Instagram, harcèlement et inaction : "Au point où j'en suis, je ne prends même plus la peine de signaler les messages déplacés"
Le harcèlement en ligne est plus que jamais une réalité, mais les sanctions, elles, se font toujours attendre. Une enquête menée par le Centre de lutte contre la haine numérique pointe du doigt des lacunes de la part d'Instagram dans le traitement des messages privés déplacés. Si le réseau social dément les chiffres avancés par l'enquête, de nombreuses personnes témoignent du manque d'action face aux messages toxiques qu'elles reçoivent, parfois au quotidien.
Comment réagir en cas de message privé déplacé sur Instagram ? Cette question, bon nombre de personnes, des femmes en particulier, se la posent au quotidien. Si la plupart des utilisateurs ont désormais bien compris que les commentaires racistes, sexistes ou homophobes sur des publications seraient rapidement signalés, effacés et sanctionnés, les messages privés sont à l'heure actuelle un outil de choix pour les harceleurs. D'autant que tous les réseaux sociaux peinent encore à prendre de vraies mesures de modération dans ces espaces.
Un manquement d'Instagram pointé du doigt par une enquête
Il y a quelques jours, le Washington Post a publié une enquête réalisée par le Centre de lutte contre la haine numérique aux Etats-Unis. Le collectif s'est pour l'occasion allié à cinq célébrités très influentes, dont la célèbre actrice Amber Heard – actuellement en procès contre son ex Johnny Depp et régulièrement la cible d'attaques en ligne – et a déterminé que dans 9 cas sur 10, le réseau social appartenant à Facebook n'agit pas.
Ce chiffre ne surprendra sans doute pas les personnes qui subissent régulièrement des vagues de harcèlement sur les réseaux sociaux. Féministes et personnes issues de la communauté LGBTQIA+ sont nombreuses à se plaindre très régulièrement du manque de modération sur la plateforme, et du fait de continuer à recevoir des insultes sexistes, racistes, homophobes, biphobes, lesbophobes ou transphobes, ainsi que des photos de pénis non-sollicitées, de manière très régulière.
Vidéo. L'auteur d'une diffusion non-consentie de contenu à caractère sexuel risque jusqu'à 5 ans de prison
Des chiffres démentis par Instagram
Face à ce que le Centre de lutte contre la haine numérique n'hésite pas à qualifier d'"épidémie de harcèlement misogyne" qui transforme les messageries en "repaire de haine", Instagram réfute les conclusions de cette enquête. Cindy Southworth, cheffe de la sécurité des femmes pour Meta (le nouveau nom de l’entreprise Facebook), explique : "Bien que nous soyons en désaccord avec bon nombre des conclusions de l'enquête du Centre de lutte contre la haine numérique, nous sommes d'accord pour dire que le harcèlement subi par les femmes est inacceptable. C'est pourquoi nous n'autorisons pas la haine basée sur le genre, ou toute menace de violences sexuelles, et que nous avons annoncé l'année dernière de fortes mesures de protection pour les figures publiques féminines."
La plateforme précise toutefois : "Les messages reçus par des personnes que l'on ne suit pas arrivent dans une boîte de réception séparée, où vous pouvez soit les bloquer, soit les signaler. Vous pouvez également désactiver la fonction qui permet à des personnes que vous ne suivez pas de vous écrire. Au même titre, les appels de personnes que vous ne connaissez pas ne peuvent passer que si vous avez accepté une demande de message initiale, et nous offrons des filtres pour que vous puissiez ne pas voir les messages abusifs."
Par ailleurs, la porte-parole d'Instagram affirme que ce n'est pas parce que les comptes des harceleurs n'ont pas été désactivés que cela signifie qu'aucune mesure n'a été prise : "Quand nous constatons l'envoi de messages abusifs, nous donnons un premier avertissement à la personne concernée et bloquons sa capacité à envoyer des messages privés pendant une période. Si cette personne recommence, nous prenons alors des mesures qui peuvent aller jusqu'à la suppression du compte." Le tout avant de préciser : "Dans la plupart des cas, nous ne suspendons pas les comptes après une seule violation, car nous voulons laisser aux utilisateurs l'opportunité d'améliorer leur comportement. La seule exception concerne le partage de contenu intime non consensuel. Dans ces cas-là, les comptes sont immédiatement bloqués dès que la violation est constatée."
Des rappels qui énervent les victimes de harcèlement
Naomi* est une féministe qui reçoit régulièrement des menaces et des messages de harcèlement sexiste sur Instagram, et la réponse apportée par la plateforme à l'enquête du Centre de lutte contre la haine numérique l'énerve profondément. "Quand je lis ce qu'ils ont à dire, j'ai l'impression qu'ils rejettent la faute sur les victimes en disant qu'elles pourraient tout simplement ne pas lire les messages, bloquer leur messagerie, ou ne pas répondre à des messages d'inconnus. Sauf qu'il suffit d'avoir ouvert un message anodin répondant à une story pour laisser à cette personne l'accès à sa messagerie, et que les harceleurs le savent très bien. Généralement, ils trouvent un moyen de passer pour des innocents commentateurs, pour ensuite attaquer."
Pour la jeune femme, très engagée dans la lutte contre le harcèlement sexiste sur les réseaux sociaux, "cela revient à dire aux victimes de viol qu'elles n'auraient pas dû mettre une jupe, ou sortir de chez elles la nuit." Et de poursuivre : "D'ailleurs, je trouve cela édifiant que les porte-paroles d'Instagram démentent les résultats de l'enquête sans chercher à avancer de preuves, et qu'ils soient directement sur la défensive."
La lassitude des personnes victimes de harcèlement
Les cas de harcèlement en ligne sont régulièrement dénoncés sur les réseaux sociaux, et aucune plateforme n'agit mieux que les autres à ce niveau. Tina*, femme trans très présente en ligne l'a constaté à de nombreuses reprises : "Les comptes féministes et LGBTQIA+ sautent plus facilement que les comptes des racistes, des agresseurs, des homophobes. Aujourd'hui, on sait toutes et tous que quand on est militant·e sur les réseaux sociaux et qu'on a un compte un minimum fréquenté, le harcèlement débarquera à un moment ou un autre."
Lassée, la jeune femme conclut tristement : "La police nous rit au nez quand on dénonce le harcèlement en ligne, les plateformes n'assurent que très peu de modération. On m'a déjà dit qu'un message d'un homme qui menaçait de me 'planter un couteau dans le ventre' ne contrevenait pas aux règles, alors forcément, il y a une vraie lassitude de notre part. Aujourd'hui, je bloque et je supprime sans même prendre la peine de dénoncer car je sais que rien ne sera fait. C'est triste, mais on est nombreux·ses à ne plus vouloir se battre dans le vent contre un système qui n'a aucun respect pour nous, et qui ne nous protège pas."
Harcèlement sur les réseaux sociaux : comment agir ?
"En cas de harcèlement en ligne, le premier réflexe est de signaler", nous explique un gendarme souhaitant rester anonyme. "J'aimerais pouvoir vous dire de venir au commissariat, mais entre le manque de formation et l'absence de bienveillance de bon nombre de gendarmes et de policiers, je sais que les victimes ne font plus vraiment confiance aux forces de l'ordre. Si vous en avez l'énergie et la volonté, venez et insistez : les policiers comme les gendarmes n'ont pas le droit de refuser un dépôt de plainte. Sinon, il y a plusieurs autres options qui s'offrent à vous."
La première ? "Le double signalement", évoque notre source. "Tous les réseaux sociaux ont des plateformes de signalement des messages déplacés, qui permettent de mener une première action. Mais il faut aussi, dans la mesure du possible, faire un signalement sur le site PHAROS, géré par des policiers et gendarmes spécialisés et qui permet de signaler les contenus illicites se trouvant sur Internet. Vous pouvez également chater avec un policier via une plateforme mise en place par le Service Public." Toutefois, ces mesures restent des mesures de réaction, pas de prévention. Car pour pouvoir signaler un message ou une photo, la personne qui les réceptionne doit en prendre connaissance et donc s'exposer à cette violence.
À LIRE AUSSI
>> Wokefishing : "Son délire, c'était de mentir pour se taper des féministes"