"Je compare tout le monde à mon ex" : l’enfer des applis de rencontre après des années en couple

"Je compare tout le monde à mon ex" : l’enfer des applis de rencontre après des années en couple

Après une longue relation amoureuse, certain.e.s se tournent vers les applis de rencontre, par envie de rebooster son ego, désir de rencontrer de nouvelles personnes ou simplement par curiosité. Mais il n’est pas toujours facile de se retrouver dans un tel environnement, bourré de codes, lorsque l’on a passé plusieurs années en couple. Témoignages.

Mercredi 19 janvier 2022, en deuxième partie de soirée, France 2 a diffusé un documentaire tiré d’une enquête de la journaliste Judith Portail sur la plus célèbre des applications de rencontre : Tinder. Dans "L’amour sous algorithme", les rouages de l’appli sont explorés. L’occasion de découvrir des codes bien établis, comme ce fameux "score de désirabilité" ou "Elo Score", qui vise à noter les utilisateurs. Si les applis de rencontre peuvent apporter leur lot de bonnes surprises, elles peuvent aussi être tout à fait déroutantes pour celles et ceux qui n’y connaissent pas grand-chose, plus habitué.e.s aux rencontres dans la vraie vie et aux relations longues loin de la drague 2.0. Difficile alors de s’y faire une place.

Vidéo. "L'amour sous algorithme" : les secrets de Tinder

"Je fuis tout ce qui se rapproche de mon ex"

À bientôt 28 ans, Alexandre s’estimait jusqu’alors chanceux : "Je n’ai jamais eu à draguer de femmes avant. À chaque fois que j’ai été en couple, ça m’est presque tombé dessus." Après quatre ans casé et une rupture "très douloureuse", il finit par s’inscrire sur Tinder, mais pas vraiment par envie : "Au-delà de la douleur de ma rupture, je ne voulais pas me ‘remettre en selle’. Je me sentais rouillé, sans envie." S’il a décidé de sauter le pas de la rencontre 2.0, c’est surtout "sous l’impulsion" de son entourage : "Il y a cette pression sociale : il faut que tu sois en couple. Si tu ne l'es pas, les gens vont te cataloguer comme quelqu’un de malheureux. Au début Tinder c’était juste de l’apparence, pour dire ‘regardez, j’essaye au moins’ ! J’ai l’impression que quand tu es un mec, soit tu enchaînes les conquêtes, soit tu es en couple. Tu ne peux pas être seul trop longtemps, sinon… t’es un looser."

Dès son arrivée sur Tinder, Alexandre déchante : "Je ne sais absolument pas comment m’y prendre, comment engager la discussion, attirer l’attention d’une fille." À cela s’ajoutent ses nombreuses exigences, accumulées après quatre ans de relation sérieuse, et l’inlassable comparaison à l’ex-copine. Les jours passent, les mois s’enchainent sans échanges vraiment concluants. S’il se remet en question, et admet ne pas maîtriser les codes des applis de rencontre, Alexandre dit ressentir un véritable fossé générationnel : "Tinder, c’est une passerelle pour passer sur Instagram et Snapchat. Et ça, selon moi, c’est très marqueur de la ‘nouvelle génération’. Je n’utilise plus du tout Snapchat, mais quand bien même : ça ne me viendrait pas à l’esprit de demander le compte Snap’ de celle que je rencontre. Et c’est pareil pour Instagram. Pour moi, beaucoup de gens sur Tinder veulent se faire de la pub et gagner des abonnés." En deux ans sur Tinder, Alexandre n’a rencontré qu’une seule femme "en vrai". Un constat qu’il explique avec un certain recul : "Le fait d’avoir été en couple longtemps, ça joue dans ma rencontre avec des filles, surtout dans la discussion. Je sais que j’aurais tendance à faire la comparaison, à rechercher tout ce que je n’avais pas dans ma relation précédente, et à fuir tout ce qui pourrait s’en approcher, tout ce qui m’a fait du mal."

Vidéo. Tinder veut que ses utilisateurs apprennent mieux à se connaître

Manon, dresse le même constat. Après neuf ans en couple, de ses 17 à 26 ans, elle plonge dans le grand bain… non sans réticences : "Quand je me suis mise avec mon ex, Tinder n’existait même pas ! J’ai passé 9 ans loin de tout ça." Son choix se porte d’abord sur Fruitz, avant de basculer sur Tinder. "C’était pour me dire que je pouvais rencontrer d’autres gens. Voir qu’il y en a d'autres qui valent le coup." Pleine d’envie donc, Manon se lance. Mais il lui faut tout apprendre : "On se rend compte qu’on n’a pas du tout les mêmes références avec d’autres qui ont l’air plus habitué aux rencontres sur Internet. Par exemple, on m'a souvent réclamé des nudes, comme si c'était tout à fait normal de s'en envoyer sans se connaître."

Après autant d’années avec une personne qui nous connait si bien, les discussions peuvent aussi être déroutantes. Manon l’affirme : "Je débarque, et je me dis : ‘flemme’ ! Il faut tout reprendre : je répète tout le temps les mêmes choses, à tous mes matchs. Il y a ceux qui ne font pas d’efforts qui répondent 4 jours après. Et quand ça va bien, il faut encore que la rencontre derrière se passe bien. J’ai l’impression d’être un bout de viande au rayon charcuterie, de devoir me vendre tout le temps." Manon aussi a connu les comparaisons avec l’ex, "en positif comme en négatif". Si elle a fait plusieurs rencontres grâce aux applis, son constat est teinté d’amertume : "C’est très superficiel parfois, tout se joue sur l’image."

Drague, ghosting et préjugés

Thomas est resté dix ans en couple. À 29 ans, il s’est inscrit pour la première fois sur Tinder. "J’ai d’abord ressenti de l’excitation. Après une relation longue, tout devient possible. L’appli désinhibe énormément" raconte-t-il. Mais très vite, lui aussi est quelque peu dépassé : "Les codes n’ont rien à voir avec ceux de la vraie vie." Finalement, tout est une question de perspective. Et ça, Thomas l’a bien compris. Alors, après quelques jours à swiper, il comprend un peu mieux les rouages de Tinder : "Il faut nécessairement rentrer dans le jeu de l’appli, c’est à dire utiliser les mêmes codes pour être ‘attractif’. En fait, on doit faire son autopromotion, avec de bons mots clés, des photos qui vont bien. On a parfois l’impression d’être un publicitaire à la recherche de la meilleure phrase d’accroche pour que le ‘client’ morde à l’hameçon. Je déteste cette vision des choses mais j’ai l’impression que c’est assez systématique sur ces applis..."

S’il a fini par adopter certains réflexes des applis de rencontre, Thomas n’est pourtant pas convaincu. En quelques mois sur Tinder, il a déjà expérimenté des situations décevantes. Comme le ghosting, une technique qui consiste à mettre fin à une relation avec une personne en interrompant sans avertissement ni explication toute communication. "Dans la vraie vie, quand tu rencontres une personne, ça n’est pas aussi fréquent. Je pense que c’est lié au fait que les applis te poussent à la consommation, ‘swiper plus pour pecho plus’. Par conséquent, les gens n’essaient pas forcément de connaître la personne mais passent vite à autre chose" déplore le jeune homme. Quant au "boost d’ego" que certain.e.s viennent chercher sur les applis de rencontre, Thomas reconnait que c’est un point positif, mais estime qu’il est "ultra passager et complètement inutile sur le long terme."

Vidéo. France Ortelli ("Nos coeurs sauvages") : "On peut se blinder du ghosting en prenant du Doliprane"

Eva, 25 ans, s’est inscrite sur Badoo après avoir passé sept ans en couple : "Ça s’est fait en période Covid, donc compliquée. Je ne savais plus comment rencontrer, draguer. Après sept ans en couple, tu ne sais si tu plais. L’appli me paraissait être le moyen le plus simple, et c’était même rassurant : je ne me sentais pas de draguer en face-à-face." Le premier problème qui se pose pour Eva sur Badoo c’est le choix de photos, puisque toutes celles sur lesquelles elle se "trouve jolie" sont celles où elle apparait… au côté de son ex : "Je me suis rendu compte que je ne me prenais plus vraiment en photo, seule. Et puis je ne savais pas ce que je devais montrer ou pas. Moi-même, j’avais des préjugés."Les premiers pas d’Eva sur Badoo sont compliqués. "Les premières heures, j’ai lutté pour ne pas supprimer l’appli. J’étais un peu dégoutée de moi-même, j’avais honte, et je ne trouvais pas de sens dans ce que je faisais, avoue-t-elle. Je ne me reconnaissais pas. J’avais tellement de préjugés sur ces sites. Quand j’étais en couple, je jugeais ceux qui y étaient."

Beaucoup de préjugés donc, mais aussi des exigences. Pas toujours facile de tourner la page après sept ans en couple : "Au lieu de passer à autre chose grâce à l’appli, je ne faisais que comparer les mecs qui venaient me parler à mon ex. Personne ne me plaisait. Pourtant, la rupture, c’est moi qui l’ai choisie." Eva s’est finalement "prise au jeu" et a même rencontré plusieurs hommes. Mais elle continue de nourrir des idéaux, et a bien du mal avec l’idée de passer par une application pour faire des rencontres : "Pour moi, il n’y a rien de spontané, d’authentique. On se vend sur ces sites." S’ajoutent à cela toutes ces nouvelles règles tacites qui lui étaient jusqu’alors étrangères : "Je suis à côté de la plaque, has been. Les mecs qui me parlent vont droit au but : ils demandent mon compte Snapchat, Instagram, mon numéro… sans entrée en matière. Ils sont souvent très jeunes, pas du tout de ma génération, et ont beaucoup d’assurance ! J’ai l’impression d’avoir raté des épisodes, alors que je ne suis pas si âgée que ça."

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