Qu'est-ce que le "désamour", ce terme tendance sur TikTok qui fait peur aux couples ?

"Désamour". Ces derniers temps, le terme a éclos sur les vidéos de coaching en relations qui pullulent sur TikTok, ou dans le vocabulaire de certaines influenceuses, avertissant les amoureux et inquiétant les internautes. Mais qu'est-ce que le désamour, réellement ? Et signe-t-il vraiment la fin du couple ? Une psychologue a répondu aux questions de Yahoo.

Qu'est-ce que le "désamour", terme tendance sur TikTok qui fait peur aux couples ? Photo : Getty Creative.
Qu'est-ce que le "désamour", terme tendance sur TikTok qui fait peur aux couples ? Photo : Getty Creative.

Si l'état amoureux est bien souvent difficile à décrire, il existe quelques poncifs qui persistent lorsqu'on cherche à expliquer ce sentiment : papillons dans le ventre, timidité inhabituelle, augmentation de la température du corps, on rougit, on pense (quasiment) tout le temps à l'être aimé et on ne rêve que de passer tout notre temps avec lui ou elle... Votre partenaire n'a pas de défauts, et est forcément le plus beau, la plus intelligente ou le plus drôle. Pourtant, ce moment dans un couple ne dure qu'un temps (en général quelques mois), et cette période a un nom : on parle souvent de "lune de miel" de la relation.

Rien d'anormal à cela. Lorsqu'on connaît mieux quelqu'un, il semble logique qu'on lui témoigne "moins d'intérêt". Pourtant, récemment, la fin de cette lune de miel a parfois été assimilée (à tort) sur les réseaux sociaux à une version plus extrême d'un changement de comportement dans le couple. Le phénomène, nommé "désamour", est largement évoqué en ligne, notamment par les comptes spécialisées en coaching amoureux qui sont légion sur TikTok. Le désamour signifie littéralement "la cessation de l'amour, de l'intérêt pour quelqu'un ou quelque chose", selon le dictionnaire Larousse. Dans leurs contenus, les "coachs" donnent leur définition du désamour et leurs conseils pour s'en préserver ou en sortir. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que leurs contenus rencontrent un certain succès. Ainsi, la vidéo de @thelovecoach_fr sur TikTok consacrée au sujet a été likée plus de 10 000 fois et celle de @danuniverse_therapy plus de 315 000 fois.

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"C'est normal de ressentir ça ?"

Dans les commentaires, c'est souvent la panique. "Ce n'est pas possible de toujours rester dans la toute première phase ou de la prolonger le plus possible ?", s'inquiète une utilisatrice. "Ça dure combien de temps cette période ?" peut-on aussi lire, ou encore "C'est normal de ressentir ça ?" Les internautes semblent vouloir à tout prix échapper au désamour. Mais cela semble néanmoins être un fait courant dans les histoires qui durent.

Ainsi, la créatrice de contenus Shera Kerienski s'est également emparée du sujet dans son podcast, "Bip sonore", le 3 août 2023, en expliquant avoir déjà été dans cette situation : "Pour l'avoir vécu le désamour, ça a été un des pires moments à passer pour moi et un des moments où j'étais la plus triste possible" s'est-elle désolée, avant d'expliquer qu'il est possible de surmonter cet état-là. Car oui, le désamour est surmontable et n'est pas nécessairement une fin en soi.

"Il y a un aspect "marketing""

Néanmoins, pour mieux le comprendre, il faut déjà bien avoir saisi de quoi il retourne. Selon Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne interrogée par Yahoo, le désamour est un terme bien connu en psychologie, bien avant d'envahir les réseaux sociaux : "C'est un mot qu'on retrouve dans la clinique du couple sans difficulté, exprimé par les cliniciens ou par les patients eux-mêmes. Ce qui diffère, c’est plutôt ce qu’on en fait, comment on l’expose et comment on le vulgarise pour qu’après ça puisse déclencher des demandes de coaching tout simplement. Il y a des mots forts qui ont plus d’impact que d’autres. Qui dit désamour dit 'attention vigilance, prévention, vous avez besoin d’être aidé.' Il y a un aspect "marketing" qui peut ressortir évidemment."

Pour l'experte, le désamour permettrait "d'évaluer" l'amour que se portent deux personnes. "On est plutôt comme sur une mesure de 1 à 10, et on pourrait qualifier le niveau de désamour quand on descend à partir du 5", décrit-elle. Il relève de l'introspection : "Ça veut dire qu’on est toujours sur le questionnement de “à quel niveau d’amour je suis, qu’est-ce que je ressens concrètement ? Est-ce que je suis toujours dans un type d’amour conjugal où je vois mon partenaire de vie comme l’homme ou la femme que j’aime et pas que j’affectionne ? On a également la question de la honte, de la culpabilité qui intervient ici."

"Ça te tombe dessus"

Shera Kerienski décrit pour sa part le désamour en se basant sur son expérience. Ses dires confirment ceux de la psychologue : "Tu as ce sentiment de culpabilité au fond de toi de te dire que ce n'est pas à toi d'être triste parce que c'est toi qui aimes de moins en moins la personne, mais au fond être dans le manque de contrôle de tes sentiments envers quelqu'un que tu aimes, c'est encore plus frustrant, ça te fait encore plus mal de te dire 'j'aime cette personne, j'ai envie de rester avec cette personne parce que je l'aime et que je ne me vois pas sans elle. (...) Du coup, je suis malheureuse tous les jours parce que je me confronte à une personne que j'aime, et qui m'aime mais que je n'aime plus ("comme avant"; ndlr) ou que j'aime moins', ça fait trop mal au coeur parce que tu retrouves acteur d'un truc dont tu es "victime". (...) Ça te tombe dessus, parce que les sentiments ne se contrôlent pas."

En commentaire de la vidéo de @danuniverse_therapy, plusieurs internautes ont réalisé qu'elles ressentent actuellement le désamour : "C'est terrible cette phase, j'ai l'impression d'être un monstre. Je n'arrive pas à l'écouter comme je le faisais avant et il le voit, ça nous rend triste", écrit ainsi une certaine Victoire. "Oh mon dieu, je vis ça actuellement, mais je résiste parce que j'ai compris que c'était passager", commente une autre utilisatrice. "Je ne savais pas que ça s'appelait comme ça, mais j'ai eu cette phase quand j'étais enceinte de ma fille, puis c'est parti", peut-on aussi lire.

"C'est souvent perçu comme quelque chose de négatif"

Aline Nativel Id Hammou tient à mettre en garde contre l'emballement que de telles vidéos peuvent provoquer. On ne colle pas l'étiquette "désamour" à tout bout de champ, et, même, si c'est effectivement le cas dans une relation, cela ne signifie pas automatiquement la fin d'une histoire : "Dans la dynamique de couple, il peut y avoir des périodes où on va plus ou moins se détacher d’une personne selon une réaction, ou un contexte, mais c’est n’est pas tout de suite du désamour. Ça peut être relatif à un côté réactionnel à la dynamique du couple, mais aussi au cheminement de vie individuel des deux partenaires de vie. (...) Il y a beaucoup de choses qui s’entremêlent dans la définition du désamour, mais souvent le fait qu’on puisse se questionner sur la dose d'amour que l’on peut porter à son partenaire de vie n’est pas forcément quelque chose de négatif en soi. C’est souvent perçu comme quelque chose de négatif."

Un jugement qui peut être accentué par les réseaux sociaux, qui permettent d'exposer le bonheur conjugal (réel ou "mis en scène") à la vue de tous et font croître les phénomènes de comparaison entre les individus. "Dans une part de notre société contemporaine, on s’influence les uns les autres, vis-à-vis des réseaux aussi, on se compare, ce qui fait que tout de suit on se dit 'tiens, dans mon couple moi je n’ai pas ça, c’est bizarre, ce n'est pas normal.' Il y a une sorte de déconstruction : on était plutôt épanoui, mais comme le voisin d’à côté expose "ça" et qu'on n'a pas "ça", on se dit 'est-ce que finalement je suis dans une relation saine et épanouie ?' On est tous face à des normes : qu’est-ce que c’est être un couple, qu’est-ce que c’est être amoureux ? C’est aussi pour ça qu’il y a des comportements qui peuvent être inadaptés ou des surinterprétations", analyse la psychologue.

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"La réparation est possible"

Pour Aline Nativel Id Hammou, la meilleure façon de traverser une phase de désamour sans pour autant rompre, c'est d'oser parler de ses ressentis à son partenaire. "Si vous arrivez à communiquer avec votre partenaire, si vous arrivez à cheminer aussi sur vos ressentis et vos émotions… Rien n’est stable dans une vie, on est tous envahis par des émotions diverses et variées qui ne sont pas toujours adaptées à la situation. On parle beaucoup du fait de devenir parent. On parle du "baby clash", d’adaptation… Aimer son partenaire de vie sur des mois ou des années c’est quelque chose à entretenir, à alimenter, ce n’est pas si évident que ça, d’être en couple, il faut aussi le dire. S’adapter d’une façon plus ou moins constante à un autre être humain, même si on l’aime très fort, ça peut être compliqué."

Si le désamour est bel et bien là et qu'il persiste, l'experte enjoint les amoureux à consulter des psychiatres et des psychologues formés à la thérapie de couple : "La réparation est possible. Mais c’est plutôt de la responsabilité des partenaires de ne pas laisser traîner. Il ne faut pas trop attendre. Plus de 80% des couples qui viennent en thérapie sont à la fin de leur histoire et cherchent un peu la solution magique. Mais si on s'interroge, c’est qu’on s’intéresse à son couple. Et si, parfois, il y a une rupture, cela peut aussi être bénéfique, c’est bien de le rappeler."

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