduction mammaire." Cette phrase, Caroline* avait 16 ans la première fois qu'elle l'a entendue. Aujourd'hui âgée de 35 ans, elle a arrêté de compter. "Mes seins ont commencé à se développer à l'âge de 10 ans. A 11 ans, j'ai investi dans mon premier soutien-gorge, et à 14 ans, je faisais déjà du 95 D. J'ai toujours été une gamine un peu potelée, et ma poitrine m'a toujours fait sortir du lot. Souvent pour le pire, jamais pour le meilleur."
Comme bon nombre de femmes, Caroline subit régulièrement des réflexions au sujet de ses seins, le plus souvent de la part d'inconnus, mais aussi de la part de son entourage, personnel comme professionnel. Et depuis quelques mois, elle a trouvé du réconfort sur TikTok, notamment grâce à des comptes comme celui de Justine, alias Justinaccessible. Cette dernière a décidé de décomplexer les personnes dotées de gros bonnets.
Des réflexions qui commencent dès l'enfance
Récemment interviewée par Konbini, Justine déplore "toutes les réflexions déplacées auxquelles on est sujettes quand on a une forte poitrine." Des réflexions qui ont commencé dès l'enfance pour Caroline, mais aussi pour Juliette*, 23 ans. "Ma puberté est arrivée tôt. J'ai eu mes premières règles à 9 ans, et de la poitrine dès la primaire. La sexualisation a donc commencé très tôt." De la part de ses camarades de classe, qui s'amusaient à jouer avec ses bretelles de soutien-gorge. Mais aussi de la part d'hommes adultes : "Ils s'amusaient à faire des estimations de la future taille de ma poitrine, à l'âge adulte."
Sexualiser une enfant est une attitude de pédophile, n'ayons pas peur des mots. Pourtant, il n'est pas rare de voir des hommes faire ce genre de chose. Sur les réseaux sociaux, de nombreuses personnes ont évoqué l'âge de leur première expérience du harcèlement sexuel, généralement autour de 12 ans. Juliette fait partie de ces victimes de commentaires déplacés... De la part de sa propre famille. "Mon père et mon grand-père m'ont expliqué que maintenant, j'étais désirable pour les hommes, et que ce n'était pas bien. Qu'il fallait que je fasse attention. Mon grand-père commentait la "pousse" de ma poitrine, et me disait souvent de mettre mes atouts en valeur. J'avais 9 ans !"
Très jeune, la fillette a donc été complexée par sa poitrine, et l'adolescence n'a pas aidé. "J'ai beaucoup souffert des regards insistants des hommes. Dans les transports, des adultes faisaient semblant de me bousculer pour pouvoir toucher ou pincer ma poitrine. Devant le collège, je me rappelle d'un homme âgé, qui est venu me dire que mon corps était idéal pour le porno." Des commentaires traumatisants qui ont compliqué les choses en matière d'acceptation de soi.
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"Ma mère m'a appris à avoir honte de mes seins"
Juliette n'est pas la seule à avoir eu droit à des commentaires de la part de ses parents. Dans le cas de Mélissa*, ils ont été proférés par sa mère. "Le regard des autres sur ma forte poitrine me gâche la vie depuis l'enfance. Ma mère m'a toujours appris à cacher mes formes, me disant que c'était vulgaire et pas esthétique. Du coup, j'ai grandi en ayant honte. Je ne portais que des hauts ras-le-cou, et trop grands pour moi."
Aujourd'hui, la jeune femme âgée de 31 ans en a conscience, l'attitude de sa mère s'inscrivait dans une forme de misogynie intériorisée. "Elle m'a appris à toujours me faire toute petite, ne jamais parler trop fort, ne pas dire ce que je pensais. Et c’était pareil pour mon corps. Il ne fallait pas qu’on voie que j’ai une forte poitrine car elle ne voulait pas que je me fasse remarquer. C’était à moi de ne pas "déranger" le regard des autres. Quand je voulais mettre quelque chose de moulant elle me disait que ça ne m’allait pas, que c’était vulgaire. Elle me rabaissait "gentiment"." Une attitude dont la trentenaire ne lui tient pas rigueur : "Je pense qu'au fond, elle voulait me protéger du regard et du jugement des autres. Mais ça m'a créé beaucoup de complexes et d'anxiété."
Des gestes déplacés, sans jamais être à l'abri
Encaisser des réflexions au quotidien ou presque, ce n'est déjà pas facile. Mais souvent, les personnes dotées d'une forte poitrine subissent également des gestes déplacés. "J'ai l'impression que ma poitrine fait partie du domaine public", regrette Caroline. "Même des femmes se permettent de me toucher pour me dire à quel point mes seins sont énormes, et ce même dans la rue !". Sabrina, 40 ans, ne cache pas sa sidération face à ce type de comportement : "Dans la rue, dans des bars... J'ai l'impression de n'être à l'abri nulle part. Des inconnus mettent leur main dans mon décolleté en soirée, m'attrapent la poitrine à pleine main dans le métro. Et toujours la même réaction quand je proteste : les hommes rigolent et trouvent que "ça ne mérite pas tout ce battage.".
Pourtant, il s'agit ni plus ni moins d'une agression sexuelle. Pour rappel, les articles 222-27 à 222-30 du Code pénal exposent que les agressions sexuelles autres que les viols sont des délits. L'agression sexuelle est un acte à caractère sexuel sans pénétration commis sur une personne par violence, contrainte, menace, ou surprise. On évoque de la sorte les caresses ou les attouchements à caractère sexuel. Marie*, elle, a subi des gestes déplacés de la part de collègues de travail : "Un mec de mon étage s'amusait à baisser la température pour faire pointer mes seins à travers ma chemise. Il passait derrière moi pour dégrafer mon soutien-gorge. Mais quand je me suis plainte aux ressources humaines, on m'a dit que je n'avais qu'à m'habiller de manière moins aguicheuse. Le problème, c'est que quand on a une forte poitrine, toutes les tenues semblent aguicheuses, même un col roulé !"
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La réduction mammaire parfois vue comme la seule solution
Face à ces discriminations, Marie a envisagé de passer par la case réduction mammaire. "Je travaille dans la finance, un milieu très masculin. J'avais peur que mes formes m'empêchent d'aller de l'avant, mais j'ai décidé d'envoyer tous les emmerdeurs se faire foutre. J'ai monté ma propre agence de conseils financiers, et décidé de former une équipe 100% féminine, histoire de ne plus prendre de risques. C'est ma plus grande fierté."
Julie, elle, a fini par craquer. "À 22 ans, j'ai subi une opération pour passer d'un 85G à un 90C. J'avais envie de buter tous les mecs qui me reluquaient comme une pièce de viande, et toutes les femmes jalouses qui me jetaient des regards noirs." Une opération longuement réfléchie, puisque même les pertes de poids n'avaient pas eu d'impact sur son tour de poitrine : "À 20 ans j'ai perdu 8kg en dix jours en déclarant une mononucléose mais ma poitrine est restée la même. Quand j'ai repris un peu de poids, c'est d'abord dans la poitrine que j'ai pris et je suis passée à un bonnet G. C'était compliqué pour s'habiller, déjà, car un soutien-gorge joli à cette taille, tu ne le trouves pas chez Etam et mon budget d'étudiante n'était pas illimité. C'était compliqué pour les fringues d'une manière générale, je n'ai par exemple jamais pu rentrer dans un chemisier à cette époque et soit j'étais avec des décolletés jugés trop imposants, soit ma silhouette prenait 30kg quand je voulais "masquer" cette partie de mon corps. Ça a créé un vrai problème dans la vision que j'avais de moi-même."
Deux ans plus tard, elle passe sur le billard : "J'ai décidé de passer le pas peu avant mes 22 ans et je sais que j'aurais à le refaire si j'ai des enfants, mais je retournerai me faire opérer sans hésiter car, même si aujourd'hui j'ai repris de la poitrine, j'accepte bien mieux ma silhouette." Difficile de se dire qu'il faut parfois en arriver là à cause du regard des autres.
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