Terrorisme du sperme : "Dans le métro, il a attendu que je me retourne pour éjaculer sur moi"

Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de femmes dénoncent un phénomène aussi abject qu’écœurant. Des individus mal intentionnés semblent prendre du plaisir à éjaculer sur des inconnues dans les transports en commun ou dans la rue, ou encore à leur faire ingérer leur semence sans qu'elles ne soient au courant. Ce phénomène a un nom : le terrorisme du sperme. Et après avoir fait des ravages en Corée du Sud et aux Etats-Unis, c'est en France que les cas se multiplient.

8h45. Une jeune femme prend le métro, comme tous les matins, pour se rendre sur son lieu de travail. Dans la rame bondée, elle sent qu'un homme la colle, et essaye tant bien que mal de s'éloigner de ce qu'elle prend pour un frotteur du métro. Soulagée, elle arrive à sa station, descend du wagon, et tâtonne la poche arrière de son jean pour vérifier que son pass Navigo est toujours là. Sa main entre alors en contact avec une substance visqueuse, qu'elle reconnaît rapidement : c'est du sperme. Un homme a éjaculé sur elle dans le métro.

Cette histoire, vous la connaissez peut-être si vous avez regardé la série Sex Education sur Netflix. C'est celle du personnage d'Aimee Gibss, interprété par Aimee Lou Wood. Mais c'est aussi celle de Julie*, la jeune femme mentionnée en introduction de cet article. Ou encore celle des nombreuses personnes qui ont accepté de témoigner dans le cadre de cette enquête, et celle de tous les anonymes qui n'ont pas osé en parler publiquement. Toutes ces personnes ont été victimes d'un même phénomène, très présent en Corée du Sud et aux Etats-Unis, mais aussi en France, à en croire le nombre de témoignages sur les réseaux sociaux : le terrorisme du sperme.

Le terrorisme du sperme, c'est quoi ?

Si le nom de ce phénomène risque de faire hausser les sourcils de certains, c'est bien une véritable terreur que ressentent les femmes coréennes face aux éjaculateurs en série. Ainsi que le relatent nos consœurs de Madmoizelle, les premières à avoir fait écho de cette affaire en France : "Le nombre d’hommes qui éjaculent ou aspergent les femmes de leur sperme a tant augmenté que de nombreux groupes défendant les droits des femmes se battent pour que l’acte soit reconnu par la loi sud-coréenne comme un crime sexuel." Selon le magazine coréen The Women's News, en Corée du Sud, pas moins de 44 plaintes ont été déposées entre début 2019 et juillet 2021. Et les autorités estiment qu'il s'agit uniquement de la partie visible de l'iceberg, puisque la plupart des victimes de ce type d'agression n'osent pas porter plainte.

Le terrorisme du sperme concerne aussi bien les situations où des hommes éjaculent sur des femmes dans la rue, dans un bar, une salle de concert ou dans les transports en commun, que les situations où ils répandent leur semence de manière à la faire ingérer à leur victime. Cela a récemment été le cas, toujours en Corée du Sud : un homme a été condamné à 2 500 dollars d’amende pour avoir éjaculé dans la tasse à café de sa collègue à six reprises. La peine paraît faible, et elle l'est pour une simple raison : en Corée du Sud, éjaculer sur une personne sans son consentement ou lui faire ingérer du sperme n'est pas considéré comme un crime sexuel. Les agresseurs sont donc généralement condamnés pour avoir "endommagé la propriété de leur victime".

Vidéo. "Les frotteurs du métro, ce sont des faits d'agression sexuelle"

Sur Twitter, il suffit de taper les mots "éjaculé" et "métro", "concert" ou "bar" dans la barre de recherche pour trouver des dizaines et des dizaines de témoignages de femmes écoeurées de constater le comportement de ces individus. "Quand j'ai réalisé qu'un mec avait éjaculé sur mon jean, j'ai vomi dans la poubelle du métro", raconte Julie*. "Je crois que je ne me suis jamais autant sentie salie et humiliée. Et le fait de me dire que ce mec a fait ça alors que la rame était bondée... Vraiment, ça me rend malade." Arrivée en larmes au travail, la jeune femme a reçu un soutien mitigé de la part de ses collègues. "Tous ont été d'accord pour dire que c'était dégueulasse. Mais quand j'ai évoqué l'idée d'aller porter plainte, on m'a répondu que ce n'était "pas si grave"." "Ce n'est pas comme si on t'avait violée non plus, un coup d'éponge et c'est réglé", lui affirme son patron. Seulement voilà, Maître Chloé Rezlan, avocate au barreau de Paris, tient à le rappeler : "Éjaculer sur une femme, sur ses affaires ou dans son alimentation, sans consentement, c'est illégal. Il faut porter plainte, parce que plus les femmes porteront plainte, plus les enquêteurs seront en mesure d'identifier les individus auteurs de ces infractions. Il faut savoir que ce genre d'individus a un mode opératoire, ils réitèrent souvent leurs actes."

Toujours le même problème d'accueil au commissariat

Porter plainte, oui, mais encore faut-il être entendue. Mélissa*, victime d'un éjaculateur en boîte de nuit, a dû faire trois commissariats avant de tomber sur un policier qui accepte – avec réticence – de prendre sa plainte. "Il m'a demandé 10 fois si j'étais sûre que c'était du sperme et pas autre chose, alors que j'avais apporté ma robe, dans l'espoir qu'ils fassent des prélèvements. Qu'on ne retrouverait jamais le mec, qu'il fallait que je passe à autre chose. Il m'a clairement laissé entendre que je faisais perdre leur temps à plein de gens." Pourtant, la jeune femme a bien agi en apportant les preuves, ainsi que le confirme la juriste Karma Duquesne : "En matière d'agression sexuelle, le nerf de la guerre, c'est la preuve. Donc si vous êtes victime d'un jet de sperme, surtout ne lavez pas l'élément qui a été touché, et allez rapidement porter plainte." Elle précise par ailleurs qu'il ne faut pas hésiter à insister face à des policiers réticents : "Les gendarmes ou les policiers ont l'obligation de prendre votre plainte et de la retranscrire. Il faut savoir que cette obligation est affichée dans chaque commissariat et gendarmerie via une charte. En cas de refus de plainte, il existe deux recours : le premier est de passer par le Défenseur des Droits, dont le rôle est de défendre les personnes dont les droits sont bafoués. Vous pouvez aussi effectuer une saisine de l'IGPN (Inspection générale de la Police nationale) ou de l'IGGN (Inspection générale de la Gendarmerie nationale) sur leur site Internet, via un formulaire.

Vidéo. "La notion du consentement est importante"

Un gendarme travaillant dans le nord de la France et souhaitant rester anonyme nous confirme cependant que les plaintes dans ce genre d'affaires sont difficiles à déposer. "Le problème, c'est qu'il y a un vrai manque de formation aux violences sexuelles dans les commissariats et gendarmeries, surtout lorsque l'on s'éloigne de la capitale. Le tout associé à un vrai manque de bienveillance de la part de bien des flics qui refusent ce genre de plainte parce que ça les emmerde, que pour eux ce n'est pas grave qu'une femme se fasse éjaculer dessus, ou parce qu'ils ne veulent pas croire les plaignantes. J'ai déjà entendu un de mes collègues dire qu'il "rembarrait les bonnes femmes" et que si elles n'insistaient pas, c'est parce qu'elles avaient "forcément tout inventé pour faire les intéressantes". Faut pas s'étonner après ça de la défiance du public envers les forces de l'ordre", estime-t-il. En effet, selon une étude menée en 2020, 66% des victimes de violences sexuelles considèrent toujours être mal accueillies au commissariat.

Après la plainte, le parcours du combattant

Olivia* a eu plus de chance que d'autres, et a réussi à porter plainte sans le moindre problème après avoir reçu un jet de sperme sur son manteau dans les transports en commun. "Le mec en question a eu l'audace de me tapoter sur l'épaule pour que je me retourne au moment où il éjaculait. Je pense qu'il voulait voir le regard de sa victime. Manque de pot pour lui, je suis une acharnée, j'ai vu son visage, et je ne compte pas le lâcher." La jeune femme originaire de Lyon a eu le bon réflexe : prendre les numéros de téléphone de plusieurs personnes ayant assisté à la scène et prêtes à témoigner. Ainsi, elle dispose d'un maximum de preuves. Mais malgré tout, les démarches pour faire avancer la procédure restent compliquées.

En effet, si en Corée du Sud, ces éjaculations ne sont pas considérées comme en crime, en France aussi, la situation porte à confusion, ainsi que l'explique Karma Duquesne : "Le problème, c'est qu'en droit pénal, on doit qualifier l'élément moral, et l'élément matériel. Là, l'élément moral est assez simple puisqu'il y a un jet de sperme. En revanche, l'élément matériel, sachant que l'on n'a pas toujours de contact direct avec la victime, un plaideur pourra plaider le fait que ce n'est pas à proprement parler une agression sexuelle, parce que le code pénal est d'interprétation très stricte." "Il n'y a pas d'infraction spécifique dans le code pénal qui va venir sanctionner ce type d'action", confirme Maître Chloé Rezlan, du cabinet Alkemist. "En revanche, on a une multitude d'outils dans le code, qui vont permettre de venir sanctionner ces actes. Le cas le plus classique, c'est celui de l'agression sexuelle, car c'est finalement une atteinte sexuelle, sur une victime, non-consentie, par surprise, par menace ou par violence."

L'avocate confirme par ailleurs que des condamnations ont déjà eu lieu. "On a d'autres outils dans le code pénal, comme par exemple le fait de violence. Il y a par exemple eu la condamnation d' un homme qui avait rempli des seringues de sperme pour le lancer sur ses victimes. Cet homme a été condamné pour violences avec arme, l'arme étant en l'occurrence ici la seringue. Le juge, lorsqu'il ne peut pas rattacher la qualification de l'agression sexuelle car il n'y a pas de contact entre l'agresseur et sa victime, va chercher d'autres qualifications, comme celle de violence par exemple." Autre option : l'outrage sexiste, ainsi que l'explique Karma Duquesne : "Dans l'outrage sexiste, on a les comportements du type comportement sexuel visant à altérer la qualité de vie de l'autre, à la dégrader." Un acte qui pourrait donc correspondre, dans une certaine mesure, au terrorisme du sperme. "Le problème, c'est que c'est sanctionné par une contravention. Et qu'une contravention, ce n'est pas très dissuasif...", regrette la juriste.

De son côté, Olivia* espère que son histoire finira par être portée en justice : "Il faut absolument une jurisprudence qui puisse permettre aux futures victimes de pouvoir porter plainte", martèle-t-elle. Le fait de voir une affaire similaire à la sienne dans la série Sex Education lui a d'ailleurs fait beaucoup de bien : "Non seulement ça a mis le phénomène en lumière, mais en plus, la série a très bien traité ça en rappelant au personnage d'Aimee qu'elle n'était en aucun cas à blâmer dans cette affaire, même si elle est souriante envers des inconnus. Peut-être que si on rappelait un peu plus souvent aux victimes que ce n'est pas leur faute si elles se font agresser, plutôt que de remettre leur parole en cause, il y aurait plus de plaintes, et donc moins d'impunité pour les agresseurs."

* Dans un souci d'anonymat, les prénoms ont été modifiés.

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