Mom shaming et dad blessing : "Un père qui accorde une miette d'attention à son enfant est considéré comme un héros"
En 2023, les mères qui veulent prendre du temps pour elles sont encore victimes de critiques, comme si elles devaient tout sacrifier pour leur(s) enfant(s). Et, à l'heure où l'égalité au sein des couples est plus que jamais prônée, les pères de famille qui font le strict minimum sont toujours élevés au rang de héros. Un double standard frustrant pour les femmes.
"Je n'ai pas le droit de faire ça." Voilà ce qu'Adriana Karembeu s'est dit, lorsqu'elle a envisagé de rester avec son compagnon Aram Ohanian simplement pour sa fille Nina. Dans le numéro de "50 Minutes Inside" du 9 septembre 2023, l'ancien mannequin a évoqué son divorce, et le fait qu'elle vivait toujours avec son ex, pour pouvoir élever sereinement leur fille. Mais la mère de famille a refusé de s'interdire le divorce : "Je pense qu'on a fait un bout de chemin ensemble et à un moment donné, quand on sent qu'il y a ce bonheur qui nous échappe un peu, [il faut] partir. En tout cas, c'est ce que je pense. Il ne faut pas se forcer. Je ne peux pas imposer à Nina d'avoir une mère qui n'est pas heureuse. J'ai vécu ça avec mes parents pendant longtemps, je n'ai pas le droit de faire ça."
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Les mères qui partent sont encore critiquées
Ce n'est pas la première fois qu'Adriana Karembeu évoque le sujet des mères sacrificielles, et des sacrifices qui sont attendus de la part des femmes. Dans une interview accordée à Gala en mars 2023, la star a été obligée de se justifier sur cette séparation, et sur l'impact que cela pourrait avoir sur sa fille, qui fêtera ses cinq ans en 2023. "D'autres envies peuvent surgir. Et si ça ne va plus, pourquoi devrait-on se sacrifier ?"
Récemment, c'est Sophie Turner qui a été victime de critiques similaires. En plein divorce avec Joe Jonas, elle a été vilipendée pour être loin de sa famille, en tournage en Grande-Bretagne, alors que son mari s'occupait de leurs filles malgré ses concerts. Un exemple flagrant du phénomène de mom-shaming et de dad-blessing : les mères sont critiquées lorsqu'elles ne priorisent pas leurs enfants 24 heures sur 24. Le tout alors qu'un père qui fait son simple job de parent est félicité, comme si ce qu'il faisait n'était pas tout simplement... normal.
"Mes proches sont scandalisés que je parte en vacances sans mes enfants"
"La condition sacrificielle, l'injonction au sacrifice, touche d'abord les femmes en général, puis de façon exponentielle, les mères. Encore aujourd'hui, la mythologie maternelle se construit autour de la figure du sacrifice. On est arrivés au stade de rendre l'amour maternel conditionné au sacrifice", affirmait Illana Weizman, sociologue et autrice du livre "Ceci est notre post-partum : Défaire les mythes et les tabous pour s'émanciper" et co-autrice de "Mères sans filtre", dans une précédente interview accordée à Yahoo!Style. Si les femmes au foyer sont de plus en plus rares, les mères continuent à porter la majeure partie de la charge mentale liée à la famille, ainsi que le prouvent de nombreuses études. Et quand elles veulent prendre du temps pour elles, elles sont vite taxées d'égoïsme.
"Avant de donner naissance à mes enfants, j'avais ce rituel de partir chaque année une semaine en solo, pour recharger mes batteries", explique Louise, 30 ans. "Avec le Covid et l'inflation, je n'ai pas pu faire ces voyages depuis trois ans, et cette année, je pars toute seule huit jours en road trip au Canada", explique cette maman de deux enfants, âgés de 4 ans et 18 mois. "Mon mari, cela ne lui pose absolument pas de problème, mais je ne compte plus les personnes de mon entourage qui sont scandalisées : ma mère, sa mère, certaines de mes copines... Même la maîtresse d'école de mon grand m'a fait la réflexion !"
Pour cette mère de famille, il s'agit ni plus ni moins que de sexisme, puisque son compagnon n'a pas le droit à ce type de commentaire quand il prend du temps pour lui. "Il est parti 10 jours pour l'enterrement de vie de garçon de son frère et pour son mariage, alors que j'avais accouché depuis deux mois", pointe-t-elle. "Mais comme moi je suis la maman, je n'ai visiblement pas le droit de m'absenter. Même si le papa gère, et que j'ai moi aussi besoin de prendre du temps pour moi."
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"Mon bébé pleurait dans le train, c'est moi qu'on a critiqué"
Louise a la chance d'avoir un partenaire impliqué, qui la soutient lorsqu'elle se fait critiquer par son entourage. Ce n'est pas le cas de Manon*, qui hésite de plus en plus à se séparer de son conjoint, qui n'est "pas d'une grande aide", selon cette jeune maman. "Cet été, avec mon compagnon, nous sommes partis passer quelques jours chez ses parents dans le sud de la France. Je passe évidemment sur le fait que c'est moi qui ai dû gérer les réservations, l'organisation, les valises... Ce qui m'a gênée, c'est son attitude pendant les trajets. Comme si notre fille et moi nous n'existions pas !"
A peine installé dans le train, côté fenêtre, le jeune papa a enfilé ses écouteurs et s'est lancé dans une série. "Je me suis occupée de nourrir la petite, de la faire jouer. Elle a dormi sur moi. Mais au bout de trois heures de trajet, elle a commencé à s'agiter, à chouiner, puis à franchement pleurer." Manon s'est donc dirigée vers la zone située entre deux voitures, pour essayer de la calmer. "À chaque fois que je retournais m'asseoir, elle recommençait à hurler. J'ai d'abord eu des regards énervés, puis des réflexions de la part de passagers. Le tout pendant que mon mec était tranquillement en train de mater son épisode, sans bouger le petit doigt. À croire qu'il n'a rien remarqué." La jeune maman a terminé le trajet épuisée, sur un strapontin, avec un bébé énervé. "Quand le train est arrivé à destination, il l'a mise dans la poussette, et une passagère l'a félicité de faire rire la petite en attendant l'ouverture des portes. Moi, j'étais au bord des larmes à cause de la fatigue et de la frustration. Il ne fout rien et remporte les lauriers."
"La prochaine fois qu'on me dit que j'ai de la chance qu'il fasse du baby-sitting..."
Toutes les mères seront sans doute d'accord pour le dire, s'il y a bien une phrase qui a le don de les mettre en rogne, c'est : "Tu as de la chance que ton mari accepte de faire du baby-sitting." Pauline, 35 ans, ne supporte plus de l'entendre. "C'est quand même fou de se dire que mon mari et moi nous travaillons le même nombre d'heures, dans le même métier, mais que son implication en tant que parent soit encore vu comme du baby-sitting. La prochaine fois qu'on me dit que j'ai de la chance qu'il reste à la maison quand je sors avec mes copines, je crois que je vais faire un scandale", s'énerve-t-elle.
Mère de deux enfants, la jeune femme a toujours mis un point d'honneur à ce que les tâches parentales soient partagées équitablement entre elle et son conjoint. "On a tous les deux des soirées de libre, si je m'occupe du lever, il fait le coucher, etc. J'en ai ras-le-bol de voir qu'un père qui accorde une miette d'attention à son enfant est considéré comme un héros. C'est un parent, il fait son job de parent, et garder ses enfants quand je ne suis pas là en fait partie." Pour elle, il est plus que temps de mettre un terme à ses doubles standards. "Les hommes d'aujourd'hui veulent des femmes qui travaillent, qui payent les factures à 50-50, mais qui font 90% des tâches ménagères et parentales. Et ils veulent être félicités et encensés quand ils font les 10% du reste. Le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière, en somme", dénonce-t-elle.
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