Chirurgie esthétique, à la vie à la mort : "Les chirurgies liées aux transidentités ne sont pas esthétiques, ce sont des chirurgies reconstructrices et vitales"

Un peu de botox par-ci, une augmentation mammaire par-là... La chirurgie esthétique est de moins en moins taboue. Ces opérations, longtemps cachées comme un secret honteux, sont désormais promues par les médecins qui les pratiquent comme par certaines stars et influenceurs ou influenceuses qui en ont bénéficié. À travers cette série "Chirurgie esthétique, à la vie à la mort", Yahoo tente de démystifier les raisons qui poussent les personnes à avoir recours à un acte de chirurgie, souvent irréversible, pour changer l'aspect de leur corps. Nous publierons une série de témoignages de personnes pour qui la chirurgie esthétique a changé la vie positivement ou négativement.

Si vous aussi vous voulez témoigner, vous pouvez envoyer un message à cette adresse : laetitia.reboulleau@gmail.com.

Alors que les auto-proclammées "Femellistes" sont au coeur de l'actualité, et que les personnes transidentitaires continuent à se battre pour le simple droit d'exister, il serait grand temps de réaliser que les parcours de transition sont loin d'être faciles. L'argument transphobe des transitions express, accordées à tout-va et financées par les impôts et l'Assurance maladie, est tout sauf une réalité pour les personnes concernées. Et c'est ce que tient à rappeler Claude-Emmanuelle Gajan-Maull, artiste pluridisciplinaire et militante.

Commencer une transition, c'est loin d'être facile

Face aux arguments anti-trans qui pullulent sur les réseaux sociaux comme dans les discours de l'extrême droite, cette dernière tient à faire une mise au point claire et net : "La charge mentale, ne serait-ce que juste pour commencer le parcours de transition quand on est une personne trans, c'est l'équivalent d'une énorme enclume qu'on porterait sur nos épaules. Je ne le souhaite à personne. Par contre, je souhaiterais que les personnes cisgenres prennent une heure de leur quotidien pour enfiler nos baskets et qu'elles voient ce que ça fait dans la rue d'être une personne en cours de transition." Et de préciser : "Ne serait-ce que sentimentalement parlant, c'est dur de trouver des conjoints ou des conjointes qui soient à même de comprendre ce qui se passe, et de soutenir la personne qui transitionne. Mais aussi d'un point de vue administratif, c'est une catastrophe. Bien que les lois aient évolué, ça demande entre six mois et un an de psychologie et de charge mentale pour monter le dossier et attendre le jugement, ce qui crée beaucoup de problématiques pour trouver un logement ou du travail. C'est un parcours du combattant psychologique, émotionnel, administratif et médical."

Claude-Emmanuelle a commencé sa transition en 2015, après une tentative de suicide. "Être une femme trans, c'est un des détails de ma vie, parce qu'à travers les intersectionalités, je suis à la fois une femme, racisée, une femme trans, une personne qui a été grosse à un moment donné. Mon parcours psychologique a été extrêmement amputé, parce que quand j'ai commencé ma transition, je n'y arrivais pas, donc j'ai essayé de me supprimer. Je me suis ratée, tant mieux quelque part. Je l'ai fait parce qu'à aucun moment je n'imaginais que, dans notre société, je puisse ressembler à la personne que je suis aujourd'hui, sept ans après." Aujourd'hui, elle est mannequin, actrice, DJ, artiste, chroniqueuse. Mais surtout militante, et bien décidée à libérer la parole autour des parcours de transition.

Vidéo. "Je suis une femme trans mais c'est un détail de ma vie"

Dans la transition, il n'y a pas de parcours type

"Premièrement, on ne parle pas de "la transidentité", mais "des transidentités", parce qu'il n'y a pas qu'une seule façon de voir son parcours de transition", nous explique-t-elle. "Parmi ces parcours de transition, il y a des personnes trans qui choisissent de transitionner par voie médicale et administrative, mais aussi par voie de chirurgie, qui permettent par exemple de pouvoir féminiser le corps. Et donc d'avoir une expression de genre qui s'affilie vraiment au genre vécu au quotidien. Si c'est une féminisation, c'est forcément ce qui va se rapprocher des corporalités féminines et des apparats et des standards de beauté qui sont considérés comme féminins dans notre société."

Des chirurgies dites de féminisation lourdes, nombreuses, et coûteuses, qui prennent du temps. Des années, souvent. "Si on est Caitlyn Jenner, ça va prendre un an et demi. Si on est une personne qui vient de classe ouvrière, transitionner, ça va prendre beaucoup plus de temps." Chaque personne transidentitaire fait ses propres choix en matière de chirurgie et de résultats : "Les chirurgies de féminisation pour les personnes trans peuvent avoir différents niveaux. Il peut y avoir une féminisation de la voix. Il y a également la FFS, Facial Feminization Surgery, pour féminiser l'apparence du visage : rehaussement des pommettes, les boules de Bichat qui vont être retirées, l'opération du menton, de la mâchoire pour qu'elle soit moins carrée, travailler le contour du front en retravaillant l'implantation capillaire, se faire enlever la pomme d'Adam... Toutes des chirurgies qui peuvent être faites d'un coup ou en plusieurs fois, et qui permettent de s'affilier au genre qu'on appelle féminin." Toujours avec un objectif : se rapprocher d'un corps "traditionnellement" féminin dans le but de ressembler à la personne que l'on a toujours voulu être.

Vidéo."La chirurgie autour des parties génitales, qui semble souvent comme l'acte final de tout parcours de transition, alors que ça ne l'est pas du tout"

Poitrine et appareils génitaux, des chirurgies fantasmées

Au-delà du visage, le corps est lui aussi concerné : "Autre intervention, que l'on retrouve beaucoup dans le fantasme collectif des personnes cisgenre : l'opération de la poitrine", explique Claude-Emmanuelle. Une opération paraît évidente pour bon nombre de personnes cis, mais qui n'est pas nécessairement souhaitée par les personnes transidentitaires, qui ne rêvent pas toutes d'avoir une forte poitrine. "Là, on va avoir soit des transferts de graisse, soit des prothèses mammaires. On va avoir aussi des féminisations du corps, avec des liposuccions, des vaser-liposuccions pour pouvoir définir les abdos ou la courbure du dos. Il y a également ce que l'on appelle les transferts de graisse, c'est-à-dire prendre la graisse dans un endroit du corps pour l'injecter ailleurs. C'est le cas par exemple avec la BBL (Brazilian Butt Lift), qui permet d'avoir plus de hanches et plus de fesses. Sans oublier la médecine esthétique avec des injections."

Sans oublier bien sûr les opérations de réattribution ou de réassignation sexuelle. Et encore une fois, toutes les personnes trans ne souhaitent pas nécessairement y recourir, ainsi que le rappelle la mannequin : "Quand on parle de chirurgie de réassignation sexuelle, c'est la chirurgie autour des parties génitales, qui semble souvent comme une fin en soi, l'acte final de tout parcours de transition, alors que ça ne l'est pas du tout. C'est une chirurgie comme une autre dans le parcours de transition, qui se fait à l'étape où on a envie. Ou qui ne se fait pas du tout, d'ailleurs, car certaines personnes trans se reconnaissent dans les parties génitales avec lesquelles elles sont nées sans s'affilier au genre social qui y est lié."

Vidéo. "Comme les personnes trans sont objectifiées et fétichisées, elles se retrouvent à rentrer dans l’industrie du porno ou de l’escorting pour payer leurs chirurgies"

Des opérations difficiles à financer

Sans surprise, ce parcours médical et chirurgical a un coût, qui a obligatoirement un impact sur le temps nécessaire au parcours : "Le temps d'une transition chirurgicale, ça va dépendre de la classe sociale de la personne, de combien d'argent elle a à sa disposition pour transitionner, mais aussi de son entourage. Est-ce qu'elle se fait abandonner ? Est-ce qu'elle perd son travail ? Est-ce qu'elle perd son logement ?", s'interroge Claude-Emmanuelle, bien consciente de la précarité dans laquelle vivent bon nombre de personnes trans. "Pour les financer, on utilise souvent des cagnottes, qui sont promues sur les réseaux sociaux. Mais on remarque souvent que ce sont les personnes de la communauté, qui sont elles-mêmes précaires, qui donnent de l'argent. Les personnes cis ne s'engagent pas vraiment. Résultat, comme les personnes trans sont souvent objectifiées et fétichisées, il y en a beaucoup qui se tournent vers le travail du sexe, que ce soit sur des plateformes comme OnlyFans, Mym, ou qui se tournent vers l'industrie du porno ou de l'escorting. Et même s'il y en a certaines qui en ont envie, beaucoup font ça uniquement parce que c'est le seul moyen de pouvoir financer rapidement une transition. C'est le truc qui marche."

Les aides de l'Assurance maladie ? Ces dernières sont faibles, et soumises à condition. "On a ce que l'on appelle une ALD "hors liste", l'ALD 31, c'est l'affectation de longue durée. On liste les besoins chirurgicaux, les besoins médicaux... Il faut tout catégoriser dès l'entrée. Et ensuite, ça va être des prises de rendez-vous. On échange beaucoup entre personnes trans pour savoir quel médecin est safe, quel chirurgien est safe. Résultat, ça prend du temps, et les listes d'attente sont très longues." Et surtout, bon nombre de procédures ne sont pas prises en charge du tout.

Vidéo. Claude-Emmanuelle Gajan-Maull : "Pour les personnes transidentitaires, il faudrait parler de chirurgie réparatrice et non de chirurgie esthétique"

Un problème de label sur les chirurgies de transition

Pour Claude-Emmanuelle, le problème vient avant tout de la façon dont les chirurgies de transition sont vues par le grand public, très majoritairement composé de personnes cisgenres. "Les personnes cisgenres n'ont pas forcément pris en compte le terme de "chirurgie esthétique" d'un point de vue des personnes transidentitaires. Quand elles ont un problème lié à leur apparence physique, elles ont ce que l'on appelle de la dysmorphophobie. C'est le fait de se voir difforme, de se trouver laid, et d'avoir un besoin d'esthétisation pour retrouver confiance en soi. Tandis que d'un point de vue des personnes transidentitaires, elles ont ce que l'on appelle de la dysphorie de genre, c'est-à-dire que quand elles se regardent dans un miroir, elles ont l'impression de ne pas se reconnaître. Et donc, s'il y a un besoin qui est créé autour de ces chirurgies, c'est parce qu'elles viennent apaiser."

Vidéo."Sans me le dire, le chirurgien m’a imposé un bonnet de poitrine plus volumineux que prévu. Je l’ai découvert à mon réveil"

Raison pour laquelle elle milite pour un changement d'appellation, nécessaire selon elle pour que les personnes non-concernées prennent conscience du besoin réel que les chirurgies représentent : "C'est pour ça que le terme de chirurgie reconstructrice est plus indiqué. Le terme chirurgie esthétique est la raison pour laquelle il y a des restrictions d'accès à ces procédures dans l'entreprise médicale française, ne serait-ce que par exemple avec la sécurité sociale. Comme ces chirurgies sont considérées comme esthétisantes, et non reconstructrices ou vitales, les prises en charge en jouent. Il y a une vraie désinformation dans le monde médical, dû à un manque d'éducation. Les chirurgiens voient les chirurgies liées aux transidentités comme un appât de monnaie, et non pas comme une aide apportée à la personne. Ils savent très bien que les personnes trans vont se saigner pour financer leur transition d'une façon ou d'une autre." Quitte à avoir recours au travail du sexe, donc. D’autant que certains chirurgiens véreux n’hésitent pas à expérimenter sur les personnes trans en leur appliquant leurs propres codes de beauté. "Cela a été mon cas. Le chirurgien en charge de mon opération de la poitrine m’a imposé un bonnet plus volumineux que ce qui avait été prévu, sans me le dire. Je l’ai découvert à mon réveil."

Transidentités et parcours psychiatrique

La France a retiré les transidentités des maladies mentales en 2010, seulement. Toutefois, les parcours des personnes transidentitaires dans le public se font encore sous la houlette des psychiatres : "Des suivis psychiatriques sont demandés pour avoir accès à différentes chirurgies. C'est le cas par exemple pour la vaginoplastie, où on est censé avoir deux ans de suivi psychiatrique minimum pour pouvoir passer devant un comité de personnes cisgenres qui se décrètent "spécialistes de la transidentité", bien qu'ils ne la vivent pas au quotidien, pour savoir si on est assez valides mentalement et physiquement, pour avoir accès à cette chirurgie qui est censée être vitale."

C'est là que la solidarité communautaire entre à nouveau en scène : "Souvent, des papiers sont falsifiés, ou alors, on a des alliés psychiatres ou psychologues qui font sur demande ces attestations, ou alors qui demandent qu'on les paye pour qu'on puisse y avoir accès." Selon elle, c'est notamment à cause de la crainte de la détransition, cheval de bataille des transphobes. "Il y a toujours dans la tête des personnes cisgenres que la personne trans va vouloir détransitionner à un moment donné, alors que c'est un phénomène très rare", regrette-t-elle, dénonçant un manque de prise de conscience de la difficulté du parcours. "Si une personne trans vient demander de l'aide pour transitionner physiquement, c'est une vraie réflexion pour pouvoir s'affilier à soi-même. Ce n'est pas rien de se réveiller le matin, de ne pas se reconnaître dans le miroir, et de faire la démarche d'aller chez un chirurgien pour pouvoir lui demander de correspondre à quelque chose qui devrait nous ressembler depuis la naissance."

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