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Pourquoi est-on hanté par le spectre de la femme qui trompe ?

Pourquoi est-on hanté par le spectre de la femme qui trompe ?  Crédit : Getty
Pourquoi est-on hanté par le spectre de la femme qui trompe ? (Crédit : Getty)

L’heure est à la libération des mentalités. Le corset patriarcal qui entoure les rapports hommes-femmes commence à se distendre discrètement. En Europe, les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à s’adonner à des ONS (One night stand, ndlr). Des tabous persistants demeurent et parmi ceux-ci, l’infidélité féminine. Pourquoi le spectre de la femme qui trompe hante-t-il tant les consciences ?

Claire est assise autour d’une petite table rouge vermillon en laiton, cachée entre deux balustres boisées d’un célèbre café parisien. La trentenaire semble agitée, avec cette impression de regretter ce qui va suivre. Ce que Claire s’apprête à révéler ne tient pas du secret d’État. Pendant de nombreux mois, elle a trompé son mari. Une "banale" histoire d’adultère. Il y a 10 ans, la jeune cadre tombe amoureuse. Elle en est sûre, c’est lui. Lui, l’homme de sa vie, le père de ses enfants à venir. Ses oracles du bonheur sont remplis. Le couple s’installe dans une vie ronronnante. Ce ne sont pas les manques d’excès qui poussent Claire dans les bras des autres hommes. Ce sont les manques d’éclats. Dans cette petite vie cousue de fil blanc, la trentenaire s’ennuie ferme. Cet ennui prenait la forme d’une lassitude générale. "Avant, j’étais hyper coquette. Je pouvais passer des heures sur les e-shops de lingerie. Plus j’avançais dans mon mariage, plus je désertais ce genre de site."

La suite, on la devine facilement tant elle ressemble à ces comédies racontant, avec plus ou moins de talent, le déclin du couple. Un mari plus occupé à ses affaires personnelles qu’aux besoins du couple, des rapports sexuels épisodiques. "C’est horrible ce que je vais dire, mais moins que le sentiment que j’ai ressenti : celui de devoir remplir mon devoir conjugal."

La première fois que Claire trompe son mari, c’est avec un collègue, après la soirée de Noël de son entreprise. "Après le troisième Gin Tonic, je réponds à ses regards insistants. Je me montre davantage tactile. À la fin de la soirée, je lui propose même de le raccompagner chez lui. Pour moi, ça voulait tout dire."

La culpabilité la ronge mais le plaisir la foudroie. Quelques mois plus tard, le désir de transgresser occupe toutes ses pensées. "Je m’inscris sur Tinder avec un profil plus ou moins masqué mais je suis transparente. J’annonce être mariée et cherche juste donc du bon temps." Elle ne s’attendait pas à "matcher autant". "C’est un peu le début d’une nouvelle vie pour moi. Calme le matin, fougueuse l’après-midi", s’amuse-t-elle. La trentenaire enchaîne les 5-7 "grâce au télétravail", nous explique-t-elle. Progressivement, le sentiment de culpabilité s’estompe. Dans sa tête, tout est clair : sa vie parallèle est le socle solide de sa vie conjugale. Claire pense même que son mari est au courant de ses liaisons extra-conjugales. "Il s’est étonné un jour que je prenne ma douche avant son retour du travail. Il m’a dit : "C’est ton nouveau mode de vie ?"."

Une infidélité féminine en hausse

Pour les besoins de cet article, nous avons cherché des témoignages de femmes qui ont donné des coups de canif dans le contrat. Une pratique à la hausse. Du moins, c’est l’interprétation toute relative des chiffres du dernier sondage IFOP sur la question. D’après cette étude Ifop pour Gleeden.com (réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 11 au 15 avril 2019 auprès d’un échantillon de 5 026 femmes, représentatif de la population féminine âgée de 18 ans et plus résidant en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni), il semblerait que les femmes seraient de plus en plus infidèles à leur partenaire en France depuis les années 1970, 10 % en 1970, 37 % en 2019. Les femmes sont-elles réellement plus nombreuses à s’autoriser des relations extra-conjugales ou, à mesure que les mentalités se décloisonnent, rendent-elles compte plus librement de leur vie parallèle ? Évidemment, aucune étude ne peut statuer sur la question.

Le plus intéressant sont les conclusions rendues par l’institut de sondage. Si l’adultère féminin "est en hausse", la façon dont la société le perçoit n’a quant à elle pas évolué. "En France, comme dans les autres pays européens, environ les trois quarts des femmes déclarent que leurs proches sont généralement plus choqués quand c’est la femme qui est infidèle (à 76% à l’échelle européenne, à 77% en France) que quand c’est l’homme qui trompe sa partenaire (24% à l’échelle européenne, 23% en France)", écrit l’Ifop dans le rapport rendu.

Un jugement que Claire a senti au sein même de son cercle le plus proche.

Vidéo. Amal Tahir : "Arrêtons de penser qu'une femme qui trompe, c'est plus dangereux"

"J’ai senti l’opprobre dans le regard de mon amie"

"Un jour, alors que je déjeunais avec une amie proche, je reçois le message d’un amant, se rappelle-t-elle. Sur mon téléphone, j’ai pris le soin de ne pas mettre leur prénom. Je m’amuse à les féminiser. Ainsi, Pierre devient Pierrine. Le problème c’est que ce jour-là, Pierrine m’a envoyée : "Envie de te bouffer le c*l"." Une déclaration qui n’échappe pas à son amie. "Je lui ai dit. Tout dit. J’ai senti l’opprobre dans son regard."

L’adultère féminin reste le grand reliquat de notre société patriarcale : admis voire même toléré chez les hommes, il est lourdement vitupéré chez les femmes. Mais alors, pourquoi ?

Car, si l’infidélité féminine accroît, celle des hommes ne baisse pas. Elle a même augmenté. En France, 45% des hommes sont infidèles. C’est 8 points de plus que lors des précédentes enquêtes de l’Ifop.

Si l’on s’en réfère aux interprétations issues du rapport, on y lit : "La persistance de ce clivage entre les deux sexes est avant tout le produit d’une socialisation sexuelle très genrée au travers de laquelle la plus grande "romantisation" de la sexualité féminine empêche les femmes de dissocier aussi facilement que les hommes sexualité, affectivité et conjugalité".

Cécilia Como, psychanalyste, psychologue et thérapeute de couple, a écrit le livre "Le Couple parfait n’existe pas. Éloge de l’imperfection amoureuse" (éd. Flammarion). Dans cet ouvrage, elle consacre un chapitre à l’infidélité en s'attaquant au caractère sacré de la fidélité féminine et aux foudres morales qui s’abattent sur celles qui transgressent.

"Cela remonte à très longtemps, à la nuit des temps sûrement. La première raison, assez pragmatique, parle d’arbre généalogique, de descendance et de lignage. En l’absence de test ADN de paternité (1984), il n’a jamais été formellement possible d’attribuer un enfant à un père. On voit très vite les problèmes que cela a pu engendrer : à qui léguait-on ses terres, ses biens ? À qui transmettait-on ses valeurs ? À son enfant légitime ou à l’enfant d’un autre ?"

Cécilia Como explique que cette censure patriarcale a été internalisée par les femmes elles-mêmes.

"Devant ce casse-tête impossible à résoudre (quand un fils ou une fille ressemble en tout point à sa mère, comment prouver la paternité légitime en dehors de la parole donnée par la mère ?), il est sûrement devenu évident que le seul moyen de se prémunir d’un éventuel "intrus(e)" était de diaboliser l’infidélité féminine, afin que les femmes, d’elles-mêmes, ne s’aventurent pas à l’extérieur de leur couple. Et il ne faudrait pas oublier que les femmes ont souvent été les premières à véhiculer cette idée de "gravité" auprès de leurs filles et de leurs belles-filles."

Le fantôme diffus et généralisé de la femme qui trompe est donc un legs de nos croyances religieuses. S'il fait peur, c’est parce qu’il vient questionner l’image de la femme souvent résumée voire réduite à celle de mère. Pire encore, "la femme qui trompe" pourrait venir battre en brèche la croyance de la femme, un être purement sentimental.

Preuve en sont les nombreux raccourcis opérés lorsque la femme trompe son conjoint. Favien, un jeune homme sondé sur Instagram, estime qu’"une femme qui trompe, c’est souvent lié à un manque d’épanouissement dans son couple. Un homme absent (présent physiquement mais n’est pas force de proposition), lassitude, libido absente ou besoin de plaire si elle est délaissée."

Une autre question surgit : une femme ressent-elle le besoin de plaire que si elle se sent délaissée ? Évidemment, la réponse est non.

La femme excitée, à savoir la femme émoustillée

Autre épouvantail : la femme séductrice. Si l’on s’en réfère à la définition du Larousse, une personne séductrice est une personne "qui séduit, attire d'une façon irrésistible". Si l’adjectif accolé au genre masculin est plus courant et donc plus internalisé, il est subitement plus effrayant lorsqu’il sert à désigner le comportement d’une femme.

"On a une certaine difficulté à concevoir qu’une femme peut avoir envie d’expérimenter une relation charnelle pour la seule raison qu’elle est excitée (on utilise d’ailleurs un autre terme pour les femmes, ont les dit "émoustillées" ce qui masque la dimension sexuelle à nouveau). Une femme désirante, une femme sexuelle, c’est un déséquilibre dans l’ordre des choses. Les religions ont totalement censuré le désir féminin pour lui préférer les sentiments, beaucoup plus sages. C’est aussi une vision de la femme-mère, supposée privilégier l’affection et les sentiments au sexe et au désir érotique. Cela tend à rassurer : si la femme est sentimentale, elle sera moins à même de se lancer dans une escapade de courte durée à but sexuel."

À travers cette analyse, on en déduit qu’il est plus rassurant de penser que la femme ne trompe que lorsqu’elle a n’a plus de sentiment, au risque de déstabiliser l’image sacro-sainte de la mère. L’éternel opposition entre la maman et la putain. Jean Eustache si tu nous lis de là où tu es...

"C’est aussi un raccourci qui s’appuie sur la psychologie érotique des femmes. Certes, elles favorisent la séduction plus élaborée (voir un homme topless ne sera pas suffisant !) mais cela ne signifie pas qu’elles sont toujours sentimentales. Elles peuvent aussi vouloir un moment sexuel avec un homme juste parce qu’elle le trouve beau et attractif."

Vidéo. Rita Perse : "L'infidélité féminine est plus courant qu'on ne l'imagine. On en parle moins car c'est mal vu"

"Je l'aime, c'est une chose"

Sur Yahoo Life, Lucile Bellan tient une rubrique consacrée aux témoignages de femmes infidèles. La journaliste confie recevoir une dizaine de témoignages par jour, dont certains très laconiques : "Moi aussi je trompe". Lucile Bellan explique : "J'ai l'impression qu'il y a un vrai besoin de ne pas être la seule à qui ça arrive, que ces femmes ont besoin d'être représentées pour ne pas ressentir autant de culpabilité que celle dont elles souffrent au quotidien. Je lis souvent beaucoup de souffrance et un besoin de se justifier. Certaines aiment le sexe et sont fières mais la majorité souffre et doute". Une souffrance directement liée à la diabolisation qui en est faite : "De ne pas être les femmes qu'on attend qu'elles soient, de ne pas correspondre au schéma établi. La femme infidèle dans la littérature et la culture populaire c'est un succube, une femme qui brise des ménages, un monstre.

Parmi les témoignages les plus intrigants recueillis par Lucile Bellan, il y a celui d’Emma. La jeune femme de 28 ans tire un pouvoir de son infidélité.

"Je l’aime, ça, c’est une chose, mais je ne supporte pas d’être tout à fait dépendante de quelqu’un. Continuer à voir d’autres hommes à côté, ça me permet de me sentir forte et indépendante. Comme si je pouvais le quitter à tout moment, comme si j’avais toujours une porte de sortie. Ce n’est pas tout à fait vrai et je serais dévastée si c’était fini entre nous, mais les gars à côté me permettent d’être en confiance. Ce n’est pas lui qui a tout le pouvoir sur moi, j’en ai autant de mon côté."

Envisager l’adultère sous le prisme de l’empowerment chez certaines femmes peut être un acte militant. "Mon sexe ne m’assigne pas à la position dévolue par la société."

Les autres récits traduisent souvent le désir de réveiller une dimension érotique qui s’est érodée dans leur couple. À l’instar de Claire, rares sont celles qui mènent une double vie par amour pour leur(s) amant.e.s. Ces femmes sont nombreuses à tromper juste pour le plaisir du sexe. Et ce, tout en ayant conscience de n’aimer qu’une seule et même personne : leur conjoint. Raphaelle, 31 ans, est en couple depuis deux ans avec "un mec posé, rassurant". Elle l’affirme : "Avec lui, j’ai envie de construire quelque chose sur le long terme". La jeune femme trompe son compagnon car elle n’est pas satisfaite de sa vie sexuelle. "Il ne bande pas toujours. Il refuse d’y voir un problème. Pour lui, je suis trop portée sur la chose. Alors depuis quelques mois, je retrouve un voisin de l’immeuble dans le parking pour du sexe." Se séparer ? Raphaelle n’en voit pas l’intérêt : "Je l’aime. Je veux que ce soit le père de mes enfants. Pour moi, le sexe, ça n’a aussi pas plus de valeur que ça".

Des témoignages qui abondent dans l’analyse de Cécilia Como, déjà évoqué plus haut : "Cela ne signifie pas qu’elles ne se sentent pas épanouies dans leur couple. Simplement, qu’elles cherchent à laisser de côté leurs casquettes de mère, d’épouse, de fille". La psychothérapeute constate que pour certaines de ses patientes, retirer la casquette "d’épouse-mère" est une "bulle d’oxygène" : "Une bulle où on s’autorise à être quelqu’un qui n’a rien à donner aux autres (mari, conjoint, enfants) mais a tout à prendre (plaisir, émotion, excitation). C’est un endroit où le jugement de l’autre n’existe pas. Il n’y a aucun enjeu mis à part celui d’être satisfaite."

En approfondissant son analyse, Cécilia Como traduit le mal-être derrière le comportement : "Quand on ressent cela, cela signifie que l’on ne s’autorise pas à être soi-même dans la relation officielle. Soit qu’on est gêné, qu’on a honte, que l’on pense que c’est non approprié. Cela dit de nous qu’on a laissé sous silence une part de nous-même qui ne trouve pas d’espace dans le couple pour s’exprimer. Un espace que l’on trouvera alors à l’extérieur du couple."

Cette union que l’on met à l’épreuve, que l’on interroge, est-elle vouée à l’échec ? La réalité s’éloigne une fois de plus des lieux communs sur l’infidélité. "La vérité est que beaucoup de couples essaient de pardonner. On ne quitte pas systématiquement quelqu’un parce qu’il nous a trompé. Seul un tiers des couples divorcent pour infidélité et rien dans ces chiffres ne nous indique si c’était à la suite d’une seule infidélité ou de plusieurs", souligne l'experte.

Pourquoi la femme infidèle fait-elle peur ?

Il n’est pas rare que la femme qui trompe se voit affubler de tous les échecs du monde. On lui arroge, à tort, l’épouvantail du déclin de l’amour au sein de la société. Cela existe depuis l'avènement des religions monothéistes "où le monde se crée sur une femme, Ève, qui par sa curiosité fera "chuter" l’humanité dans le péché. Encore une fois, la femme qui "cherche" ailleurs se retrouve responsable de grands malheurs", pointe Cécilia Como.

Une peur qui subsiste malgré les nombreuses théories sur l’individualisme grandissant au sein du couple et les grands préceptes du développement personnel : "Aime-toi d’abord".

"Notre monde s’est ainsi construit sur une femme fidèle qui se satisfait de ce qu’elle a. Charge à elle de "limiter" les désirs masculins, de les repousser : sur ses épaules, et ses épaules seules, reposent les notions de loyauté et de fidélité conjugale. Faillir à une telle responsabilité, ne peut être que considéré comme grave."

Ce qui est grave, pour Cécilia Como, c'est de faire le relais de cette pensée aux relents sexistes.

"Ce qui pourrait étonner, c’est que nous véhiculons encore cette croyance… Preuve en est, que les grands archétypes prennent beaucoup, beaucoup de temps à être réévalués et décortiqués. Hommes et femmes les transportent et les transmettent encore. Jusqu’à quand ? Nul ne le sait vraiment."

Claire me quitte sur quelques mots, tout en s’assurant pour la troisième fois de la totale confidentialité de son témoignage. S’imagine-t-elle tromper son mari encore longtemps ? Elle est incapable de répondre à cette question. En sortant du café, une autre interrogation survient : "Cette question mérite-t-elle d'être résolue ?".

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