Mères, on leur a reproché de vouloir divorcer : "Quand on aime ses enfants, il faut se sacrifier"
Il y a quelques semaines, Adriana Karembeu a annoncé son divorce avec l'homme d'affaires Aram Ohanian. Une décision qui lui a valu des critiques, en raison du jeune âge de sa fille. Mais la mannequin a affirmé qu'elle ne voyait pas de raison de se sacrifier pour une relation qui ne fonctionne plus. Une façon de penser saine, mais encore rare dans une société où le tabou des divorces est toujours présent, en particulier quand des enfants sont impliqués.
Un mariage sur deux se termine par un divorce. La statistique ne date pas d'hier et reste stable au fil des années, on ne peut donc pas dire que les séparations, les histoires d'amour qui se terminent, soient des exceptions. Le modèle de nos arrières grands-parents, et les histoires d'amour qui durent toute une vie, existent encore, mais sont de plus en plus rares. Et pourtant, les divorces sont toujours l'objet de commentaires extérieurs, en particulier lorsqu'ils concernent des familles avec des enfants, et encore plus s'il s'agit d'enfants en bas âge.
Cette situation, Adriana Karembeu l'a vécue en décembre dernier, en annonçant sa séparation avec son mari, l'homme d'affaires Aram Ohanian. Dans une récente interview accordée à Gala, la star a été obligée de se justifier sur cette séparation, et sur l'impact que cela pourrait avoir sur sa fille, qui fêtera ses cinq ans en 2023. "D'autres envies peuvent surgir. Et si ça ne va plus, pourquoi devrait-on se sacrifier ? Ce n'est jamais agréable de se dire au revoir mais une relation qui se termine, cela n'est pas forcément négatif." Et de préciser : "C'est une séparation de cœur, mais pas de vie. Nous restons soudés pour tout ce qui concerne notre fille. Nous voulons absolument la préserver."
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Les séparations sont toujours mal vues
L'utilisation du mot sacrifice est tout sauf anodine, car on ne compte plus les femmes à qui l'on a reproché leur volonté de divorcer. Et ce, que ce soit pour sortir d'un mariage sans amour, ou bien d'un mariage violent. C'est notamment le cas de Stéphanie, 47 ans. "J'ai quatre enfants, âgés de 5 à 17 ans, et je suis en pleine procédure de divorce", raconte-t-elle. "Pendant des années, ma relation était au beau fixe, jusqu'au jour où j'ai découvert que mon mari me trompait. J'ai décidé de partir, et je m'attendais à du soutien de la part de mon entourage. Cela n'a pas été le cas."
Les propres parents de la quadragénaire ont pris le parti du père infidèle : "Ils m'ont dit que j'allais détruire la vie de mes enfants en divorçant, que je ferais mieux de rester. Qu'une infidélité n'était pas si grave, et que je n'avais qu'à prendre un amant. Tout plutôt que de devenir mère célibataire, alors qu'avec mon ex, nous avons tout prévu pour être des co-parents qui se respectent et s'écoutent, même s'ils ne s'aiment plus. Lui, personne ne lui fait de reproches, mais moi je devrais rester avec un homme qui m'a menti pendant des années, sous prétexte qu'on a des enfants ensemble ? Je cherche encore la logique."
Le rôle de la "mère sacrificielle", toujours glorifié
Stéphanie ne cache pas sa colère à l'idée de devoir "sacrifier" son bonheur pour le présumé bien-être de ses enfants. "Quel modèle on va leur donner ? Celui de parents qui restent ensemble par obligation ? Qui ne s'aiment plus ? Non, ce n'est pas sain. Ce n'est pas pour moi." Illana Weizman, sociologue et autrice du livre "Ceci est notre post-partum : Défaire les mythes et les tabous pour s'émanciper" et co-autrice de "Mères sans filtre", n'est toutefois pas surprise que l'on attende ce type de sacrifice d'une femme. "La condition sacrificielle, l'injonction au sacrifice, touche d'abord les femmes en général, puis de façon exponentielle, les mères. Encore aujourd'hui, la mythologie maternelle se construit autour de la figure du sacrifice. On est arrivés au stade de rendre l'amour maternel conditionné au sacrifice", affirme-t-elle.
La spécialiste l'explique : "On reproche absolument tout plus facilement aux mères qu'aux pères. Tout ce qui concerne la cellule familiale, de la bonne tenue du mariage au fait de pimenter la vie sexuelle : être une bonne mère, une bonne épouse, une bonne amante... Et bien sûr, cela s'étend à l'éducation des enfants, à la charge parentale et domestique. Donc quand un gamin fait une connerie, c'est la mère qui va être pointée du doigt, pas le père. Quand un couple part à la dérive, c'est la femme qui va être pointée du doigt. Donc si le divorce arrive, la responsabilité incombe toujours plus à la femme, ce qui est un peu la double peine, puisque toutes les charges leur incombent, et les échecs aussi." Ce qui lui inspire un triste constat : "Puisqu'il y a une division genrée qui est très claire dans le couple hétéro, en ce qui concerne le couple et la cellule familiale, l'échec incombera à la femme, puisque c'est elle qui est en charge de cela. C'est logique dans le schéma patriarcal, et on n'est jamais gagnantes, parce que quand ça fonctionne, la bonne tenue tient sur nos épaules, et quand ça ne fonctionne pas, c'est notre faute."
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Une injonction au sacrifice dangereuse
Si Stéphanie a été confrontée à l'infidélité de son conjoint, d'autres femmes, comme Tania, 32 ans, ont été confrontées à bien pire. Selon l'Inserm, en France, 2 femmes sur 100 subissent des violences pendant leur grossesse, et la jeune femme en fait partie. "Ça a commencé par des violences verbales pendant la grossesse, puis des violences physiques après l'accouchement. Il m'a fallu du temps pour arriver à partir, car je savais que pour pouvoir emmener mon enfant, je devais avoir un dossier solide. Je suis allée plusieurs fois au commissariat et chez le médecin montrer mes bleus, mes blessures. Me faire tabasser plusieurs fois était la seule façon de partir avec mon bébé sans être accusée de kidnapping", raconte-t-elle, encore traumatisée par les événements.
Et pourtant, là encore, elle a subi des reproches. "Les officiers de police m'ont demandé si j'avais conscience que j'allais priver mon fils de son père, qu'il risquait la prison à cause de moi, en plus du divorce. À cause de moi, et pas à cause de sa violence, comme si tout était ma faute. À leurs yeux, j'avais l'impression que non seulement je ne devrais pas divorcer, mais en plus je devais accepter de me faire tabasser. On m'a dit : 'Quand on aime vraiment ses enfants, il faut savoir se sacrifier'."
"Dans la pensée collective, plus tu te sacrifies, plus tu aimes", souligne Illana Weizman. "Ce qui est horrible, puisqu'on nous demande d'accepter de la maltraitance, des rôles qui sont bien trop larges, des injonctions trop importantes. Il faudrait faire don de soi et s'oublier quand l'enfant arrive, et ça serait la preuve d'amour que l'on attendrait d'une mère."
Rester dans un mariage sans amour, ce n'est sain pour personne
La sociologue rappelle pourtant que les dangers sont nombreux pour les femmes. D'ailleurs, le nombre de féminicides qui ne cesse de grimper en est la preuve. Mais même au-delà d'un cadre de violences, elle l'affirme : "Les conséquences sont très tangibles sur le point de la santé mentale et de la santé physique. Si on parle de maternité pure, s'oublier, être uniquement dans la réponse du soin à l'enfant, et oublier que nous aussi on a une santé, qu'on a besoin d'être en forme pour être un bon parent... Je ne vois pas bien comment on peut le faire quand on est en dépression, ou qu'on ne prend pas soin de sa santé physique."
Même discours concernant le couple : "Les conséquences pour les femmes de rester dans un couple où elles ne sont ni épanouies ni heureuses, ou dans des relations violentes, car parfois on leur demande de rester dans ces relations "pour le bien des enfants", c'est terrible pour l'estime de soi, pour leur épanouissement personnel, et ce n'est pas souhaitable pour les enfants non plus. Donner à un enfant un modèle de parents qui ne sont pas dans l'affection, voire qui sont dans la violence, dans les conflits permanents, les tensions, je ne suis pas sûre que ce soit bon pour l'enfant, sa santé mentale et son développement, sa construction de futur adulte."
Un avis partagé par Anissa, fille de parents restés ensemble pour elle alors qu'ils ne s'aimaient plus. "Petite, je voyais les disputes. En grandissant, ma mère m'a avoué qu'elle était restée avec mon père pour ne pas me faire subir un divorce. Puis, sont venus les reproches. 'Comment oses-tu avoir des mauvaises notes / demander de l'argent de poche / faire des bêtises alors que je suis restée pour toi ?' C'était du chantage, ni plus ni moins, mais à l'époque, cela m'a fait ressentir une véritable culpabilité", relate la jeune femme, fraîchement majeure et ayant quitté le domicile familial.
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Illana Weizman l'affirme : "Une rupture saine et réfléchie, avec beaucoup de communication entre les parents et avec l'enfant, est plus efficace que le fait de rester ensemble coûte que coûte. Les enfants ne doivent pas servir d'alibi, personne n'y gagne." En effet, pour la sociologue, il est urgent d'arrêter "les images d'Epinal autour du couple, cette idée qu'il faudrait être ensemble toute la vie pour avoir un couple réussi, et qu'il n'y a pas d'autre option." Et de conclure : "On peut très bien s'être aimé à un moment, et se séparer de façon saine et respectueuse. Rester un couple parental sans être un couple amoureux, et avoir droit à d'autres histoires. Il faut arrêter d'envisager les séparations comme des tragédies, c'est juste la vie qui continue, et c'est un beau message à léguer à ses enfants : il n'y a pas à se sacrifier."
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