Élise Lucet évoque les difficultés qu'elle a eues à se sentir légitime : "C'est compliqué de dire 'je suis fière de moi'"

French television journalist Elise Lucet poses during a photo session in Paris on October 13, 2017. / AFP PHOTO / JOEL SAGET        (Photo credit should read JOEL SAGET/AFP via Getty Images)
Élise Lucet évoque les difficultés qu'elle a eues à se sentir légitime : "C'est compliqué de dire 'je suis fière de moi'". (Photo JOEL SAGET/AFP via Getty Images)

Élise Lucet est aux commandes d'"Envoyé Spécial", sur France 2, ce jeudi 23 février à 21h10. La journaliste d'investigation et présentatrice du journal télévisé pendant une dizaine d'années peut se féliciter de sa réussite. Pourtant, elle peine encore, parfois, à être fière de son parcours.

Élise Lucet, figure du service public, ne se rêvait pas du tout journaliste. En tout cas, pas lorsqu'elle avait 13 ans. À cette époque, elle s'imagine volcanologue : "Je trouvais ça super intéressant, parce que c'était à la fois une aventure et de la connaissance", a-t-elle confié dans le podcast "Femmes de Télé".

La future journaliste est tellement fascinée par ce métier qu'elle écrit à Haroun Tazieff, star de ce milieu. "Très gentiment, il m'a répondu. Il m'a dit : 'Écoute ma petite Élise, si tu veux devenir volcanologue, il faut faire une agrégation de maths et une agrégation de physique-chimie'. Ça m'a refroidie sérieusement."

"Je n'avais pas très envie d'apprendre"

Ensuite, ce premier rêve envolé, Élise Lucet traverse une période assez floue quant à son avenir professionnel. "J'ai eu quelques années où j'ai vraiment douté, je ne savais pas trop ce que j'avais envie de faire. Mais j'avais un véritable attrait pour la découverte de la vie des autres, ça m'intéressait énormément. Mes parents nous ont fait beaucoup voyager quand on était enfants ma sœur et moi, je pense que ça a semé la graine de la curiosité, qui n'est pas un vilain défaut, mais une excellente qualité."

La jeune fille ne s'épanouit pas beaucoup dans les études. "Je n'avais pas très envie d'apprendre le monde dans les livres. Ma sœur était très bonne à l'école, elle avait deux ans d'avance, elle était très branchée par le cursus universitaire et moi pas du tout, j'avais envie de voir la vie en vrai et de rencontrer des gens."

Après un baccalauréat scientifique obtenu au rattrapage, et à peine quelques semaines passées à l'université de Caen, Élise Lucet part pour le Canada, où elle commence à intervenir dans des radios étudiantes. "Depuis le Canada anglais où j'ai passé un an, j'avais 18 ans, j'ai écrit une lettre à Radio France et à France 3 en disant que j'aurais bien envie de faire un stage chez eux." Quatre mois environ après cet épisode, de retour en France après un séjour à Londres, elle reçoit un coup de téléphone qui va changer sa vie.

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"Je décroche et là j'entends : 'Bonjour c'est Radio France, on a reçu votre demande de candidature (...) est-ce que vous seriez libre demain ?' J'ai répondu 'oui' sans trop savoir où j'allais ni ce qu'ils allaient me proposer, mais je pressentais qu'il y avait quelque chose qui allait beaucoup m'intéresser. Je ne me sentais pas forcément à ma place (...) mais ça me passionnait tellement que je crois que j'avais toutes les antennes ouvertes pour tout comprendre, tout apprendre le plus rapidement possible."

"J'ai senti que le milieu était très masculin"

Après un passage sur FR3 Caen puis France Inter, elle présente le 19/20 sur FR3 avant d'en prendre la rédaction en chef, en 1997. Elle présente ensuite le journal de 13 heures sur France 2, pendant une dizaine d'années. Aujourd'hui encore, elle produit les émissions "Cash Investigation" et "Envoyé Spécial".

Souvent interrogée sur la parité dans le journalisme, Élise Lucet, 59 ans, a vu se transformer les rédactions. "J'ai senti que le milieu était très masculin, quand j'ai commencé tous mes rédacteurs en chef étaient des hommes. Il n'y avait pas de femmes rédactrices en chef, il y avait des femmes reporters mais pas encore grands reporters. Avec ma génération, les choses ont quand même vraiment commencé à changer. (...) Les hommes autour de nous acceptaient ce changement au fur et à mesure qu'on prenait nos places".

Malgré la féminisation du journalisme, dont elle a été témoin, la productrice a constaté le problème de légitimité que rencontraient les femmes. Problème auquel elle a du faire face, elle aussi : "Je pense que les femmes, elles ont à se battre contre quelque chose, c'est qu'elles ne se sentent pas forcément légitimes. Il y a un boulot à faire et moi d'ailleurs j'ai dû le faire aussi. C'est que, quand à un moment on vous dit 'tu vas prendre la direction de...' les femmes, elles se posent toujours la question de savoir si elles sont légitimes. Les hommes, ils foncent sur le poste, ils se disent 'ouais super génial'. Je ne veux pas faire de globalisation et de sexisme à l'envers, mais c'est quand même globalement comme ça que ça se passe."

"Je regarde toujours vers l'avant"

Et si Élise Lucet est parvenue à se faire une place dans un milieu initialement masculin et a construit une carrière admirable, elle a encore du mal à reconnaître le travail accompli : "Je regarde toujours vers l'avant, c'est compliqué pour moi de regarder vers l'arrière, dans le rétroviseur, et de dire 'je suis fière de moi'. J'ai toujours un, deux, trois projets dans la tête qui sont à développer et je suis plutôt toujours portée vers la suite. Donc c'est complexe."

Dans un entretien accordé à Notre Temps, elle a tout de même reconnu sa réussite à demi-mot : "J’ai eu besoin de temps pour devenir la personne que je suis et exercer mon métier comme je le fais. (...) Je n’aurais jamais pu accomplir tout cela à 25 ans. J’ai toujours beaucoup de mal à dire que je suis fière de moi, mais aujourd’hui, je me sens en accord avec moi-même."

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